ANALYSES

Géopolitique du pétrole : quelles perspectives ?

Interview
18 mai 2018
Le point de vue de Francis Perrin


Est-on à l’aube d’un nouveau choc pétrolier ? Depuis janvier 2018, les cours du pétrole sont dominés par des perspectives haussières, alors que la récente crise diplomatique entre l’Iran et les États-Unis a amplifié les tensions présentes sur ce marché, Washington menaçant Téhéran de nouvelles sanctions économiques. L’Arabie saoudite semble vouloir en tirer profit affirmant sa capacité à augmenter sa production afin d’endiguer la probable diminution des exportations iraniennes. Le point de vue de Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS, sur la situation.

Quel avait été l’apport de l’Iran sur le marché pétrolier suite à sa réintégration progressive dans l’économie mondiale depuis 2014 ? Dans quelle mesure l’annonce des États-Unis de leur retrait de l’accord sur le nucléaire iranien va-t-elle affecter le marché pétrolier du pays ? Téhéran va-t-il pouvoir limiter les effets des sanctions à venir ?

C’est à partir de janvier 2016, avec la levée des sanctions européennes et des sanctions extraterritoriales américaines, que l’Iran a été en mesure d’accroître de façon significative ses exportations et sa production de pétrole brut. Alors que celle-ci était tombée à 2,7-2,8 millions de barils par jour (Mb/j) en 2015, elle est remontée à 3,8 Mb/j avant de se stabiliser à ce niveau. Pour les exportations, l’accroissement a été encore plus spectaculaire avec un plus que doublement depuis 2015. Au cours des premiers mois de 2018, la moyenne s’établissait à 2,1 Mb/j. L’Iran est actuellement le troisième producteur de brut au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), derrière l’Arabie saoudite et l’Irak, et le cinquième ou sixième au plan mondial.

L’annonce par les États-Unis du rétablissement des sanctions va dissuader certaines compagnies pétrolières non américaines d’importer du pétrole iranien et d’investir dans le secteur pétrolier en Iran. Bien sûr, les pays européens et plusieurs pays asiatiques soulignent qu’ils restent engagés par l’accord nucléaire iranien et qu’ils souhaitent protéger leurs entreprises contre la menace de sanctions américaines. L’Union européenne est d’ailleurs en train de se pencher sur ce sujet délicat. Cela dit, en dernière instance, ce sont des entreprises, et non des États, qui achètent du pétrole et du gaz naturel et qui investissent dans le secteur pétrolier et gazier en Iran. Et, parmi les grandes compagnies pétrolières européennes, mais aussi au Japon et en Corée du Sud et parfois dans d’autres pays, elles sont rares à prendre le risque de choisir l’Iran contre les États-Unis.

L’Arabie saoudite s’est dite prête à fournir les barils manquants, en conséquence de la probable diminution des exportations iraniennes. Dans quelle mesure l’affrontement Iran/Arabie saoudite se joue-t-il aussi sur le marché pétrolier ?

L’Arabie saoudite est l’un des rares pays avec Israël à avoir combattu l’accord de Vienne de juillet 2015 sur le programme nucléaire de l’Iran, et Riyad ne peut que se réjouir de la décision annoncée par le président Trump le 8 mai. Il est donc parfaitement logique pour le royaume de souligner, comme il l’avait déjà fait au début de cette décennie alors que l’Union européenne envisageait d’imposer un embargo pétrolier contre l’Iran, qu’il est prêt à augmenter sa production et ses exportations pour éviter toute éventuelle pénurie de pétrole. L’Arabie saoudite en a la volonté et les moyens.

L’affrontement entre ce pays et l’Iran se joue sur tous les fronts même si cela n’exclut pas une certaine coopération pour le pétrole au sein de l’OPEP. Cette organisation fonctionne avec la règle de l’unanimité pour ses prises de décision et il a donc fallu que Riyad et Téhéran se mettent d’accord lorsque l’OPEP a décidé en novembre 2016 de réduire sa production pour faire remonter les prix. Ces deux pays ont d’ailleurs bien respecté leurs engagements sur ce point depuis cette date, ce qui a largement contribué à pousser à la hausse les prix du brut.

Les cours du pétrole ont atteint leur plus haut niveau depuis 2014, le brut atteignant 77 dollars le baril, prix qui devrait continuer de progresser. Le marché économique mondial est-il réellement à l’abri d’un nouveau choc pétrolier ?

Le marché pétrolier mondial est actuellement dominé par des perspectives haussières avec la hausse de la consommation pétrolière mondiale, la réduction de la production de l’OPEP et de dix pays non-OPEP, la diminution des stocks pétroliers dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les tensions et conflits au Moyen-Orient, l’effondrement du Venezuela et de grosses incertitudes en Libye et au Nigeria. Le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne ne fait qu’accroître cette tendance. En face, il y a l’accroissement continu de la production pétrolière des États-Unis, qui est un important facteur baissier. Toutefois, les facteurs haussiers l’emportent clairement à ce jour.

Cela dit, il est difficile de parler de choc pétrolier. Certes, les prix du pétrole augmentent depuis le creux de $27-28 par baril de janvier 2016. Ils vont vraisemblablement continuer à progresser, mais la hausse récente et actuelle n’est pas assez brutale pour que l’on parle de choc. Il y a encore beaucoup de pétrole sur le marché et l’affolement n’est pas à l’ordre du jour. Cependant, si les tensions très fortes autour de l’Iran (États-Unis/Iran, Israël/Iran et Arabie saoudite/Iran) débouchaient sur des actions militaires, une hypothèse que l’on ne peut écarter, la question d’un choc pétrolier pourrait devenir d’actualité.
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