ANALYSES

Ce que révèle le premier sommet des routes de la soie des intentions économiques chinoises

Interview
5 juin 2017
Le point de vue de Barthélémy Courmont
Le premier « sommet des routes de la soie » a été organisé par la Chine mi-mai, réunissant 29 chefs d’État. Retour sur ses enjeux avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Quel sont les enjeux stratégiques d’un tel sommet ? Avoir pour invités d’honneur Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan est-il important à la réussite du projet chinois ?

La Russie et la Turquie sont, par leur emplacement géographique, au cœur de l’initiative de la ceinture et de la route ; en particulier son volet terrestre, qui est le plus difficile à mettre en œuvre et qui nécessite des investissements massifs.

Ces deux pays sont par ailleurs des partenaires proches de Pékin. Leur présence était ainsi très importante, même si les objectifs de Pékin ne se limitent évidemment pas à ces deux pays. Il ne faut donc pas nécessairement y voir un geste politique de soutien à Poutine ou Erdogan.

Hormis l’Italie, les principaux pays européens n’ont pas envoyé leurs chefs d’État au sommet ; quant à l’Inde, elle l’a boycotté. Est-ce révélateur d’une réticence des pays voisins et européens à voir l’influence économique chinoise s’étendre ?

Il y a indiscutablement une inquiétude liée à la présence grandissante de la Chine dans les économies et de ses investissements qui ne cessent de croître. L’Inde s’est longtemps rêvée en concurrente de Pékin et ce rêve était entretenu par l’Occident. Même si New Delhi fait désormais preuve de pragmatisme, il est difficile d’accepter une nouvelle donne dans laquelle la Chine est une puissance de premier plan, tandis que l’Inde reste un pays en développement. N’oublions cependant pas qu’en marge de cette absence au sommet, l’Inde entre dans l’Organisation de coopération de Shanghai, aux côtés du Pakistan. Les dirigeants indiens ne sont ainsi pas sourds aux perspectives qu’offre un rapprochement avec Pékin.

Dans le cas des Européens, il convient d’abord de noter qu’il n’y a pas de position commune sur l’attitude à adopter face aux investissements grandissants de la Chine (qui se sont multipliés par dix en l’espace d’une décennie au sein de l’Union européenne pour ce qui est des investissements directs). Il y a une forme d’attentisme de la part des puissances européennes mais la curiosité suscitée par les investissements chinois grandit. Notons à cet égard que les principales économies européennes (dont la France) sont membres fondatrices de la Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures, création chinoise qui rassemble plusieurs dizaines de pays et dont les États-Unis et le Japon ne sont pas membres. À la Chine désormais de montrer dans quelle mesure les pays européens peuvent trouver un avantage à accompagner ses investissements. C’est d’ailleurs pour cette raison que ce sommet a été initié mais il est trop tôt pour savoir si c’est un succès sur ce point.

Avec le retrait des États-Unis du TPP, Xi Jinping a-t-il désormais la voie libre pour asseoir ses prétentions économiques libre-échangistes ?

La Chine fait preuve d’un très grand opportunisme par rapport aux positionnements de Washington et aux difficultés que rencontrent les États-Unis depuis quelques années. Toute la stratégie de puissance de la Chine est ainsi pensée à l’aune de ce que font les États-Unis ; et force est de constater que les résultats sont satisfaisants jusqu’ici. Le retrait du TPP annoncé par Donald Trump dès son arrivée à la Maison blanche, mais sans aucune tentative d’en tirer un bénéfice, est évidemment une bonne nouvelle pour la Chine ; ce traité étant directement -et très maladroitement – dirigé contre elle. Les pays membres, désormais orphelins, n’ont pas d’autre alternative que de se tourner vers elle, à l’exception du Japon qui peut résister plus longtemps. Et Xi Jinping n’a d’ailleurs pas attendu longtemps sur ce point, en s’exprimant dès fin janvier à Davos sur le libre-échangisme, dont son pays revendique à présent le premier rôle. Il est au passage intéressant que la Chine adopte la même attitude sur la question du changement climatique, en réaffirmant ses engagements à l’égard du traité de Paris au moment où les États-Unis s’en défont. Là où Washington perd du terrain, Pékin va chercher à l’occuper et en ce sens, Donald Trump est le meilleur allié objectif auquel la Chine pouvait rêver.
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