ANALYSES

L’armée japonaise se féminise… à petits pas

Tribune
7 décembre 2015
Le Japon a de grandes ambitions sous le mandat du Premier ministre Shinzo Abe et notamment de redonner du poids et des moyens à son armée.

Mais à moyen terme si rien ne change, « le Japon sera sans doute contraint, dans le même temps, de réduire son armée : avec une cohorte de seulement 10 millions d’hommes de la tranche 20 à 40 ans en 2050, il ne pourra pas maintenir ses forces au niveau actuel », comme l’expliquait une note dès 2008.

Au Japon, où le nombre d’hommes âgés de 18-26 ans éligibles était de 900 000 en 1994 ; ce nombre sera ramené à environ 600 000 au cours des prochaines années, et la conscription ne sera pas une solution possible en raison des restrictions constitutionnelles, souligne la revue militaire Res Militaris.

La solution serait d’augmenter la part des femmes dans les forces armées japonaises. Cela correspondrait aussi au vœu plus général de Shinzo Abe de renforcer la place des femmes dans le marché du travail et la société japonaise.

« L’embauche des femmes a beaucoup de sens », a déclaré récemment au magazine Quartz Robert Dujarric, directeur de l’Institut des études asiatiques contemporaines à l’université Temple à Tokyo.
« Chaque armée moderne élargit les possibilités pour les femmes. Et depuis que le Japon tombe dans l’oubli démographique, trouver de jeunes hommes va être difficile… ».

Lente ascension

Après la Seconde guerre mondiale, les femmes ont d’abord été admises comme infirmières dans la nouvelle force armée japonaise. En 1967, elles ont été autorisées à des postes administratifs dans les forces terrestres, et en 1974 dans les forces aériennes et maritimes. Le premier ministre Tanaka Kakuei a initié une législation pour ouvrir d’autres postes pour les femmes à l’écart des métiers de combat « en ligne avec leur nature ! » (sic).

Cette première ouverture aux femmes a été largement motivée par la pénurie de main-d’œuvre au Japon et étant donné les réalités complexes des relations entre civils et militaires de la guerre froide dans un État où l’armée en tant qu’institution a été discréditée, et les soldats traités avec mépris et méfiance, les politiques militaires ont été largement ignorées et considérées comme non pertinentes par la société…

Rôle encore limité

Mais ce qui a stimulé les politiques actuelles des FAD par rapport aux femmes a été la ratification
de la Convention de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) en 1986 et l’adoption d’une loi sur l’opportunité d’emploi civil égal (Civilian Equal Employment Opportunity Law, EEOL).

Ce projet de loi spécifique a forcé les FAD à ouvrir leurs portes. En 1993, les trois forces armées ont commencé à recruter des femmes, et elles ont été inscrites dans l’Académie de défense nationale en 1992. Leurs « débuts » internationaux sur le terrain datent de 1996 quand des femmes ont été déployées dans des unités de transport de troupes des opérations de maintien de la paix dans les hauteurs du Golan. Elles ont aussi été déployées au Timor oriental et plus récemment en Irak.

Selon une décision du ministère de la Défense de 2008, les femmes sont en principe autorisées dans tous les positions. Pourtant, la liste des exceptions à la règle reste impressionnante. Ces mesures d’exception reposent « sur un examen complet de la protection de la maternité, de la possibilité de combat direct, de la sécurisation de la vie privée entre les hommes et les femmes, et de l’efficacité économique » !

Les FAD se réservent le droit de révoquer ou suspendre d’autres missions si ces conditions ne sont pas remplies. Heureusement, les dernières restrictions levées par le Bureau pour la promotion de l’égalité des sexes du ministère de la Défense ont ouvert des postes aux femmes sur des frégates, des navires dragueurs de mines, et des hélicoptères de patrouille.

Mais alors que 14 000 (5,4 %) des 259 800 personnel en uniforme qui servent dans les forces d’autodéfense japonaises (FAD) sont des femmes, leur rôle reste clairement plutôt limité.
Par comparaison, elles sont 14 % dans les forces américaines et 11 % en Allemagne.

Et aux Etats-Unis, les choses évoluent très vite. Au même titre que les hommes, des femmes « pourront conduire des chars d’assaut », « mener des soldats d’infanterie au combat », ou bien être membres des forces spéciales comme les Bérets verts ou les Navy Seals, a expliqué jeudi 3 décembre le secrétaire à la Défense américain Ashton Carter dans une conférence de presse au Pentagone.

Au Japon, en revanche, les femmes sont souvent encore décrites comme des « beautés féminines en uniforme ». L’année dernière, les FAD ont embauché Azusa Yamamoto, une mannequin habituée aux bikinis, qui a posé en costume militaire pour son calendrier 2014 pour prétendument « relever le moral » des troupes !

Cette focalisation exagérée sur la féminité des femmes japonaises, leur pureté et leur « maternité » ne servent qu’à souligner les valeurs traditionnelles qui sanctifient la maternité et mettent l’accent sur l’obligation des femmes à procréer plutôt qu’à défendre la nation. Il s’agit donc d’un problème culturel et il reste à voir si le gouvernement japonais va chercher à supprimer à la fois barrières sociales et institutionnelles aux femmes dans les FAD ou s’il va continuer à mettre l’accent sur le rôle « approprié » de chaque sexe et de promouvoir l’image traditionnelle de la femme comme une victime faible ayant toujours besoin d’un « Protecteur mâle ».

Un rapport récent du gouvernement japonais affirme que la culture du travail nippone, dominé par des codes masculins, doit s’adapter afin de refléter son époque. Le modèle selon lequel les hommes travaillent de longues heures pendant que les femmes restent au foyer est obsolète.

Point positif, le ministère de la Défense a quadruplé son budget marketing à un niveau encore modeste de 200 millions de yens (1,6 millions de dollars) en 2015 (voir pages 24 et suivantes du document budgétaire : « Promouvoir des mesures pour soutenir davantage l’engagement de personnel féminin ») pour des publicités à la télévision et à la radio, des vidéos en ligne, des visites de campus, des bannières publicitaires pour les trains, et d’autres méthodes diverses pour convaincre plus de jeunes hommes et de femmes à rejoindre l’armée. La proposition de budget pour l’année 2016 ajoutera encore 100 millions de yens.

Dès 2015, différentes mesures ont été prises dans le budget de la défense pour améliorer la condition des femmes, par exemple pour « remettre en état les installations de baignade des femmes à l’école de formation des officiers de la Force d’auto-défense terrestre » ou encore « 20 millions de yens pour le développement de la formation, etc., pour l’éveil de la conscience, l’élimination de la mentalité traditionnelle des rôles entre les sexes dans le milieu de travail… ».

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