11.10.2024
Les BRICS+ : vers une domination sans limites sur les marchés des matières premières ?
Tribune
30 mai 2024
L’acronyme BRIC, inventé en 2001 par Jim O’Neill pour désigner le potentiel économique du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine, est devenu BRICS en 2011 avec l’entrée de l’Afrique du Sud, et BRICS+ en août 2023. Les nouveaux membres que sont l’Arabie Saoudite, l’Iran, les Émirats arabes unis (EAU), l’Égypte et l’Éthiopie sont venus renforcer le poids économique et politique du groupe sur la scène internationale qui représente désormais 46 % de la population mondiale et 29 % du PIB global. Toutefois, c’est surtout du côté des matières premières énergétiques et métalliques que le groupe pourrait bien devenir un bloc dominant. Grâce à l’intégration des plus gros exportateurs ou détenteurs de réserves d’hydrocarbures (pétrole, gaz), les BRICS+ se posent en concurrent sérieux de l’OPEP. Dans le secteur des métaux, Brésil, Chine, Russie et Afrique du Sud étaient déjà des acteurs majeurs des marchés, mais c’était sans compter sur l’intégration de l’Arabie saoudite qui se rêve déjà en puissance minière, ou sur les possibles intégrations futures de l’Indonésie, la République démocratique du Congo (RDC) ou du Chili. Alors que la maitrise des matières premières devient stratégique dans le contexte de la décarbonation mondiale et de transition énergétique et numérique, un nouveau bloc fondé sur les matières premières pourrait émerger autour des BRICS+. Risque-t-on dès lors d’assister à la naissance d’une nouvelle alliance fondée sur les matières premières et utilisant ces dernières comme un levier diplomatique dans un monde d’insécurités climatiques, économiques et géopolitiques ?
L’expansion des BRICS+ dans l’économie mondiale
Les BRICS+ se caractérisent par un développement économique soutenu par un État bâtisseur, un secteur public important et une intégration à la mondialisation grâce au commerce de leurs ressources naturelles brutes et transformées. Ils représentent 25 % des exportations globales et les pays du G7 demeurent leurs principaux partenaires. En 2023, les BRICS comptaient pour 30 % du PIB mondial et 46 % de la population, contre respectivement 45 % et 10 % pour le G7. Toutefois, les BRICS historiques opèrent un dépassement du G7 si l’on regarde le PIB en parité de pouvoir d’achat : 31 % pour les premiers contre 29 % pour les seconds, signal du dynamisme de leurs économies et du déclin relatif des économies du G7. L’élargissement du groupe conforte son poids économique et démographique sur la scène internationale, alors que les BRICS+ entendent bien jouer un rôle croissant dans les arènes internationales, contestant en partie le système multilatéral hérité de 1945. En 2014, le groupe a par exemple créé sa propre institution, la New Development Bank, dotée de 100 milliards de dollars, destinée au financement d’infrastructures ainsi qu’au soutien des pays membres en cas de défaut de liquidités. Ces initiatives offrent une gouvernance alternative au système multilatéral traditionnel, en particulier au pays dit du Sud global.
L’entrée dans le club de l’Arabie saoudite et des EAU a renforcé le poids énergétique du groupe qui représente aujourd’hui 43,1 % de la production et 44 % des réserves de pétrole, et 35,5 % de la production et 53 % des réserves de gaz. Le soutien chinois à l’entrée du Nigeria et du Kazakhstan signale la volonté de certains de renforcer le poids énergétique des BRICS+. Du côté des matières premières alimentaires, les BRICS+ produisent 42 % du blé, 52 % du riz et 46 % du soja mondiaux, jouant ainsi un rôle clé dans la sécurité alimentaire mondiale. Ils occupent donc une position dominante et centrale sur plusieurs marchés de matières premières vitaux : nourriture, énergie, et maintenant, métaux.
BRICS+ : une position dominante sur le marché des métaux
Alors que les métaux deviennent centraux dans la transition bas-carbone et numérique, les BRICS+ occupent aujourd’hui une position dominante à la fois dans la production et dans les réserves mondiales de certains métaux critiques comme les platinoïdes, les terres rares et le cuivre.
En stimulant leur production et en développant leur potentiel minéral, chaque pays des BRICS+ cherche à sécuriser ses approvisionnements en métaux critiques et à renforcer sa position de producteur. Les BRICS+ offrent ainsi la possibilité à chacun des pays membres de renforcer les rapports bilatéraux pour ces matières stratégiques et de ne plus passer par les canaux traditionnels du commerce international. Pour la Chine, cela vise à pérenniser sa production de technologies bas carbone comme les batteries, les véhicules électriques et les panneaux solaires. Les pays membres diversifient également leurs investissements pour se renforcer sur d’autres métaux stratégiques qu’ils ne produisent pas. L’Arabie saoudite, par exemple, développe son industrie minière, attire des investissements étrangers, lance des partenariats, et aspire à devenir un pivot régional des échanges énergétiques et métalliques. Elle a investi dans le groupe brésilien Vale pour sécuriser le lithium et le nickel, et a lancé la production d’éponge de titane, matières clés pour les secteurs de l’armement et de l’aéronautique.
En plus de leurs ressources abondantes, les BRICS+ se distinguent par leur politique de restriction des exportations de métaux stratégiques. Tous les pays du groupe ont mis en place des restrictions variées, allant de taxes à des interdictions, en passant par le contrôle des licences. En décembre 2023, la Chine a interdit l’exportation des technologies de traitement et de raffinage des terres rares pour sécuriser son avance technologique. Elle extrait 60 % et transforme 90 % de ces dernières, des métaux essentiels pour la filière des aimants permanents que l’on trouve dans certaines technologies éoliennes, dans les moteurs de véhicules électriques et les smartphones. Elles sont considérées comme les vitamines de l’économie moderne. Une approche coordonnée des politiques de restriction des BRICS+ pourrait alors menacer la sécurité d’approvisionnement en métaux stratégiques, indispensables à la résilience énergétique et technologique de l’Europe, des États-Unis ou du Japon.
La perspective d’un bloc métallique est-elle crédible ?
Les BRICS+ renforcent leurs liens à travers des investissements croisés et des partenariats, formant un bloc particulièrement dominant dans le secteur des métaux et des technologies de transition. L’entrée des EAU et de l’Arabie saoudite, avec leur force de frappe financière, augmente les capacités d’investissements du groupe. L’Arabie saoudite a noué des partenariats avec le Brésil (Vale), la Chine (Human Horizons) et l’Égypte. La Chine cherche aussi à maîtriser les différentes étapes des chaînes de valeur de la transition bas-carbone, de la production de métaux, à la construction de technologie bas carbone, en passant par le raffinage. Le groupe se structure en partie autour de flux financiers sur des marchés stratégiques tels que les métaux.
Pour devenir un véritable bloc métallique, les BRICS+ devraient toutefois intégrer des pays comme le Chili, la RDC et l’Indonésie, ce qui augmenterait leur domination sur le marché des métaux. La RDC représente 74 % de la production mondiale de cobalt et 55 % des réserves, tandis que le Chili est un leader sur les marchés du cuivre et du lithium. Si la RDC a exprimé le souhait de renforcer ses liens avec les BRICS+, l’Indonésie a préféré rester indépendante malgré une invitation formelle à rejoindre le groupe, restant ainsi dans une position de non-alignée qu’elle a toujours défendue. Ces discussions sur l’adhésion ou non aux BRICS+ malgré des intérêts économiques a priori convergeant interrogent sur l’unité du bloc. Les pays des BRICS+ veulent concurrencer les grandes économies occidentales et réformer le système monétaire international pour concurrencer le dollar, mais des divergences limitent leur cohésion. Régimes politiques hétérogènes, convergence économique limitée, désaccords géopolitiques, compétition régionale … tous ces facteurs limitent l’homogénéité du bloc. L’adhésion aux BRICS+ n’est pas tant une volonté de rejoindre un bloc soudé sur la scène internationale, mais témoigne plutôt d’une stratégie de diversification des alliances. Les relations internationales contemporaines se caractérisent par un multialignement et une logique transactionnelle, c’est-à-dire des alliances ponctuelles en fonction des dossiers. La position de l’Arabie saoudite illustre ce nouveau régime diplomatique : tout en maintenant un partenariat solide et renouvelé avec les États-Unis, la monarchie du Golfe renforce ses liens avec la Chine et les BRICS+. Sur les métaux, les intérêts des membres convergent : maîtrise de la production de métaux stratégiques, contrôle des prix, position dominante sur la transition énergétique et monopole des technologies. Cela rend crédible la formation d’un bloc minéral ou a minima, une coordination des politiques extractives et commerciales.
Le risque de cartellisation des métaux par les BRICS+ pousse les autres acteurs, notamment l’Europe, à réfléchir à la sécurisation de leurs approvisionnements. C’est crucial pour l’Europe, car les coûts de la transition écologique dépendent largement du prix de ces matières premières. En réponse, la Commission européenne a publié en 2023 le Critical Raw Material Act pour « soutenir le développement des capacités intérieures et renforcer la durabilité et la circularité des chaînes d’approvisionnement » des matières premières critiques. Cela montre la tension croissante sur ces marchés et la prise de conscience d’un retour de la conflictualité. Ces tensions pourraient offrir à l’Europe l’opportunité de développer ses propres industries extractives, alignées avec ses standards de durabilité. En parallèle, l’Europe pourrait exporter ses normes environnementales. Combinées à une politique de sobriété et à un système de recyclage efficace, les mines européennes pourraient améliorer la sécurité des approvisionnements et réduire la dépendance à un éventuel cartel des BRICS+.