ANALYSES

Accord historique à la COP28 : « Le 21e siècle sera un nouvel âge d’or pour les métaux ! »

Interview
14 décembre 2023
Le point de vue de Emmanuel Hache

Le 13 décembre, un accord a été trouvé lors de la COP28 avec une transition décidée hors des énergies fossiles. Alors que la COP28 se déroulait aux Émirats arabes unis, un pays producteur de pétrole, avec la présence de nombreux lobbys, peut-on considérer cet accord comme historique ? Quelles seront les implications pour le modèle économique des pays producteurs de pétrole et pour les compagnies pétrolières ? Quel est leur niveau de préparation face à la transition énergétique ? À quelles recompositions géopolitiques doit-on s’attendre ? En sortant de l’économie pétrolière existe-t-il un risque d’entrer dans une nouvelle dépendance énergétique, notamment vis-à-vis des métaux rares ? Le point avec Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des questions relatives à la prospective énergétique et à l’économie des ressources naturelles. Son dernier ouvrage « Métaux, le nouvel or noir » (éd. Du Rocher, sept. 2023) a reçu le Prix Marcel Boiteux 2023 de l’association des économistes de l’énergie.

Le 13 décembre, un accord a été trouvé lors de la COP28 avec une transition décidée hors des énergies fossiles. Doit-on le considérer comme historique ’ ?

Il est difficile de considérer cet accord comme historique au premier abord tant les avis divergent entre les différentes parties prenantes. Certains le qualifient d’historique, d’autres d’étape ou de moment important et d’autres le jugent insuffisant. Pourtant, pour la première fois en 28 ans de COP, une référence à un abandon progressif des énergies fossiles figure dans le texte final. On peut certes regretter l’absence de termes comme « élimination » ou « sortie » des énergies fossiles avec une échéance précise, mais c’est sûrement la première fois qu’est évoquée de manière aussi claire la transition vers une économie non fondée sur les énergies fossiles. Ce qui est également clair, c’est que nous avons vécu un grand moment de créativité sémantique dans le texte final. Le terme « Phasing out » (sortie) a été remplacé par celui de « Transitioning away » (transition) pour permettre d’aboutir au consensus. L’accord est en outre plutôt insatisfaisant sur la question des émissions de méthane ou sur celle du charbon, pour lesquels il n’y a ni calendrier, ni chiffrage précis ou nouvelles avancées.

Face à l’urgence climatique, il faut toutefois regarder les points positifs et cette volonté mondiale d’accélérer : accélérer les investissements dans les énergies renouvelables (un triplement d’ici 2030), l’efficacité énergétique et accélérer sur le fond Pertes et préjudices. Une COP réussie est une COP qui mènera à l’action et nous verrons l’élan sur lequel s’appuieront les futurs développements sur les questions climatiques. Questionner l’organisation d’une COP dans un pays producteur est à mon avis vide de sens. Où aurait-on dû l’organiser ? Dans un pays consommateur dépendant du pétrole et du gaz ? Si nous cherchons un pays vertueux pour organiser les COP le choix est assez simple et plutôt rapide. Excepté le Costa Rica et peut-être le Bhoutan, il serait difficile de les organiser si l’on souhaitait trouver un pays vertueux sur ces questions.

Quelles seront les implications de cet accord pour le modèle économique des pays producteurs de pétrole et pour les compagnies pétrolières ? Quel est leur niveau de préparation face à la transition énergétique ? Doit-on s’attendre à des recompositions géopolitiques ?

L’accord n’est pas contraignant, mais c’est une invitation renouvelée à destination des différents acteurs sur la nécessité de transformer leur modèle économique et énergétique. Les compagnies pétrolières font face à de nombreux défis depuis une décennie : obligation de maintenir en partie le cœur de leur activité afin de ne pas disparaître, continuer à rémunérer leurs actionnaires et investir dans la transition énergétique. Les pressions du système bancaire international pour ne plus financer d’activités carbonées ne sont pas assez fortes tout comme la pression publique ou actionnariale. Elles vont toutefois devoir se transformer rapidement sous peine de perdre en attractivité auprès des jeunes diplômés, d’avoir dans leur bilan des actifs échoués et finalement de disparaitre… Certaines compagnies tentent de se transformer en compagnie énergétique globale…mais ce mouvement est excessivement lent et n’est pas à la hauteur des enjeux. Les majors européennes (BP, Shell et Total Énergies) sont certes beaucoup plus avancées sur ce sujet que leurs homologues américaines, avec des investissements dans le solaire, l’éolien, les batteries ou la distribution de gaz et d’électricité, mais ceux-ci ne représentent actuellement que quelques pourcents de leur chiffre d’affaires.

Pour les pays, les observations sont similaires. Les monarchies pétrolières du Golfe (Arabie saoudite, Koweït, Bahreïn, Oman, Qatar et Émirats arabes unis (EAU), l’Irak et l’Iran) représentent près de 50 % des réserves mondiales de pétrole (40 % pour le gaz) et leur degré de diversification est très hétérogène. Les trajectoires économiques ont toujours été pensées de manière indépendante. Au sein de l’OPEP par exemple, il n’a jamais existé un fond commun de redistribution et de diversification. Pour les pays producteurs, la transition bas-carbone est une inconnue. Pour la plupart ils ne maitrisent ni le rythme de la transition énergétique mondiale, ni la dynamique de déploiement des technologies bas-carbone réalisée dans les pays consommateurs et donc les évolutions de la demande de pétrole. Certains pays ont pris de l’avance dans le processus de diversification économique. Les pays les plus avancés (Émirats arabes unis et Qatar) fournissent de bons exemples de diversification avancée, couplée à une montée en puissance de leur soft power au niveau mondial. Malgré des efforts entrepris dès les années 1970 pour les plus avancés, et plus particulièrement depuis 2010 avec la mise en place de plan ou de vision, dont notamment la vision 2030 observée en Arabie saoudite, le manque de diversification demeure encore patent dans la plupart des pays exportateurs. Cette absence de dynamique renforcée maintient l’État et l’économie dans la dépendance au pétrole. La question de la diversification suppose de transformer radicalement les structures économiques des pays rentiers. Le problème est financier et temporel, car le compte à rebours a commencé pour les pays producteurs si, comme le prévoit l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande pétrolière enregistre un pic à l’horizon 2030.

S’insérer dans les chaînes de valeur mondiales ou régionales, développer l’innovation technologique et adapter le modèle économique et social à la nouvelle donne écologique mondiale nécessitent compétences, moyens financiers, coopération et vision.

À quel type d’énergie cet accord devrait-il bénéficier ? En sortant de l’économie pétrolière existe-t-il un risque d’entrer dans une nouvelle dépendance énergétique, notamment vis-à-vis des métaux rares ?

La transition bas-carbone passera par une électrification des usages et notamment du secteur des transports, qui consomment près de 60 % du pétrole au niveau mondial. De même, le secteur de la production d’électricité enregistre une transformation majeure avec le déploiement des énergies renouvelables (éolien et solaire) en lieu et place des centrales thermiques (charbon, gaz, etc.). Pour rappel, la première source de production d’électricité au niveau mondial reste le charbon (36 %).

Chaque nouveau MW installé de technologies bas-carbone nécessite une utilisation importante de métaux. La substitution des véhicules thermiques par des véhicules électriques n’est pas non plus sans poser de problèmes à la fois financiers pour les consommateurs (coût d’acquisition des véhicules), mais également d’un point de vue global et géopolitique. En effet, derrière chaque véhicule électrique il y a une batterie composée de métaux au premier rang desquels du cobalt, du lithium, du nickel et du cuivre. L’Agence internationale de l’énergie estime par exemple qu’un véhicule thermique est composé de 50 kg de matériaux dits stratégiques, contre près de 200 kg pour un véhicule électrique. Il faut toutefois rappeler qu’un véhicule électrique aura malgré la production de la batterie (et des impacts environnementaux associés) un meilleur rendement environnemental en termes d’émissions de gaz à effet de serre. En outre, ces impacts vont se réduire au fil du temps en raison notamment de la décarbonation du mix-électrique mondial.

En parallèle de ce gain environnemental, il est clair que la course à l’électrification des transports ajoutera une couche de complexité dans la transition bas-carbone mondiale. En effet, cette dernière est avant tout une transition métallique et métallivore, puisque nos consommations de métaux vont augmenter de manière exponentielle dans les décennies à venir. Et qui dit consommation dit importations et dépendances envers les pays producteurs de métaux. Dès lors, la transition bas-carbone risque de recomposer le paysage énergétique mondial avec de nouveaux producteurs de métaux devenant une pierre angulaire des relations internationales.

Le 21e siècle sera un nouvel âge d’or pour les métaux ! Parmi ces derniers, on trouve les pays producteurs des métaux clés des batteries de véhicules : le lithium, produit en Australie, en Amérique latine (Chili, Pérou, Argentine) et en Chine ; le cobalt, dont la plupart des réserves sont situées en République démocratique du Congo (RDC) et le nickel qui est exploité en Indonésie et aux Philippines. Les terres rares, que l’on retrouve dans les aimants permanents, sont extraites à plus de 60 % par la Chine.

L’ensemble des matières premières de la transition énergétique présente des niveaux de concentration de la production et des réserves qui sont très élevés et largement supérieurs à ceux de la première matière première échangée dans le monde, le pétrole. Cet état de fait pose la question d’une possible cartellisation des marchés à moyen terme, notamment du lithium ou de l’ensemble des matériaux des batteries. Cette perspective n’est pas la plus certaine, mais elle a le mérite de placer au cœur des développements écologiques mondiaux les pays producteurs de minerais et de métaux si souvent oubliés dans la transition bas-carbone au profit des pays développant les innovations technologiques. Si historiquement les conflits autour des matières premières se sont souvent focalisés sur les matières premières énergétiques, le contexte de la double transition numérique et écologique exacerbe la concurrence sur les marchés des matériaux stratégiques, notamment entre la Chine, acteur majeur de la production et surtout du raffinage des métaux, les États-Unis et l’Europe.

Finalement, c’est une véritable recomposition géopolitique à laquelle nous allons faire face dans les décennies à venir et les métaux seront au cœur des développements géopolitiques mondiaux.
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