ANALYSES

Niger : un drôle de coup d’État ?

Interview
8 septembre 2023
Le point de vue de Caroline Roussy


Le 26 juillet 2023, le président nigérien Mohamed Bazoum a été renversé par des militaires putschistes, membres de la garde présidentielle. Le 28 juillet, leur leader, le commandant Abdourahamane Tiani, a été proclamé chef de l’État. Comment comprendre ce coup d’État au Niger ? Alors que la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) étudie toutes les options, y compris militaires, pour rétablir Mohamed Bazoum dans ses fonctions, quelles sont les perspectives de règlement de cette crise ? Quelles en seront les conséquences géopolitiques et sécuritaires, dans un contexte d’augmentation des attaques terroristes et de montée du sentiment anti-français au Sahel ? Le point avec Caroline Roussy, directrice de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Afrique/s de l’IRIS.

Dans quel contexte comprendre le coup d’État au Niger ?

Le coup d’État survenu le 26 juillet dernier au Niger, visant à renverser le président Mohamed Bazoum, apparaît a priori comme un drôle de coup d’État. Selon la version la plus médiatisée, le général Abdourahamane Tiani à la tête de la garde présidentielle, nommé dans ses fonctions par le président Issoufou, aurait dû être mis à la retraite. Aussi aurait-il décidé, suivant une situation qui le concernait seul, de prendre le pouvoir. L’État-Major des armées nigérien lui aurait emboité le pas et l’aurait suivi dans cette aventure. Cette version souffre toutefois de nombreuses zones d’ombre. Comment comprendre que sur la destinée d’une personne l’avenir d’un pays puisse basculer ? Les raisons ne sont-elles pas plus structurelles ? Il faut sans doute lire des chercheurs nigériens comme Rahmane Idrissa pour appréhender la complexité de la situation. Selon son analyse, l’élection qui a porté Mohamed Bazoum au pouvoir n’était pas démocratique. Le processus électoral de 2021 aurait été entaché d’irrégularités. Toujours, suivant son analyse, des dissensions entre le gouvernement et l’armée sur la gestion de la crise sécuritaire existaient. Les hauts gradés auraient peu goûté de la réarticulation du dispositif post-Barkhane dans leur pays. La présence militaire française, s’ajoutant à des dysfonctionnements démocratiques, permettraient de comprendre pourquoi les putschistes s’installent durablement au pouvoir. Cette analyse, quoiqu’à contre-courant des informations distillées par la diplomatie française (le Niger un modèle démocratique, un partenaire militaire), jette une lumière crue sur un contexte qui avait mal été apprécié.

Alors que la CEDEAO prépare une intervention militaire, quelles sont les perspectives de règlement de la crise ?

La perspective d’une intervention militaire de la CEDEAO quoiqu’avancée à renfort de discours assez fermes de la part du président nigérian, Bola Tinubu – président en exercice de la CEDEAO -, ou du président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, semble s’éloigner. La voie de la négociation semble l’emporter. De nombreux chercheurs à l’international ont montré que cette intervention pourrait se révéler mortifère et funeste dans un pays en proie au terrorisme et ce tandis que les attaques sont en augmentation depuis le départ de Bazoum et que le Mali et le Burkina Faso ont fait connaître leur intention de soutenir militairement le nouveau régime de Niamey en cas d’attaque. Si d’autres experts ont évoqué le précédent gambien de 2017 et la réussite de l’ECOMIG[1], le contexte se révèle à maints égards différent. En effet, une opération de la CEDEAO sous commandement sénégalais avait alors permis le départ de Yayah Jammeh au pouvoir depuis 1994. Perdant de l’élection présidentielle et après avoir félicité son adversaire Adama Barrow, il avait finalement refusé de quitter le pouvoir. Si le départ du président Jammeh est à porter au crédit de la CEDEAO, il n’en demeure pas moins que son départ fut aussi une victoire des citoyens gambiens. Avant l’intervention de l’ECOMIG, les manifestations et boycotts du pouvoir de Jammeh étaient récurrents dans les rues de Banjul. C’est cette articulation contestation intérieure et pression extérieure qui avait permis la première alternance démocratique dans ce petit pays enclavé dans le Sénégal[2]. À l’époque, il n’est pas tout à fait inutile de le rappeler, la CEDEAO avait eu l’aval de l’Union africaine (UA) et de l’Organisation des Nations unies (ONU). Cette fois l’UA a penché en faveur de la négociation. L’Algérie de Tebboune, quoique non-membre de la CEDEAO, s’est montrée hostile à toute solution militaire et plébiscite une transition de 6 mois. La visite d’Ahmed Attaf, ministre des Affaires étrangères algérien, aux États-Unis a-t-elle infléchi leur décision de ne pas soutenir quelque intervention ? Ces derniers ont toutefois fini par concéder à la CEDEAO qu’ils ne s’opposeraient pas à leur décision, quand bien même elle fut-elle militaire. Seul le président français, Emmanuel Macron, a affirmé dans son discours aux Ambassadeurs, ce 5 septembre 2023, qu’il soutiendrait l’intervention quand la CEDEAO le déciderait. Une affirmation éludant d’emblée si la CEDEAO le déciderait… À l’international, les Français mis à part, les soutiens de cette option militaire ne sont pas légion. Au sein même de la CEDEAO des voix dissonantes se sont faites entendre comme celle du Cap Vert. Du reste, quelques questions demeurent : quel contingent ? Quels motifs juridiques ? Quelles ressources financières dégager ? C’est un point sur lequel l’organisation, qui dans des accents tout aussi tonitruants, s’était préparée à intervenir au Mali à la suite de la demande de Diocounda Traoré dans sa lutte contre les djihadistes ; intervention qui avait finalement achoppé.

Quoi qu’il en soit, plus d’un mois et demi après le coup d’État, une proposition pour un gouvernement de transition de 9 mois a fuité du côté nigérian, avant d’être démentie par le président Tinubu. Doit-on y voir malgré tout une inflexion reconnaissant le putsch au Niger ? La question mérite d’être posée. Le temps passe et semble être favorable au nouveau pouvoir à Niamey et ce en dépit des différentes sanctions déjà appliquées.

Quelles sont les conséquences de ce coup d’État sur la situation géopolitique et sécuritaire au Sahel, en particulier pour la position de la France dans la région ?

Depuis le coup d’État, il y a une augmentation des attaques terroristes sur le territoire nigérien, ce qui peut s’expliquer par une concentration des forces sur Niamey. Si l’opération Barkhane n’avait pas permis d’endiguer le terrorisme au Mali, qui était l’épicentre de son intervention, on observe depuis son départ une augmentation de la violence dans le pays à laquelle sans aucun doute les actions de la SMP Wagner ne sont pas tout à fait étrangères. La présence militaire française avait réussi à contenir la violence sans toutefois parvenir à l’endiguer ce qui aurait nécessité des actions plus structurelles. Il n’en demeure pas moins que la perception de la France, après une décennie dans le Sahel, est fortement dégradée et sa présence militaire de plus en plus contestée. Après avoir mené, durant plus d’un mois, un bras de fer assez absurde avec les putschistes, refusant le départ de son ambassadeur Sylvain Itté et des quelque 1500 soldats présents sur le territoire nigérien, au motif de leur illégitimité, la France semble depuis le 5 septembre se résoudre à quitter progressivement le pays. Des négociations auraient commencé en ce sens, même si à ce stade de nombreuses inconnues demeurent : sous quel délai ? Évolution vers une deuxième réarticulation du dispositif ? etc. Quoi qu‘il en soit, on peut sérieusement s’interroger sur la séquence écoulée. Pourquoi la France a-t-elle affiché autant de radicalité ? Pourquoi s’est-elle retrouvée au centre de la crise nigérienne au point de galvaniser des foules de manifestants contre le maintien de ses bases ou de son ambassadeur ? Il serait faux de croire que les Nigériens ont pris la rue, campé devant la base de Niamey, à coup de seuls billets de banque. Cette grille de lecture fleure une fois encore le mépris. Mépris de ne pas comprendre au-delà d’un « sentiment anti-français » une lame de fond politique et politisée. L’image de la France va sortir un peu plus écornée de cet épisode. Il sera sans doute difficile désormais pour le Niger de lutter contre la menace terroriste mais l’enjeu, aujourd’hui, est de lutter sans la France.

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[1] ECOMOG : Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group. ECOMIG : version gambienne de cette force.

[2] Suite aux différentes négociations, Jammeh a pris le parti de s’installer en Guinée Équatoriale le protégeant d’un mandat d’arrêt international pour les crimes commis lors de sa gestion de la Gambie.
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