ANALYSES

Le sommet du G20 à New Delhi : une affaire de prestige pour l’Inde et Narendra Modi

Tribune
7 septembre 2023


Pour la première fois depuis la création du G20 en 1999, un sommet se conclura vraisemblablement sans communiqué final mais par une simple déclaration de la présidence indienne. Certes, on ne peut exclure un compromis de dernière minute, comme à Bali l’an dernier au terme de la présidence indonésienne, où la formulation indienne sur la guerre en Ukraine avait fini par faire consensus. Mais tout au long de l’année écoulée, les positions se sont sensiblement durcies de part et d’autre, empêchant l’adoption de tout communiqué lors de chacune des réunions ministérielles thématiques. La raison en est toujours la même : les Occidentaux insistent sur des paragraphes condamnant l’invasion russe de l’Ukraine, tandis que Russie et Chine s’y opposent résolument.

Au cours du premier semestre, l’Inde voulait également éviter toute référence à ce conflit européen qui ne relève pas, selon elle, des compétences du G20. Elle en voulait particulièrement aux membres du G7, accusés de vouloir faire capoter la présidence indienne. Sa position a évolué au début de l’été et New Delhi s’est alors employée, sans succès, à convaincre Moscou et Pékin de faire un pas en direction d’un compromis.

Pour l’Inde, et tout particulièrement pour le Premier ministre Narendra Modi qui en a fait une affaire de prestige, la situation est particulièrement frustrante et il s’agit à tout prix de sauver la face, car la barre a été placée très haut par le gouvernement indien. Depuis le début de la présidence indienne en décembre 2022, les artères de toutes les métropoles du pays sont couvertes d’affiches et de banderoles géantes à l’effigie de Narendra Modi martelant la devise de cette présidence : « Une terre, Une famille, Un avenir ». Des mois durant, les médias nationaux ont présenté cette présidence tournante comme si, pour une année, l’Inde était de fait à la tête des vingt pays composant cet organisme et donnait le « la » aux dix-neuf autres. Rien de tel n’avait été suggéré l’an passé s’agissant de l’Indonésie qui présidait alors le G20.

D’ailleurs, initialement, ce n’est pas l’Inde qui devait exercer la présidence 2023. Selon l’ordre alphabétique, cette responsabilité aurait dû lui revenir en 2018, avant l’Italie. Mais, à la suite de différentes permutations, c’est finalement en 2023, après l’Indonésie et avant le Brésil que cette responsabilité lui a échu. Pour Narendra Modi qui doit affronter au printemps 2024 des élections qui, en cas de succès, lui confieraient un troisième mandat de cinq ans, cette présidence le place dans une situation avantageuse avant la campagne électorale proprement dite. Cette même année, du reste, le hasard des rotations a fait que New Delhi était également à la tête de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) au sein de laquelle l’influence chinoise est prépondérante. L’Inde est également le « I » des BRICS, qui viennent de décider, lors de leur sommet de Johannesburg, de s’élargir à six nouveaux pays. L’Inde s’en est officiellement félicitée, mais avec un manque d’enthousiasme certain, New Delhi – comme Brasilia – y voyant une dilution de son influence au profit de la Chine.

Pour l’Inde, qui a substitué le « multi-alignement » au moribond « non-alignement », l’objectif de rééquilibrer les institutions internationales reste plus actuel que jamais. Elle partage cet objectif avec la plupart des pays du « Sud global » dont elle se veut le porte-parole. Mais cette ambition vient buter d’une part sur la mauvaise volonté évidente des Occidentaux à céder le pouvoir dont ils disposent actuellement – quelles que soient les promesses à la sincérité discutable d’aider l’Inde à siéger comme membre permanent dans un Conseil de sécurité élargi – et d’autre part sur la rivalité croissante avec la Chine et la dépendance toujours plus grande de sa quasi-alliée de toujours, la Russie, vis-à-vis de cette même Chine.

Les relations entre Pékin et New Delhi n’ont jamais été simples, mais depuis quatre ans et les affrontements meurtriers entre soldats indiens et chinois à Galwan sur la frontière himalayenne, les tensions n’ont pas baissé, bien au contraire. L’armée de libération populaire chinoise occupe une partie du Ladakh – ce que le gouvernement indien ne reconnaît pas officiellement – et empêche effectivement l’armée indienne de patrouiller dans les secteurs où elle le faisait précédemment. Certes, à Johannesburg, Xi Jinping et Narendra Modi se sont brièvement rencontrés et ont affirmé leur volonté d’accentuer leurs efforts pour permettre un désengagement militaire de part et d’autre de la LAC (Line of Actual Control), faisant fonction de frontière sur les crêtes de l’Himalaya. Mais l’ambassade de Chine a peu après fait savoir, dans un communiqué humiliant pour Narendra Modi, que la rencontre avait eu lieu à la demande de la partie indienne.

Quelques jours plus tard, le gouvernement chinois publiait une carte officielle incluant dans son territoire l’État indien d’Arunachal Pradesh, que la Chine n’a jamais reconnu comme faisant partie de l’Union indienne, provoquant de vives réactions à New Delhi (et d’ailleurs, dans quelques autres pays également affectés par ce révisionnisme frontalier chinois). Dans la foulée, Pékin laissait entendre que le président Xi Jinping ne serait sans doute pas présent au sommet de New Delhi et se ferait représenter par le Premier ministre Li Qiang.

C’est un camouflet pour le Premier ministre Narendra Modi (Xi Jinping était présent l’an dernier à Bali, contrairement à Vladimir Poutine qui, cette année encore, est retenu à Moscou en raison de la guerre en Ukraine). Il faudra donc à Narendra Modi faire bonne figure et déployer tout son talent – qui est grand – pour présenter comme un succès l’issue du sommet qui, à ce stade, s’annonce décevante au regard des annonces passées.

Sur le plan intérieur, cela ne devrait pas constituer un problème : selon l’étude publiée fin août par le Pew Research Institute, sa popularité atteint 79 % parmi les Indiens qui sont également 68 % à penser que l’influence de leur pays dans le monde a progressé ces dernières années. Cependant, cette opinion est loin d’être partagée dans les 22 autres pays où la question a été posée : même parmi ceux dont la population est la plus favorable à l’Inde, la réponse à cette question n’est positive que pour 28 % en moyenne.
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