ANALYSES

Quelle géopolitique pour le mondial de football féminin 2023 ?

Interview
27 juillet 2023
Le point de vue de Lukas Aubin


Une semaine après le lancement de la 9e édition de la coupe du monde féminine de football organisée en Australie et en Nouvelle Zélande, cette première édition post-pandémie nous apporte une nouvelle fois la preuve que les questions politiques et sociétales prennent place au sein même des compétitions sportives. Que ce soit à l’initiative ou non des différents acteurs de la scène internationales – comme cela a pu être le cas avec le mondial masculin qui s’est tenu au Qatar en décembre dernier – la reconnaissance des peuples, le port du hijab ou encore la défense des droits des femmes et LGBTQIA+ sont autant de sujets qui ont déjà émergé durant cet événement. Lukas Aubin, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme sport et géopolitique répond à nos questions.

 

Le mondial de football féminin a démarré. Quel état des lieux peut-on dresser d’un point de vue géopolitique ?

Si l’on s’intéresse à ce qui fait en premier lieu la géopolitique, à savoir la géographie, c’est la première fois qu’un mondial féminin de football se déroule, d’une part, dans deux pays différents – Australie et Nouvelle-Zélande – et, d’autre part, en Océanie. Jusqu’à présent, trois continents avaient eu l’opportunité d’accueillir un mondial féminin : l’Europe, l’Asie et l’Amérique. Désormais, quatre continents auront accueilli cette compétition internationale. Le Mondial féminin semble donc suivre les traces de l’expansion du Mondial masculin, en s’exportant et en s’internationalisant à son tour. C’est un signe de bonne santé et de progression dans l’imaginaire global que les observateurs et observatrices portent sur le « football féminin ».

Pour la première fois, 32 équipes participent à la Coupe du monde, ce qui, évidemment, représente autant de pays différents et donc a un impact à l’échelle internationale plus important que les précédentes éditions. Parmi ces participants, on retrouve notamment quatre pays africains, dont le Maroc. Il est intéressant de noter que ce dernier développe, par l’intermédiaire du roi Mohammed VI, une stratégie politico-économico-sportive qui se concentre sur le développement du football de haut-niveau, aussi bien « masculin » que « féminin ». La participation du Maroc s’inscrit donc dans une stratégie plus large : faire rayonner le Maroc à l’international.

Autre élément important à l’échelle internationale et non des moindres, les drapeaux aborigène et maori flottent en Australie et en Nouvelle-Zélande durant chaque match pour représenter respectivement les peuples autochtones des deux pays. Depuis octobre 2022 et la création d’un comité aborigène et maori féminin pour conseiller les organisateurs de l’événement, la FIFA s’inscrit dans un travail de mémoire et reconnaissance réalisé par ces deux pays. La carte du monde selon la FIFA n’est pas la même que la cartographie des nations reconnues par l’ONU. En effet, la FIFA reconnaît 211 associations, alors que l’ONU reconnaît 193 pays. De fait, cela donne lieu à des situations inédites concernant la reconnaissance des peuples et nations et leur légitimation par les acteurs internationaux.

L’expansion du Mondial se traduit également à travers un record d’affluence annoncé par le président Gianni Infantino avec plus de 1.5 million de billets vendus. L’événement semble d’une certaine manière, refléter l’entrée du football « féminin » de haut niveau dans une nouvelle ère. Pour autant, cela ne signifie pas que les stades seront remplis. L’appel formulé par la FIFA pour inciter les supporters à se rendre dans les stades néo-zélandais afin d’assister aux rencontres rappelle le chemin qu’il reste à parcourir pour valoriser la pratique. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais de ce point de vue là, cette édition pourrait malgré tout être une réussite.

Par ailleurs, le match des Bleues qui a eu lieu le week-end dernier, a réuni 3.5 millions de téléspectateurs et téléspectatrices. Pour un match d’ouverture de l’équipe de France programmé un dimanche à midi, c’est une très bonne audience qui fait taire ou ravive – au choix – les débats autour de la diffusion des matchs et de l’intérêt pour la pratique. Des sujets qui posaient encore un problème aux diffuseurs un mois avant le début de la compétition. Bien qu’une solution ait été trouvée in extremis, cela rappelle une nouvelle fois qu’il y a encore du travail à faire sur la médiatisation du football « féminin ».

La FIFA n’hésite pas à prendre position notamment sur un sujet politique tel que celui de la reconnaissance des peuples autochtones. Existe-t-il un autre cas de figure pour lequel elle s’oppose à des politiques nationales menées par ses pays membres ?   

Oui, il existe au moins un autre cas de figure, celui du port du hijab. Dans certains sports il est autorisé, mais dans le cas du football il fait l’objet de débat. En France par exemple, le 29 juin dernier, le Conseil d’État a maintenu l’interdiction du port du hijab dans le cadre des compétitions footballistiques nationales alors que paradoxalement, la Fédération internationale de football l’autorise depuis 2014 dans le but de lutter contre les discriminations. Cela s’explique notamment par le fait que la FIFA par son rôle d’instance internationale prend en compte de nombreux partis différents à l’échelle internationale, notamment celui des pays musulmans ou non musulmans (Royaume-Uni, Finlande, États-Unis …) qui autorisent le port du hijab et participent au rayonnement du football, là où les conseillers d’État français, dans une problématique nationale, choisissent de l’interdire.  Ainsi, le 24 juillet dernier, la joueuse marocaine Nouhaila Benzina était-elle la première joueuse à pouvoir jouer en portant un hijab lors d’un match de Coupe du monde. Elle ne devrait pas être la seule femme concernée puisque l’arbitre palestinienne Heba Saadieh devrait également officier en portant – comme elle le fait habituellement – un hijab.

Megan Rapinoe, Marta, Ada Hegerberg, Alex Morgan… Le football féminin semble disposer de nombreuses figures militantes majeures. Comment expliquer cela ?

Il y a plusieurs façons de répondre à cette question. La façon la plus logique finalement, c’est de bien se rendre compte qu’évidemment, les femmes représentent à l’échelle mondiale environ 50 % de la population. La plupart des sociétés, qu’elles soient occidentales ou non occidentales, sont des sociétés patriarcales dans lesquelles de nombreux sports restent des bastions de la masculinité. On le sait notamment par l’intermédiaire de Pierre de Coubertin qui en 1894, en créant le CIO, puis en 1896 la première édition des Jeux olympiques modernes à Athènes, a décidé d’interdire la participation des femmes à la compétition. Selon lui, les femmes ne pouvaient pas pratiquer un sport de haut niveau parce que c’était inesthétique, parce que ce n’était pas féminin et parce que ça allait les enlaidir. Encore à ce jour, le regard porté sur la pratique sportive des femmes est sexiste, même si l’on tend lentement vers la reconnaissance des performances et l’égalité.

Beaucoup de personnes à l’échelle du monde pensent de cette façon et sont encore très étonnées de constater que le football peut être pratiqué par les femmes, alors que le football est le sport le plus pratiqué à l’échelle planétaire. Ça n’a donc évidemment rien d’illogique, d’autant plus qu’il n’y a pas de sport sexué ou genré par essence. En fait, cette différence de rapport entre les hommes et les femmes est représentative de cette différence de regard et de représentation que l’on porte sur les hommes et les femmes à l’égard de la pratique du sport de haut niveau. Ceci explique justement cette montée en puissance de nombreuses figures de contestation et de revendication dans le football féminin. Il y a cette idée qu’il faut défendre à la fois les droits des femmes, il faut les augmenter, évidemment, à l’échelle internationale, à travers le football. Dans une perspective intersectionnelle, il y a également la défense des droits des LGBTQIA+. Sur ce sujet encore largement tabou, le football « féminin » a d’une certaine manière pris de l’avance grâce aux actes militants de joueuses emblématiques alors que dans le football « masculin » il est plutôt invisibilisé et reste un sujet tabou. Il existe un écart abyssal entre les joueuses “outées” (95 joueuses selon le média Outsports[1]) et/ou se revendiquant queers et les joueurs “outés” et/ou queers (aucun lors du mondial au Qatar).

Néanmoins, paradoxalement, la FIFA a réitéré son positionnement par rapport à la Coupe du Monde au Qatar concernant le refus du port du brassard aux couleurs LGBTQIA+. En effet, l’instance doit composer avec énormément de pays dont les législations sont encore ouvertement homophobes. On le voit de nouveau, la FIFA dispose de ses propres géographies et de ses propres logiques géopolitiques. Cela n’empêche pas les joueuses de passer le message de manière originale. Comme l’ont déjà fait Ali Riley, joueuse et capitaine australienne qui s’est vernie les ongles aux couleurs LGBTQIA+ ou encore Thembi Kgatlana, joueuse sud-africaine qui s’est teint un arc-en-ciel dans les cheveux. Plusieurs équipes nationales étant particulièrement engagées sur la question, il faut probablement s’attendre à d’autres événements de ce type durant la compétition.

En réalité, le football, et plus largement le sport, est le reflet de l’évolution des sociétés. Cette Coupe du monde n’a pas encore révélé tous ses secrets.

 

[1] Outsports. « At Least 94 out LGBTQ Athletes in the 2023 Women’s World Cup » . Outsports, 25 juillet 2023. https://www.outsports.com/2023/7/11/23787885/world-cup-women-gay-lesbian-lgbtq-usa-australia-brazil.
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