ANALYSES

La réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, symbole de l’affaiblissement de l’Occident ?

Tribune
11 mai 2023


La réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe après dix ans d’exclusion est le signe de l’évolution de la politique internationale et de l’affaiblissement de l’Occident. Dimanche 7 mai 2023 est une date funeste, jour où l’organisation a décidé du retour en son sein du pays dirigé par Bachar Al-Assad. Il ne s’agit pas d’une décision inattendue. Les Émirats arabes unis et la Russie poussaient en ce sens depuis deux ans. Les nombreuses rencontres entre le président émirati, cheick Mohammed ben Zayed, et son homologue syrien, Bachar Al-Assad, ainsi que les pressions de la Russie, œuvraient en ce sens avec de plus en plus d’insistance.

La réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe peut cependant être considérée comme un succès diplomatique important pour l’Arabie saoudite, le pays étant le principal artisan de ce revirement régional dans sa dernière ligne droite et accueillant le prochain sommet de la Ligue arabe la semaine prochaine. La décision de dimanche peut donc être aussi interprétée comme un échec de la diplomatie émirienne vis-à-vis du voisin saoudien, ce qui ne manquera pas d’alimenter un peu plus la rivalité entre les deux pays. Les Saoudiens, après leur réconciliation de ces derniers mois avec l’Iran sous l’égide chinoise, ont en effet changé de cap et mis tout leur poids diplomatique pour la réintégration de la Syrie au sein de l’organisation. Il n’aura pas été difficile de convaincre la Jordanie qui plaidait en ce sens depuis des années, ou l’Irak et l’Égypte dont la dépendance financière vis-à-vis de Riyad est cruciale.

L’activisme saoudien en ce domaine pour complaire à ses nouveaux amis et alliés iraniens, chinois ou russes peut s’expliquer de différentes façons : son absence totale d’intérêt pour la situation des droits de l’Homme et la lutte contre le trafic de drogues, la Syrie étant la principale productrice de captagon ; sa volonté de s’imposer comme puissance diplomatique régionale.

Sur le plan diplomatique, les actions se sont accélérées après le tremblement de terre qui a frappé la région turco-syrienne. Début mars, la visite de Fayçal Al-Meqdad, le ministre des Affaires étrangères syrien, à Riyad a permis la reprise des relations consulaires entre les deux pays. Cette visite a été suivie deux semaines plus tard d’une visite de Fayçal Ben Farhan, le ministre des Affaires étrangères saoudien à Damas et d’une rencontre avec Bachar Al-Assad.

Ceci vient illustrer une fois de plus le souhait de Mohammed Ben Salmane, le dirigeant saoudien, de démontrer son indépendance vis-à-vis de l’Occident et en particulier des États-Unis. Jack Sullivan, le chef du National Security Council américain, était à Riyad la semaine dernière et nul doute que cette question ait été discutée. Les Saoudiens ne sont pas naïfs pour penser que le régime syrien modifiera en quoi que ce soit son attitude répressive à l’encontre de sa population (ce dont il n’a que faire) ou ses alliances, ou qu’il tiendra ses promesses. Il ne l’a jamais fait. C’est là au moins une constante qu’il faut lui reconnaître. La vente de la drogue finance les barons du pouvoir syrien et les milices plus ou moins affiliées à l’Iran.

La récente visite, début mai, d’Ebrahim Raïssi, le président iranien, à Damas, la première pour un chef d’État iranien depuis dix ans, vient confirmer les liens de dépendance étroits qui se sont créés entre la Syrie et l’Iran.

Par ailleurs, l’échec de la diplomatie russe (Damas reste très dépendant de Moscou) à convaincre la Syrie de renouer avec la Turquie, lors de la visite de Bachar Al-Assad à Moscou en mars dernier, le président syrien exigeant l’évacuation des troupes turques du nord de la Syrie comme préalable à toute normalisation, ne semble pas avoir affecté ni les Russes ni les Turcs qui continuent à planifier des discussions qui ne peuvent aboutir tant les positions sont divergentes. Mais cela donne l’illusion de la poursuite d’un dialogue aussi improbable soit-il.

Cette réintégration de la Syrie à la Ligue arabe voulue et imposée par l’Arabie saoudite répond certes à l’action de la Jordanie, voisin immédiat de la Syrie qui accueille des centaines de milliers de réfugiés syriens et par laquelle transite une grande partie du trafic de drogue alimenté par Damas, ne fait cependant pas l’unanimité. Des pays arabes y étaient favorables (Émirats arabes unis, Irak, Liban et Sultanat d’Oman), d’autres étaient réticents comme l’Égypte à qui l’on a forcé la main et qui ont donné leur accord du bout des lèvres, contraints et forcés par la situation économique de leur pays) ; d’autres pays y étaient nettement opposés comme le Qatar et le Koweït dont les voix dissonantes ont été noyées dans la procédure de consensus adoptée pour prendre cette décision.

L’Europe a pu surmonter ses dissensions après la Seconde Guerre mondiale pour œuvrer vers une union, en partie grâce au procès de Nuremberg où les crimes commis durant la guerre ont trouvé une issue judiciaire aussi imparfaite et incomplète que nécessaire. Il y a fort à craindre que les auteurs des abominations contre le peuple syrien restent, quant à eux, impunis…
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