ANALYSES

Soudan : quels sont les facteurs à l’origine des affrontements ?

Interview
26 avril 2023
Entretien avec Marc Lavergne, géographe, directeur de recherche au CNRS et à l'Université de Tours.


Depuis le 14 avril dernier, des affrontements meurtriers opposent les militaires du président actuel, le général Abdel Fattah al-Burhane, aux Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Daglo dit Hemetti. Plusieurs pays, dont la France, ont entrepris d’évacuer leurs ressortissants et ont fermé leurs ambassades. Josep Borell, vice-président de la Commission européenne et représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a annoncé l’évacuation de plus de 1000 Européens. Alors que le pays subit un enchevêtrement de crises politiques depuis les manifestations de décembre 2018, comment expliquer l’apparition de tels affrontements ? Marc Lavergne, géographe, directeur de recherche au CNRS et à l’Université de Tours fait le point sur la crise en cours.

 

Alors que l’année 2019 laissait espérer un sursaut démocratique, le Soudan est confronté à un nouveau conflit opposant les hommes du général Abdel Fattah al-Burhane aux milices paramilitaires de Hemetti. Comment expliquer cette recrudescence de la violence au Soudan ? Quels sont les facteurs à l’origine de cette crise ?   

Tout d’abord, cette crise est due à une compétition pour le pouvoir et pour l’argent. L’armée avait la haute main sur le budget national. Puis, il y a eu l’émergence, dans son ombre, de cette force parallèle, les Forces de soutien rapide (FSR), qui s’est enrichie. Aujourd’hui, il est question de faire rentrer ces paramilitaires « dans le rang » de manière à leur couper les ailes, à en faire des soldats professionnels et à les empêcher de faire des trafics d’or et de migrants à travers les frontières. Il s’agit également d’empêcher leur chef, Hemetti, de devenir le leader du Soudan. Ce dernier possède une politique extérieure entièrement indépendante de celle des militaires au pouvoir. Il a pour objectif d’écarter le président en titre, le général Abdel Fattah al-Burhane qui, en octobre 2021, a organisé un coup d’État qui a mis fin à la transition démocratique engagée en 2019 en limogeant tous les civils au gouvernement. Ainsi, on assiste, en quelque sorte, à une compétition entre deux crocodiles dans un même marigot. Il s’agit ici non pas d’une guerre civile, mais d’une guerre entre deux armées dont le peuple reste spectateur.

Les Soudanais, quant à eux, ont très clairement affiché leurs revendications depuis le soulèvement de décembre 2018. Ils voulaient la fin du régime militaro-islamiste en place depuis 30 ans. Or, le général al-Burhane était un bras droit d’Omar el-Béchir, soit un complice de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Il est loin d’être un démocrate. Il s’agit  par ailleurs d’un homme soutenu par des réseaux islamistes. Il faut dire que depuis 30 ans, les militaires sont financés par le « business islamiste » et les prédations directes sur l’économie.

Pour autant, cette soif de démocratie du peuple soudanais s’incarne dans les Forces de la liberté et du changement (FFC) qui sont le regroupement des jeunes qui manifestent héroïquement toutes les semaines, tous les mois, dans toutes les villes du Soudan central, et ce malgré des dizaines et des dizaines de morts. Ce sont ici des étudiants, de jeunes travailleurs, des catégories d’avenir qui viennent du centre du pays, de la vallée du Nil, etc. De plus, ils ne connaissent pas très bien les périphéries comme le Darfour, les monts Nuba ou encore les montagnes de la mer Rouge ; toutes ces régions périphériques complètement abandonnées depuis des décennies par le pouvoir central et qui se révèlent aujourd’hui.

 

Quelles réactions ces affrontements ont-ils suscitées auprès des pays de la région et de la communauté internationale ?

Ces affrontements ont suscité de la surprise, bien que ces derniers étaient tout à fait prévisibles. Dans le contexte que nous venons de mentionner, il n’y a d’autre moyen de régler ce conflit que par les armes. Il est nécessaire que l’un des deux disparaisse.

Les pays occidentaux ont cru voir, en 2019, une transition démocratique qui se déroulerait de manière harmonieuse à condition qu’on appuie financièrement la transition et qu’on soutienne diplomatiquement les efforts du Premier ministre Abdallah Hamdok, qui lui parle « l’occidental », le langage de la Banque mondiale et non celui des Soudanais. Dès lors, Abdallah Hamdok était « hors-jeu ». Tout comme Emmanuel Macron lorsqu’il accueillait les jeunes de la révolution à Paris, en les félicitant, en se glorifiant lui-même de cette percée démocratique au Soudan, alors que le rapport de force n’y était pas du tout.

En somme, il est étonnant que les pays occidentaux ne s’intéressent qu’à la façon d’évacuer leurs ressortissants. Il s’agit ici d’un aveu de faiblesse et d’aveuglement lorsqu’on considère l’ampleur de l’enjeu que représente l’issue cette crise soudanaise. On assiste à une crise globale, une crise des États-Unis contre la Russie, mais aussi de l’Occident contre des forces émergentes des pays du Sud et des pays de l’Est. Tout ceci mérite plus d’engagement que le souci d’évacuer nos hommes d’affaires et nos diplomates. On ne peut considérer qu’il s’agit, ici, d’un conflit isolé dont les répercussions ne dépasseront pas les frontières. Les Occidentaux en payeront le prix très directement. Par ailleurs, la manière dont est gérée cette crise est reliée à la façon dont notre président voit la diplomatie : une vision où ce n’est plus la peine d’avoir des ambassadeurs qui parlent les langues locales ou qui connaissent le pays. Désormais, on peut faire de sous-préfets ou de responsables de la sécurité sociale des diplomates.

Enfin, à l’échelle régionale, les Pays du Golfe entretiennent un rapport ambivalent vis-à-vis des affrontements soudanais. Par ailleurs, l’Égypte, l’Arabie saoudite ou encore les Émirats arabes unis craignent l’installation d’une démocratie et demeurent dans l’embarras quant à la manière d’agir au Soudan.

 

Depuis plusieurs années, le groupe Wagner est implanté dans le pays avec un accès privilégié aux mines d’or. De plus, la Russie et le Soudan sont liés par une coopération à la fois militaire et économique. Quelle est l’implication du groupe Wagner dans ce conflit ? Quelle position la Russie adopte-t-elle à cet égard ?

On a tendance à regarder davantage les implications internationales de ce conflit alors qu’il n’en demeure pas moins qu’il y a des racines locales à cette situation. Wagner est présent au Soudan depuis fort longtemps, tout comme en Centrafrique ou ailleurs sur le continent. Il y a, effectivement, une alliance avec le Soudan qui ne date pas de la crise ukrainienne. À l’époque, il s’agissait purement d’une activité de mercenariat. Désormais, elle prend la forme d’une transaction commerciale : Hemetti fournit de l’or à Wagner afin d’obtenir des armes en échange. Seule une partie de l’or soudanais est envoyé à Moscou, l’essentiel de l’or du pays est exporté vers Dubaï.
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