ANALYSES

Quelle réponse européenne au défi chinois ?

Presse
5 avril 2023
Mais que viennent faire tous les Européens à Pékin ? Après la visite du chancelier allemand Olaf Scholz (la moitié des investissements européens en Chine), puis celle du président du Conseil européen Charles Michel en novembre dernier, c’est le président du Conseil espagnol Pedro Sánchez qui s’est rendu la semaine dernière à Pékin. Le président Macron et la présidente de la Commission Ursula von der Leyen s’y rendent conjointement cette semaine.

Aucun doute ne plane sur la nature du régime chinois avec son parti unique et un système de surveillance autoritaire de la société civile. Pas plus non plus que sur son régime économique qui mêle capitalisme d’Etat et petite économie de marché, autour de deux objectifs clairs : atteindre une prospérité de masse comme outil de légitimité populaire du parti-Etat ; devenir une puissance économique capable de rivaliser ou de s’imposer face au monde occidental et de garantir la pérennité du régime.

La fable des passions et des intérêts

Tels étaient les objectifs explicites de la stratégie d’ouverture et de libéralisation de Deng Xiaoping au début des années 1980. Les pays occidentaux ont joué le jeu au titre de la division du bloc communiste dès la visite du président Nixon à Pékin en 1972, puis au titre de la doctrine du doux commerce de Montesquieu : en créant un jeu à somme positive, l’interdépendance commerciale des intérêts pacifie les passions (géo)politiques.

Reste qu’ils cultivaient le secret espoir que la prospérité conduise à une démocratisation du régime, sous la pression d’une population plus éduquée et riche, et donc plus exigeante sur les libertés individuelles et la démocratie politique. L’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 a constitué le point d’orgue de cette stratégie.

Cet espoir a été doublement douché. Sur le plan économique, tout d’abord, le poids de la Chine dans le produit intérieur brut (PIB) mondial (en parité de pouvoir d’achat) a bondi à 20 %, contre 2 % en 1980. Dans le même temps, celui de l’Union Européenne reculait de 26 % à 15 % entre les deux dates, et de 63 % à 42 % pour l’ensemble des pays occidentaux. Sur le plan politique ensuite avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 et sa reconduite pour un troisième mandat l’an dernier à la tête du PCC, puis en mars de cette année à la tête de l’Etat.

La belle mécanique prévue s’est doublement enrayée. D’une part, le bloc communiste a été reconstitué, même si le plan de paix proposé récemment par Pékin ne constitue pas un alignement sur la Russie de Poutine dans une guerre qui perturbe sa stratégie patiente. Pire : l’espace géopolitique chinois s’est notablement élargi en Asie, en Afrique, en Amérique latine et désormais au Moyen-Orient avec le récent plan de paix entre Téhéran et Riyad.

D’autre part, la conquête de la puissance économique, désormais indubitable, s’est traduite par un durcissement politique du régime. Ce, même si la remise en cause populaire de sa politique zéro Covid a rappelé au monde entier qu’il ne faut surtout pas confondre le régime de Pékin et la Chine en général, dont l’histoire est émaillée de révoltes populaires contre ses dynasties impériales.

Le plan B occidental

Bref, le monde occidental est condamné à réécrire toute sa stratégie vis-à-vis du régime de Pékin, mais aussi des Chinois dont il risque à tout moment de resserrer les liens de loyauté face au risque de déstabilisation, comme il en a fait l’amère expérience au siècle dernier.

Côté Etats-Unis, la stratégie militaro-technologique semble désormais arrêtée d’un commun accord transpartisan : il faut empêcher à tout prix la Chine d’atteindre un statut de superpuissance globale lui permettant de dominer le monde, ou a minima de constituer un front remettant en cause l’hégémonie occidentale, dont les Etats-Unis sont le leader.

Côté européen, les choses sont plus compliquées. Pékin a connu un succès relatif ces dernières années en cherchant à « diviser pour mieux régner », y compris en jouant sur les frictions permanentes entre les Etats-Unis et l’Europe, telles qu’elles se sont manifestées récemment, par exemple, autour du plan Biden de l’Inflation Reduction Act (IRA). Chaque visite bilatérale est l’occasion pour Pékin d’offrir à chacun des concessions qui l’avantagent vis-à-vis des autres comme l’Allemagne et son secteur automobile, ou encore l’Espagne et l’agroalimentaire.

La France n’est pas en reste, à en juger par les visites de chacun de ses présidents qui défendent pied à pied les secteurs aéronautique, bancaire, du luxe ou de la distribution. Cette fois pourtant, le président Macron emporte avec lui la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen qui vient d’annoncer il y a quelques jours une « doctrine européenne chinoise commune et ambitieuse ».

Son long discours devant le Mercator Institute of China Studies (MERICS) et le Centre de politique européenne s’articule autour de deux idées simples mais pas si faciles à articuler.

Première idée : la Chine est devenue un rival systémique au sens où sa puissance économique et géopolitique remet en cause les intérêts et les valeurs de l’Europe dont ses deux piliers, l’économie de marché et la démocratie libérale. Il convient donc de trouver une réponse aux risques politiques et géopolitiques d’affrontement.

Mais, deuxième idée, la Chine est aussi devenue une puissance économique incontournable pour le bloc européen : elle représente 9 % de ses exportations, 20 % de ses importations (20 % et 12 % respectivement pour les Etats-Unis) et plus de 10 % de ses investissements étrangers.

Le tout sans compter la puissance technologique chinoise dont un institut australien vient d’estimer que le pays tenait la première place mondiale dans 37 domaines scientifiques sur les 44 secteurs « critiques » étudiés. L’intelligence artificielle serait l’un des seuls secteurs dans lesquels les Etats-Unis conservent la prééminence. Les pays européens sont quant à eux rarement présents sur le podium.

Bref, plus de doux commerce, mais un commerce aigre-doux, comme dans la célèbre cuisine chinoise sweet and sour, mélange de sucre et de vinaigre. Même si la stratégie n’a pas encore été discutée largement par les Européens, outre le règlement sur le filtrage des investissements étrangers adopté en mars 2019 et qui visait surtout la Chine, trois grands programmes de la Commission ont ainsi été adoptés par le Conseil européen depuis dix-huit mois : le Net-Zero Industry Act qui se veut aussi une réponse à l’IRA ; le Critical Raw Material Act qui vise là encore à assurer une protection de l’Europe dans les matériaux critiques dont la Chine a conquis en quelques années un quasi-monopole, notamment dans les terres rares transformées ; enfin, le Global Gateway qui est cette fois une réponse spécifique aux Routes de la soie chinoises avec le chiffre annoncé de 300 milliards d’euros à destination en particulier de l’Afrique.

Des Européens divisés

Les Européens sauront-ils s’unir concrètement et ne pas céder aux sirènes de Pékin dès qu’un de leurs intérêts pourrait être menacé ? La réponse n’est pas évidente dans les domaines des voitures électriques ou des panneaux solaires à batteries lithium pour stocker l’électricité. Les critiques contre la visite en solo du chancelier allemand montrent que la pression monte pour mettre fin à la stratégie du « diviser pour mieux régner » qui pourrait en effet être plutôt derrière nous, guerre en Ukraine oblige. Il reste néanmoins trois questions.

La démarche de Madame von der Leyen et, derrière, de la Commission voire du Parlement n’est-elle pas maladroite dès lors qu’elle n’exprime aucun regret, voire acte de contrition pour les atrocités commises par les Européens en Chine au siècle dernier comme le pillage puis l’incendie du Palais d’été en 1860 ? On sait que cette période continue de traumatiser le peuple chinois et que le régime joue évidemment sur cette corde sensible.

Démarche également maladroite peut-être en franchissant ouvertement des lignes rouges pour Pékin : s’ingérer dans ce qu’elle considère ses affaires intérieures en ce qui concerne notamment le Xinjiang et Taïwan.

Démarche cette fois plutôt contradictoire en claironnant la défense des valeurs européennes du libre marché tout en adoptant de plus en plus de mesures protectionnistes et réglementaires, reconnaissant de facto que l’économie libérale de marché est un mythe dès lors qu’il s’agit de développement stratégique, et c’est finalement ainsi que la Chine a réussi son come-back comme le dit l’économiste Dani Rodrik.

L’Europe n’a pas encore trouvé sa voie, et sa voix, face à la Chine.
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