ANALYSES

Rapport du GIEC, Conférence des Nations unies sur l’eau … Peut-on encore éviter une crise mondiale de l’accès à l’eau ?

Interview
24 mars 2023
Le point de vue de Julia Tasse

La Terre s’est réchauffée de 1,1°C depuis l’ère préindustrielle et les actions mises en place pour lutter contre les changements climatiques sont insuffisantes. C’est avec ces constats que débute la synthèse du 6e rapport du GIEC publiée lundi 20 mars 2023. Ce document aussi politique que scientifique met également l’accent sur la crise imminente de l’accès à l’eau, qui fait aussi l’objet d’une Conférence des Nations unies qui se déroule actuellement à New York, le premier sommet international consacré à l’eau douce depuis 46 ans. Quel est le bilan fait par le dernier rapport du GIEC ? L’eau potable va-t-elle faire défaut ? Quelles sont les solutions à mettre en place ? Le point avec Julia Tasse, directrice de recherche à l’IRIS, responsable du Programme Climat, énergie et sécurité.

Que faut-il retenir du rapport du GIEC et surtout quelles sont les solutions mises en avant par les experts ?

Le document qui a été publié lundi 20 mars est très particulier, car il s’agit de la synthèse du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Pour mieux en comprendre la singularité, il faut avoir en tête que ce rapport est divisé en trois volumes, qui sortent successivement : le premier volume date de l’été 2021 et s’attache à restituer les avancées en matière de compréhension des changements climatiques ; le deuxième porte sur les impacts humains et sur les écosystèmes de ces changements, il est sorti en février 2022  ; le troisième, publié en avril 2022, s’intéresse aux moyens disponibles pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre et atténuer les risques climatiques. Pourquoi donc sortir une synthèse de ces trois rapports près d’un an après la publication du dernier volume ? Tout simplement, car la synthèse fait l’objet de débats politiques, son contenu devant être validé par les représentants des États membres du GIEC.

Les formulations et les éléments présents dans cette synthèse sont donc scrutés par les spécialistes, pour comprendre l’évolution d’une part, des découvertes scientifiques et d’autre part, du discours politique autour des changements climatiques. On peut donc conclure de cette synthèse :

1- Que nous sommes engagés, par nos investissements dans les infrastructures d’extraction d’énergies fossiles, dans une trajectoire qui verra la température moyenne globale augmenter de 1,5°C en 2030. Il nous faut stopper l’ouverture de toute nouvelle infrastructure pour avoir une chance de ne pas dépasser ce seuil.

2- Que les flux financiers pour réduire nos émissions (énergies renouvelables et décarbonées) sont largement insuffisants, et restent bien inférieurs à ceux dédiés aux énergies fossiles.

3- Que chaque 0,1°C supplémentaire augmente les risques pour les populations humaines comme les écosystèmes, ce qui permet, a contrario, de rappeler que toute capacité de limiter les émissions doit être mise en œuvre.

Dans l’analyse des mots, l’occurrence faible de termes pourtant centraux en termes de conclusion, par exemple, le terme « énergies fossiles », porte la marque des votes d’États membres qui n’ont pas intérêt à ce qu’on rappelle le poids climatique du pétrole, du charbon et du gaz. La mention répétée des  « technologies de capture et de stockage du carbone », ainsi que  « d’élimination du carbone » (carbon removal), révèle une évolution de la vision qu’ont les scientifiques et la communauté internationale de ce qui tient davantage du dernier recours que d’une solution.

A été évoquée la « crise mondiale de l’eau imminente », lors de la Conférence des Nations unies sur l’eau qui se tient actuellement. L’accès à l’eau a-t-il été occulté dans la lutte contre les changements climatiques ? Est-il encore réaliste de viser un accès à l’eau potable et à l’assainissement, un des objectifs de développement durable (ODD) de l’agenda 2030 adopté par l’ONU ?

L’accès à l’eau n’est pas occulté, il apparaît plusieurs fois dans la synthèse du rapport de GIEC, davantage sous le terme de sécurité hydrique. Il y est clairement affirmé que les impacts des changements climatiques vont modifier les régimes de précipitation et affecter la sécurité hydrique. Cependant, les dernières années ont été déterminantes politiquement : les problèmes d’accès à une eau potable se sont multipliés, partout autour du monde, et notamment en France, en métropole comme dans les outre-mer. Si cela avait été répété par les scientifiques depuis de nombreuses années, il a fallu ces sécheresses pour que les chefs d’État se mobilisent plus avant. La conférence des Nations unies est essentielle, face à une problématique qui fait d’ores et déjà énormément de victimes et dont la tendance est à la hausse. L’accès à l’eau potable et à l’assainissement doit être une priorité en termes d’investissement. Ce « réalisme » évoqué dans la question ne sera rendu possible que par des fonds importants.

En France, une coalition d’ONG, via la campagne S-Eau-S, demande notamment au président Emmanuel Macron de rajouter un segment « eau douce » à la Conférence des Nations unies sur les océans que la France organisera en 2025, ainsi que dans le cadre des prochains One Planet Summit. Cette piste vous semble-t-elle intéressante ? Quels sont les enjeux d’une gestion durable de l’eau douce ? Quel rôle doit- jouer la France ?

Les One Planet Summit peuvent adopter des thèmes : One Ocean Summit, One Forest Summit. Ils peuvent donc tout à fait mettre en lumière l’enjeu de l’accès à l’eau, un One Water Summit. Tous les enjeux environnementaux sont liés, les changements climatiques modifient les précipitations, affectent les écosystèmes marins comme continentaux, toutes les enceintes internationales évoquant les sujets environnementaux sont donc nécessairement en lien et en discussion. Néanmoins, une première étape consisterait déjà, selon moi, pour le gouvernement français à démontrer sa capacité à gérer les enjeux d’accès à l’eau sur ses propres territoires.

La France peut cependant jouer un rôle à l’échelle européenne, en étant moteur d’action et d’engagement sur la question. La situation française en termes de difficulté à faire face aux sécheresses illustre parfaitement qu’en addition à la quantité d’eau disponible, la question des usages est centrale. Les secteurs agricole, énergétique, industriel sont de gros consommateurs d’eau, et ces équilibres doivent faire l’objet de discussions aux échelles nationale et européenne.  Si de telles discussions ne sont pas menées à terme, la sécurité hydrique et alimentaire des populations pourrait être menacée, mais aussi la stabilité des relations entre les États, comme elle peut déjà l’être dans des régions telles que le Moyen-Orient, où les difficultés d’accès à l’eau douce constituent l’un des principaux motifs de conflit.
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