ANALYSES

Guerre en Ukraine : la visite très stratégique de Xi Jinping à Vladimir Poutine

Presse
20 mars 2023

Pourquoi Xi Jinping se rend-il en Russie, une première en quatre ans ?


Cette visite s’inscrit dans le rapprochement entre Pékin et Moscou, qui avait trouvé son point irréversible le 15 septembre 2022 lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai [OCS, qui réunit les économies d’Asie, ndlr]. Les deux dirigeants s’étaient rencontrés et avaient appelé à un changement de l’ordre international.


Ce voyage en Russie est la concrétisation de cette volonté de créer un nouvel ordre international car le duo Xi Jinping- Vladimir Poutine a une haine viscérale de l’Occident et de ce qu’il représente.


Les deux présidents vont aussi parler de la guerre en Ukraine. La Chine se dit neutre, mais est-ce vraiment le cas ?


La Chine essaie d’être force de propositions mais ne propose pas grand-chose de sérieux. Son plan de paix en 12 points présenté le mois dernier, ne contient ainsi qu’un seul élément viable : le refus systématique d’avoir recours à l’arme nucléaire. Le reste est vide et convenu.


En réalité, Pékin n’est pas neutre dans cette affaire et soutient les mêmes positions que la Russie. La guerre en Ukraine est même bienvenue pour Xi Jinping : elle permet d’affaiblir le camp occidental et l’Union européenne, d’user les États-Unis avant une probable invasion de Taïwan, et permet à la Chine de bénéficier de l’économie rentière, en particulier des hydrocarbures, de la Russie.


Face à ce double discours, que peut-on attendre de cette visite ? Xi Jinping vient-il pour donner des armes à la Russie ou pour dire stop à Vladimir Poutine ?


Il ne va probablement pas donner des armes, ce serait un cassus belli avec les Américains. Ça va se faire « à la chinoise ». Xi Jinping va soutenir verbalement Vladimir Poutine et montrer son attachement à la Russie, tout en étant force de propositions. On peut toutefois craindre une aide indirecte − bien que ce soient ici des spéculations − par exemple si la Chine vend des armes à l’Iran qui pourrait les revendre à la Russie.


La Chine sera fidèle à elle-même, va dire une chose et son contraire, et mener une sorte de guérilla diplomatique. En même temps, il y a un soutien réel de Xi Jinping à la Russie et ce n’est sûrement pas au moment qu’il est au sommet de son pouvoir que le président va remettre en cause cet attachement. D’autant que la Russie est une mine inépuisable en ressources de toutes sortes.


Une chose est sûre, maintenant que le XXe Congrès du parti communiste est passé, il n’y aura pas de difficulté pour Xi Jinping. La nouvelle équipe gouvernementale est en place, tous ceux qui l’entourent sont des hommes liges, il n’y aura donc pas de contestations de ses choix et décisions.


Pour autant, le soutien de la Chine à la Russie est-il inébranlable ?


Pas du tout. Contrairement à ce qui est parfois écrit, il n’existe pas d’alliance entre les deux pays, seulement un partenariat. Il y a des affinités très grandes, mais la Chine n’a aucune obligation d’aider la Russie et vice versa.


Xi ne se déplace pas seulement pour les beaux yeux de Poutine ! À l’occasion de ce voyage, la Chine peut faire comprendre à la Russie que si elle veut davantage d’aide, via l’achat de pétrole ou de gaz russe notamment, il va falloir des compensations. Les Chinois sont des commerçants, ils pourraient par exemple demander de leur céder la Sibérie.


Selon le Wall Street Journal, Xi Jinping veut parler au président ukrainien après sa visite en Chine. Quel est le but ?


Ça ne mange pas de pain, et la diplomatie chinoise a les mains libres pour s’adresser à Volodymyr Zelensky. La Chine cherche à gagner du crédit et du temps − pour épuiser un peu plus Washington − en se positionnant en médiateur privilégié. Elle veut jouer le bon rôle et parler aux deux parties contrairement aux Américains, les bad boys qui ont une approche manichéenne.


Ce n’est pas surprenant, Pékin s’est déjà impliquée dans la crise au Yémen en parlant à l’Iran et à l’Arabie saoudite, et elle a réussi. Toutefois, la configuration est très différente avec la guerre en Ukraine, car son allié de poids c’est la Russie. Donc, même si la Chine dit vouloir parler au président ukrainien, c’est complètement hypocrite : dans tous les cas, le cœur de Xi balance vers Moscou, et pas Kiev.


 

Propos recueillis par Marie Terrier pour Huffington Post.
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