ANALYSES

Retour sur la Conférence de haut niveau sur le Yémen : quelle aide prévue pour 2023 ?

Interview
9 mars 2023
Le point de vue de Fatou Elise Ba


Depuis 2014, le Yémen est le théâtre d’un conflit brutal qui oppose les forces pro-gouvernementales appuyées par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite et les rebelles houthis soutenus par l’Iran qui contrôlent une partie du pays, entraînant une des pires crises humanitaires de ce début du XXIe siècle. Pour tenter d’y répondre et mettre en lumière ce conflit oublié, les Nations unies ont organisé à Genève une Conférence de haut niveau dédiée au Yémen, le 27 février dernier. Quels en étaient les objectifs et avec quels résultats ? Au vu de l’ampleur de la crise humanitaire, quels sont les besoins du Yémen à court et moyen terme ? Le point avec Fatou Élise Ba, chercheuse à l’IRIS, en charge du Programme Humanitaire et Développement.

Quels étaient les objectifs de cette conférence ?

Les Nations unies ont organisé la Conférence internationale des donateurs pour venir en aide au Yémen après huit ans de guerre. Le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a mis en évidence, en amont de cet évènement, des besoins humanitaires sans précédent et des populations extrêmement vulnérabilisées. Cette conférence arrive à point nommé afin d’identifier les besoins et mettre en place un plan stratégique qui permette d’offrir des réponses efficientes à une situation d’urgence et à des années de conflit. Cette conférence de haut niveau avait donc comme premier objectif de capter des fonds et d’assurer l’engagement des donateurs. Et c’est donc 1,2 milliard de dollars qui ont été captés, malgré les besoins estimés par le Plan de réponse humanitaire pour le Yémen (HPR) à 4,3 milliards de dollars pour aider 17,3 millions de personnes. Cette conférence s’inscrit dans une continuité d’actions engagées en 2022.

De la même manière, l’année passée, alors que la situation du Yémen était tout aussi  inquiétante et qu’il y avait une escalade du conflit, l’ONU avait fait un appel et organisé une conférence des donateurs pour le Yémen. Seule la moitié de la somme demandée avait été récoltée, source de questionnement pour les ONG et les organisations humanitaires dans la mesure où quasiment au même moment, la guerre en Ukraine a mobilisé et démontré une possibilité de débloquer plusieurs milliards de dollars dans des délais très courts pour répondre à des besoins urgents.

De manière plus stratégique, cette conférence avait pour objectif de sensibiliser les bailleurs de fonds, les acteurs internationaux et plus largement l’opinion publique, sur la grave crise humanitaire au Yémen et bien sûr, d’appeler à la fin du conflit. Ce qu’il se passe dans ce pays est une crise non visible, qu’on peut qualifier de « crise oubliée », dans la mesure où elle dure depuis trop longtemps, que les fonds engagés dans sa riposte ne correspondent pas totalement aux besoins réels des populations vulnérables, et que les médias internationaux ne s’emparent pas massivement de la question.

Au vu de l’ampleur de la crise humanitaire, économique et climatique, quels sont les besoins du Yémen à court et moyen terme ?

L’OCHA estime à ce jour que deux tiers de la population ont des besoins humanitaires et de services de protection. Le HPR a pour ambition de toucher en 2023 les 17,3 millions de personnes impactées par le désastre humanitaire. On estime que 80 % de la population a des difficultés d’accès à de la nourriture de base, à l’eau potable et à des services de santé. Le Yémen, c’est également plus de 4 millions de déplacés internes selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cette crise est, à l’heure actuelle, une des plus grandes crises humanitaires au monde et l’escalade de la violence entre 2021 et 2022 a accentué la vulnérabilité des populations. Par ailleurs, la situation humanitaire se détériore malgré la négociation d’une trêve entre avril et octobre 2022. Femmes et enfants souffrent de manière plus accrue et les violences basées sur le genre sont exacerbées selon le Fonds des Nations unies pour les populations (UNFPA). De surcroît , le pays est fortement menacé par les catastrophes naturelles. La sécheresse s’intensifie de plus en plus, tout comme l’insécurité alimentaire, ce qui rend la zone plus sujette aux situations de conflits et de crises. Le Yémen est l’un des pays les plus pauvres au monde, avec un fort niveau d’endettement et une économie très dépendante de l’aide internationale. Cette crise est multifactorielle et doit être abordée de manière pluridimensionnelle.

À court terme, il y a un véritable  enjeu en matière de résolution de conflit, les civils  étant les premières victimes. Il est nécessaire pour les instances internationales d’apporter une réponse cohérente avec un plan de financement associé qui ne soit pas minimisé. L’organisation Care a notamment pointé du doigt l’incohérence de la part de certains États occidentaux, notamment la France, qui ont vendu des armes aux belligérants, mais contestent la perpétuation du conflit. En outre, les fonds récoltés pour financer le HPR pour le Yémen restent insuffisants si l’on veut pouvoir riposter de manière efficiente aux causalités structurelles de la crise et aux réelles causes de la pauvreté chronique. Sur le long terme, il y a des besoins concernant plus largement le développement économique du pays,  la consolidation de la paix, la mise en place d’un processus de justice transitionnelle, la gestion des risques liés aux catastrophes naturelles, etc. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a également souligné que le manque de fonds risque d’aggraver la crise humanitaire. On peut donc craindre de faire face à un constat similaire lors de la prochaine Conférence de haut niveau en 2024…

En avril 2022, l’ONU avait réussi à obtenir une trêve, renouvelée à plusieurs reprises, entre les rebelles houthis et le gouvernement. Celle-ci n’est plus en vigueur depuis le mois d’octobre dernier. Quel est l’impact d’une reprise des combats sur l’aide humanitaire ? Que peut mettre en place l’ONU avec les différents acteurs locaux et régionaux pour parvenir à une nouvelle trêve ?

Effectivement, dès novembre 2022, l’ONU s’est inquiétée de la non-prolongation de l’accord de trêve. Durant la période de trêve, les acteurs humanitaires avaient pourtant noté une forte baisse des pertes civiles. La fin 2022 a notamment été le moment, pour les instances internationales et les ONG, de renouveler leur appel de fin de conflit. On estime qu’il n’y aurait pas de véritable reprise du conflit, en tout cas, tel que le Yémen l’a connu les huit années précédentes. Cependant, plusieurs incidents impliquant les forces gouvernementales et les Houthis, notamment des bombardements, ont été notifiés par le Bureau des droits de l’homme des Nations unies. Mais ce n’est pas parce qu’il y a une baisse du conflit que la situation du Yémen s’arrange dans la mesure où la pauvreté devient d’autant plus chronique, les besoins humanitaires sont toujours alarmants et les réponses restent trop faibles pour entrevoir une accalmie réelle. La crise économique continue aussi de s’accentuer et la situation sécuritaire des civils n’est toujours pas garantie.

Les efforts de la part des acteurs de l’aide, ONG et instances internationales, doivent être concentrés dans l’appui aux acteurs locaux et aux organisations de la société civile. Au Yémen, dans ce cadre de déstructuration des institutions étatiques et d’instabilité, ces acteurs  ont un rôle de soutien d’urgence de la population et pallient le rôle de l’État à travers la distribution de kits alimentaires, l’accès à des services de santé de base, etc. Par ailleurs, la sécurité des personnels humanitaire mériterait d’être améliorée sur le terrain, je fais notamment référence à la disparition et la détention de plusieurs membres du personnel humanitaire. Les femmes travailleuses humanitaires yéménites subissent par ailleurs des contraintes d’actions, étant dans l’obligation de rester sous la tutelle d’un homme, ce qui, de fait, freine la bonne mise en place des programmes et les empêche de mener à bien leurs missions, selon Amnesty International. Et ceci particulièrement dans les programmes de santé générale, de santé reproductive et plus largement pour l’aide apportée aux femmes et aux filles sur place. Cette règle du marham dans les zones contrôlées par les Houthis aurait entrainé, selon OCHA, plusieurs annulations de déplacement et de livraisons d’aide humanitaire. Face à la ségrégation entre les sexes, la situation des femmes et des filles semble très inquiétante. Les prochaines grandes discussions de médiation devront aborder la résolution de la crise et spécifiquement la condition des femmes et filles qui ne démontre pas, pour l’instant, une amélioration.
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