ANALYSES

Guerre en Ukraine : l’aide aux réfugiés, le bilan un an après

Tribune
24 février 2023


Les populations, fuyant les zones de conflits en Ukraine, représentent depuis le début de l’invasion russe, un flux inédit de déplacements européens depuis 1945. Après un an de guerre et la mobilisation de l’Union européenne et de la France, l’aide aux personnes déplacées reste un des grands enjeux humanitaires pour 2023.

Une communauté internationale mobilisée

La nuit du 24 février, L’offensive russe a marqué un tournant dans les relations internationales et changé la représentation que l’on avait de la stabilité des États sur le continent européen. Les premières semaines du conflit en Ukraine, les populations ont fait face à une situation particulièrement éprouvante  : « Ni les maisons, ni les bâtiments administratifs, ni les hôpitaux, ni les écoles n’ont été épargnés », a souligné Michelle Bachelet, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, le 30 mars 2022. Outre un bilan humain et matériel affligeant sur l’est du pays, le tribut civil est particulièrement alarmant et les populations déplacées subissent de plein fouet les conséquences du conflit. Entre mars et avril, un véritable exode de personnes venant d’Ukraine traverse la frontière pour fuir les zones de conflit et une potentielle avancée russe.

Un an après, l’Ukraine est encore dans une situation d’urgence de niveau 3 (niveau le plus élevé) selon l’agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), qui recense plus de 8 millions de réfugiés d’Ukraine en Europe (le 15 février 2023) et plus de 12,6 millions de personnes ayant traversé la frontière ukrainienne depuis le début de la guerre. Le flux des déplacés venant d’Ukraine trouve majoritairement refuge dans les pays limitrophes, mais aussi en direction du reste du continent européen. Pour faire face à cette situation d’urgence, un véritable élan de solidarité s’est organisé afin de répondre aux besoins de ces populations en situation de très grande vulnérabilité. Les acteurs de l’aide internationale ont tenté d’assurer une réponse efficace et massive, et ceci à toutes les étapes d’accueil afin de garantir une sécurité maximale. La priorité est d’accueillir des populations en situation de danger et de leur accorder une protection légale dans les pays membres de l’Union européenne (UE). Alors que le flux de déplacements vers l’étranger dépasse la barre des 1,5 million le 6 mars 2022, Filippo Grandi, Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, décrit alors la situation comme étant l’exode le plus rapide qu’a connu l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

Confrontés à un avenir incertain, des milliers de personnes provenant d’Ukraine sont partis de leur pays du jour au lendemain, loin de leur foyer. Les médias et les associations d’accueils ont recensé de nombreux témoignages de familles séparées par le conflit, de personnes traumatisées et en difficultés financières dans des pays où ils ne parlent pas la langue pour la plupart et où l’employabilité semble plus compliquée. L’UNHCR, à travers une étude sur le profil des réfugiés provenant d’Ukraine a conclu qu’ils sont, pour la majorité, citoyens ukrainiens (99%) et des femmes et des enfants (87%). Les hommes entre 18 et 60 ans, étant, quant à eux, mobilisables en Ukraine avec l’obligation de rester sur le territoire ukrainien. Début avril 2022, alors que 4,3 millions de déplacés d’Ukraine ont fui le pays, plusieurs Ukrainiens sont déjà dans une stratégie de retour dans leur pays, et ce malgré la guerre.

Aujourd’hui, les conflits se poursuivent dans l’est de l’Ukraine, l’ONU et ses partenaires, en réponse à cette situation inquiétante, ont apporté une aide humanitaire et une protection à plus de 14 millions de personnes. Pour 2023, les Nations unies ont demandé 5,6 milliards de dollars pour couvrir les besoins humanitaires liés à la guerre en Ukraine le 15 février dernier. Pour venir spécifiquement en aide aux réfugiés d’Ukraine, l’UNHCR sollicite également 1,7 milliard de dollars en 2023 (pour dix pays d’accueil : Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Moldavie, Pologne, Roumanie et Slovaquie).

L’ouverture de l’UE et de la France face aux flux migratoires provenant d’Ukraine

Les premières semaines du conflit, les réfugiés d’Ukraine sont très nombreux à vouloir quitter le territoire en guerre et très rapidement. L’Union européenne qui fait face aux flux migratoires de plus en plus considérables chaque jour affiche une position d’ouverture. Dès le 2 mars 2022, la Commission propose une directive protection temporaire (DPT) pour les réfugiés et des lignes directrices concernant le contrôle aux frontières. L’Ukraine ne faisant pas partie de l’UE et de l’espace Schengen au moment du conflit, les personnes déplacées voulant se rendre dans un pays membre doivent répondre dans cette situation d’urgence au statut de réfugié[1]. Or, la position de l’UE est de faire preuve d’un « soutien sans réserve à l’Ukraine » et ainsi de mettre en place une régularisation des déplacés ukrainiens le plus rapidement possible dans ce contexte d’urgence. Ylva Johansson, la commissaire européenne aux affaires intérieures, parle d’un « changement de paradigme » concernant la décision des États membres d’accorder la directive protection temporaire (DPT) pour les populations provenant d’Ukraine. En effet, ce mécanisme d’urgence créé en 2001 dans un contexte de guerre en ex-Yougoslavie, peut être déclenché afin de fournir une protection immédiate en cas d’afflux massif de personnes et a été récemment instauré à l’unanimité par le Conseil européen. La protection temporaire concerne : les Ukrainiens ayant quitté le pays après le 24 février 2022, les personnes réfugiées en Ukraine, les personnes étrangères résidant légalement et de manière permanente en Ukraine et étant dans l’impossibilité de retourner dans leur pays d’origine et les membres de la famille des personnes précédentes. Ce dispositif convient donc à la protection de ces personnes pour une période d’un an et peut être prolongé de 2 ans maximum. Pour apporter une réponse efficace et organiser logistiquement la venue de ces populations déplacées, la Commission européenne, faisant suite à une demande du Conseil européen et du Conseil « Justice et affaires intérieures », a présenté un plan de coordination visant à aider les États membres à « intensifier leurs efforts pour accueillir les réfugiés en provenance d’Ukraine ».

Cette solidarité de l’Union européenne à destination des réfugiés provenant d’Ukraine, se traduit financièrement un mois après le début de la guerre. En ce sens, le 4 avril 2022, le Conseil européen a adopté des modifications législatives permettant aux Vingt-sept de réorienter les fonds de la politique de cohésion et du FEAD (Fonds européen d’aide aux plus démunis). Ce sont 17 milliards d’euros[2] de fonds de l’UE qui sont consacrés à aider les réfugiés, puis le 12 avril 2022, un acte législatif pour soutenir les pays membres abritant les réfugiés d’Ukraine avec une aide directe de 3,4 milliards d’euros[3].

Parallèlement, la campagne de collecte de dons « Stand Up for Ukraine » est une initiative pour mobiliser des milliards de dollars et offrir une réponse à la crise suite à l’appel du président ukrainien Volodymyr Zelensky le 26 mars 2022. Cette campagne est fortement relayée sur les réseaux sociaux et médias et le 9 avril, s’est donc tenu la conférence des donateurs « Stand Up for Ukraine » organisée par l’UE et le gouvernement canadien en partenariat avec Global Citizen à Varsovie, en reconnaissance du rôle de la Pologne comme premier pays d’accueil des réfugiés. À la suite de cet évènement, c’est finalement 9,1 milliards d’euros, soit 4,1 milliards d’euros de dons et 5 milliards d’euros de prêts, qui ont été promis pour soutenir les réfugiés ukrainiens et les personnes déplacées à l’intérieur du pays et appuyer les organisations et agences des Nations unies présentes auprès des bénéficiaires.

En France, dans la même ligne directrice que l’UE, le lendemain des premières attaques russes, Emmanuel Macron a affirmé lors du sommet de l’UE à Bruxelles le 25 février 2022, que la France « prendra sa part » dans l’accueil des réfugiés. La solidarité de la France envers les populations fuyant le conflit d’Ukraine s’est traduite par l’activation, conformément à la décision de l’UE, de la protection temporaire aux ressortissants ukrainiens fuyant la guerre. Ainsi, entre le 24 février et le 1er décembre 2022, la police aux frontières a recensé plus de 65 350 déplacés à l’entrée du territoire national, dont 98% de ressortissants ukrainiens pouvant être bénéficiaires de la protection temporaire. De plus, il y a eu un effort particulier pour déployer un accueil digne et une coordination collective de plusieurs acteurs (les collectivités locales, les associations, les acteurs de l’accès au logement et de l’hébergement). Les régions françaises principales d’accueils étaient notamment les Alpes-Maritimes, la région Grand Est, l’Île-de-France et l’Auvergne-Rhône-Alpes. De plus, de nombreux Français ont affiché une volonté de vouloir venir en aide aux Ukrainiens. Les associations sont évidemment en première ligne dans la prise en charge et l’accompagnement de réfugiés ukrainiens et de nombreuses initiatives d’entre-aides citoyennes et de la part des diasporas ont vu le jour, que ce soit pour l’hébergement, l’apprentissage, le don alimentaire et de vêtements, le suivi médical et psychologique, l’accès à la formation professionnelle, etc. Parallèlement, les grandes ONG françaises se sont fortement mobilisées et ont réagi dès les premiers jours du conflit pour assurer un accompagnement en zones frontalières, accueillir les réfugiés, et lancer des appels aux dons massifs. Même si le flux de déplacements s’est stabilisé et que beaucoup sont retournés en Ukraine ou dans les pays voisins, les acteurs associatifs et institutionnels français démontrent encore aujourd’hui une volonté de renforcer un accompagnement global des Ukrainiens en exil.

Actuellement, la situation des réfugiés ukrainiens de France est loin d’être majoritairement stabilisée. Entre envie de retour et crainte du conflit, la plupart des Ukrainiens ont des incertitudes quant à leur avenir. Certains sont repartis lors de l’été 2022 sans une réelle garantie de sécurité, pour d’autres, outre la protection temporaire, ils ont la possibilité de déposer une demande d’asile en France pour rester plus durablement et s’intégrer à la société française. Aujourd’hui, les acteurs institutionnels et humanitaires sont dans l’impossibilité de déterminer s’il y aura ou non un nouveau flux de déplacements en conséquence d’une nouvelle grande offensive russe et d’une dégradation de la situation en Ukraine.

Inégalités dans l’accueil des réfugiés

Très vite, au lendemain de la mise en place de la « protection temporaire », plusieurs grandes ONG et associations questionnent les conditions de la mise en place de ce dispositif. C’est notamment le cas d’Amnesty International qui demande un traitement égal pour « toutes les personnes qui fuient ce conflit. C’est-à-dire d’accepter d’activer la directive sur la protection temporaire pour toutes les personnes fuyant l’Ukraine ou courant un risque réel dans la région. Et ce, sans discrimination ». Amnesty International notifie également que plusieurs demandes d’activation de la DPT avaient déjà été faites pour « pour répondre à des crises majeures, comme en Afghanistan et en Syrie. Sans succès. » De plus, le dispositif de protection temporaire en France n’est pas étendu à tous les ressortissants non ukrainiens qui résident en Ukraine et qui ont dû, eux aussi, fuir le pays selon la Coordination française pour l’asile (CFDA), c’est-à-dire les personnes qui étudiaient ou qui étaient en procédure de demande d’asile en Ukraine. La DTP prévue par l’UE du 4 mars 2022 prévoit l’accueil des étrangers non ukrainiens qui sont dans l’incapacité de retourner dans leur pays d’origine dans des conditions sûres et durables. Pour la CFDA, « Cette notion, qui n’a pas été clairement définie, est laissée à l’appréciation au cas par cas des préfectures, ce qui fait craindre un traitement inégalitaire des situations d’un département à l’autre. » Concernant le droit à la santé, l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), un groupe de plusieurs associations françaises, félicite la suppression du délai de carence de trois mois d’accès à l’assurance maladie pour les Ukrainiens en France, mais il notifie tout de même que « cette mesure illustre a contrario l’injustice et la discrimination du choix exactement inverse qu’a fait le gouvernement en 2020 » et demande à ce que cette mesure soit mise en place pour toutes les personnes exilées. Plus largement et à propos du modèle d’accueil en France, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) a également remis en cause la différence de traitement dans l’accueil des réfugiés entre Ukrainiens et personnes en provenance de pays africains ou du Bangladesh et rappelant l’épisode de l’Océan-Viking et la nécessité de mettre en place une politique d’accueil qui ne soit pas conditionnée par le pays de provenance. Ce que dénonce les organisations de défense des droits, comme Human Rights Watch, c’est un « deux poids deux mesures » dans les politiques d’accueil et la mobilisation internationale face à la guerre en Ukraine.

Par ailleurs, ce que nous apprend la « crise des réfugiés ukrainiens » est que, en situation d’urgence face à un afflux de déplacés traversant le continent européen pour sauver leur vie, l’UE et la France sont en capacité de répondre dans l’urgence, de mettre en place des politiques publiques dans de brefs délais et des actions coordonnées garantissant une certaine efficacité. Ceci, accompagné de l’ouverture de financements immédiats et d’une stratégie plus large de mobilisation des ressources. Rappelons toutefois que malgré la forte médiatisation et mobilisation autour des réfugiés ukrainiens, leur sort reste incertain sans aucune assurance de sécurité dans leur pays d’origine. Néanmoins, cette crise met aussi en évidence que les crises humanitaires et les flux de déplacés forcés qu’elles engendrent sont inégalement traités. Dans une position de garants des droits humains et en matière d’exil de populations vulnérables, l’accueil digne ne doit pas être conditionné en fonction du pays d’origine, de la culture, de la couleur de peau, du genre, de la religion, etc. En France, et plus largement dans l’ensemble de l’espace Schengen, il y a une nécessité de rendre plus équitable le modèle d’accueil et de ne pas formuler une solidarité « choisie ». Il y a un effort à faire de capitalisation des dispositifs engagés dans la réponse à la crise ukrainienne pour les prochaines vagues d’exilés fuyant l’instabilité et la vulnérabilité vécues dans leur pays.

La question des déplacés de force est un véritable enjeu international et l’UNHCR estime que 103 millions de personnes sont dans cette situation dans le monde à ce jour. Filipo Grandi, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés a déclaré que « la réponse des pays d’accueil à la situation d’urgence en Ukraine a été remarquable », mais affirme également que « ce n’est pas la seule crise au monde (…) Je reviens tout juste d’Éthiopie, du Burundi. Qui parle du Burundi ? Désolé, mais c’est la réalité et les gens ont besoin de soutien autant que partout ailleurs ».

——————————————-

[1] Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Article 18 relatif au Droit d’asile :  le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Disponible sur le site fra.europa.eu

[2] « L’UE a identifié au total environ 17 milliards d’euros de fonds destinés à la cohésion et à la reprise après la pandémie que les États membres peuvent réaffecter au soutien aux réfugiés ukrainiens qui ont des besoins urgents tels que le logement, l’éducation, les soins de santé et l’accueil des enfants. Il s’agit notamment d’environ 7 milliards d’euros de fonds non dépensés au titre de la politique de cohésion pour la période 2014-2020 et d’environ 10 milliards d’euros de fonds affectés à la reprise après la pandémie au titre du soutien à la reprise en faveur de la cohésion et des territoires de l’Europe (REACT-EU). » Conseil européen – Conseil de l’Union européenne, « Réaction de l’UE à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Solidarité de l’UE avec l’Ukraine », consilium.europa.eu, consulté le 22 février 2023.

[3] Cet acte prévoit une augmentation des préfinancements de l’initiative « Recovery Assistance for Cohesion and the Territories of Europe » (REACT-EU) et prévoit un accroissement de 11% à 15%, et de 11% à 45% pour les pays de l’UE où le nombre d’arrivées en provenance d’Ukraine était supérieur à 1% de leur population, le montant du préfinancement initial au titre des ressources de REACT-EU versé à tous les États membres.
Sur la même thématique