ANALYSES

« Crédits de refroidissement » : quand la géo-ingénierie commercialise le déni climatique

Presse
17 février 2023




Le concept s’appuie sur une technique de géo-ingénierie solaire actuellement à l’étude dans certains milieux de recherche en sciences atmosphériques, notamment aux Etats-Unis : l’injection d’aérosols réfléchissants dans la stratosphère afin de réduire le rayonnement solaire, donc d’abaisser artificiellement la température planétaire sans réduire la quantité de gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère. Les recherches dans le domaine peinent cependant à dépasser le stade de la théorisation ou de la modélisation numérique pour franchir le pas des expérimentations sur le terrain. De nombreuses incertitudes entourent en effet les conséquences physiques de telles interventions sur l’atmosphère, et notamment la toxicité des particules libérées.

Ces incertitudes n’ont pas empêché la commercialisation hâtive de la technique par la start-up Make Sunsets qui, sans pouvoir administrer la moindre preuve de l’efficacité du procédé ni de son inoffensivité environnementale, formule une promesse commerciale originale : il est possible de neutraliser les gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère par le simple achat de crédits. Si cette promesse nous rappelle les marchés carbone et leurs systèmes de compensation monétaire pour les grands émetteurs, il est ici question de vendre à des particuliers une compensation chimique pour les gaz à effet de serre déjà présents dans l’atmosphère. En d’autres termes, ce qui est mis à la vente n’est pas le droit d’émettre mais la possibilité pour un individu d’inverser le réchauffement induit par les émissions : le refroidissement planétaire devient un service à la demande.

Dix dollars le gramme


Depuis le mois d’octobre, et moyennant la somme de dix dollars, chacun peut ainsi financer le lancement d’un gramme de solution dans la stratosphère. Sur son site web, l’entreprise affirme qu’un gramme de particules libéré correspond à la compensation du réchauffement d’une tonne de dioxyde de carbone pendant un an.  C’est ainsi que plusieurs opérations d’injection d’aérosols stratosphériques ont été menées par la start-up sur le sol mexicain, libérant des particules de refroidissement financées par des particuliers. Aujourd’hui, les opérations sont momentanément suspendues suite à la réaction virulente du Mexique, mais les crédits sont toujours en vente, ce qui laisse supposer la recherche active d’un nouveau lieu de lancement par l’entreprise.

Si l’idée d’une compensation financière du carbone existe depuis la deuxième moitié du XXe siècle, la commercialisation de la géo-ingénierie solaire en tant que service de modification du climat planétaire pour les particuliers est inédite. La possibilité de financer la diffusion de particules soufrées dans l’atmosphère s’ouvre à toute personne pourvue d’un accès à internet et de ressources financières modérées – du moins pour les classes moyennes des pays développés.

Or, commercialiser de la sorte des interventions sur l’atmosphère sous la forme de services aux particuliers participe d’une banalisation de l’action anthropique sur le climat, présentée comme une action facile et souhaitable. Il s’agit, en ce sens, de nier le caractère systémique de la crise climatique pour la réduire au simple statut de dysfonctionnement thermique entraîné par une modification anthropique, et pouvant être réparé par une re-modification anthropique.







C’est plus globalement, la réalité des changements climatiques et la nécessité des politiques d’atténuation qui sont niées, instantanément annulées par la promesse qui motive l’achat : acheter un crédit, c’est faire disparaître l’effet de serre ; acheter un crédit, c’est refroidir la planète. C’est ainsi que le capitalisme, par un énième écran de fumée technosolutionniste, vend du déni à qui veut bien le croire.


Une tribune publiée par L’Obs.

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