ANALYSES

Tensions entre les deux Corées sur le nucléaire : jusqu’où peut aller la coopération militaire entre Séoul et Washington ?

Interview
5 janvier 2023
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Depuis plus d’un an, la péninsule coréenne connait un fort regain de tensions. Alors que le dirigeant nord-coréen a annoncé le 2 janvier l’augmentation exponentielle de l’arsenal nucléaire de son pays, le président de la Corée du Sud, Yoon Seok-yeol, a évoqué son souhait de voir « la préparation, le partage d’informations, les exercices et les entraînements » concernant la dissuasion nucléaire menés conjointement par Séoul et Washington. Quel est l’état actuel de la coopération militaire entre la Corée du Sud et les États-Unis ? Comment Pyongyang perçoit-il ces exercices ? Vont-ils entrainer un regain des tensions entre les deux pays de la péninsule ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Asie-Pacifique.

En quoi consistent ces exercices nucléaires conjoints ? Quel est l’état actuel de la coopération militaire entre la Corée du Sud et les États-Unis ?

Les deux pays sont unis depuis 1953, quelques semaines après la fin de la guerre de Corée, par une alliance militaire qui suppose une assistance mutuelle. Elle fêtera donc ses soixante-dix ans cette année. En vertu de cette alliance réaffirmée à plusieurs reprises à Washington et à Séoul, près de 30 000 soldats américains sont stationnés en Corée du Sud, une présence à échelle de celle en Allemagne ou au Japon, mais à la différence qu’il ne s’agit pas ici d’un pays vaincu par les États-Unis. De même, si la guerre reprend, les forces sud-coréennes passent sous commandement américain, et s’il était question que ce rapport s’inverse en 2022, il n’en est encore rien. Les deux pays conduisent par ailleurs des exercices militaires conjoints depuis 2009. Entre 1958 et 1991, des armes nucléaires américaines furent stationnées en Corée du Sud, atteignant près de 1000 ogives à la fin des années 1960. Mais sous la présidence de George H. W. Bush, ces armes furent démantelées et il n’y a plus, officiellement du moins, d’armes nucléaires américaines stationnées en permanence dans la péninsule coréenne depuis plus de trente ans. En annonçant des exercices conjoints incluant des capacités nucléaires, le président sud-coréen Yoon Seok-yeol brise un tabou dans un contexte de regain de tensions avec Pyongyang.

Quelle(s) réaction(s) le discours de Yoon Seok-yeol a-t-il provoqué chez son homologue nord-coréen ?

Les tensions sont très fortes depuis l’élection de Yoon, en mars dernier, et les annonces successives de son cabinet, qui rompt avec son prédécesseur. Pendant cinq ans – surtout les deux premières années de son mandat – Moon Jae-In s’était efforcé d’établir un climat de confiance entre les deux pays. Mais l’arrivée au pouvoir de son successeur marque un tournant conservateur que cette annonce ne fait que renforcer. Pyongyang voit dans ces exercices une menace, et va s’en servir pour légitimer un peu plus ses activités proliférantes et son discours agressif. Comme ce fut déjà le cas sous la présidence de Lee Myung-bak (2007-2012), les conservateurs sud-coréens font malgré eux le jeu de la Corée du Nord. Au passage, il est presque étonnant de constater cet alignement total sur Washington à l’heure où la Corée du Sud affiche ses capacités mais aussi ses ambitions, notamment relevées dans une habile stratégie indopacifique qui met en avant l’indépendance et le refus d’entrer dans une logique de blocs. Avec cette annonce, Yoon se positionne presque à contre-courant de ce que la Corée du Sud peut, et doit, faire.

Ces exercices militaires conjoints pourraient-ils entrainer un regain des tensions entre les deux pays de la péninsule ?

Indiscutablement. Il faut y ajouter le problème lié à la prolifération. Selon plusieurs études, une grande partie de la population sud-coréenne serait aujourd’hui favorable à ce que ce pays se dote de l’arme nucléaire, afin d’assurer sa protection face aux manœuvres de Pyongyang. Ce serait évidemment une violation du Traité de non-prolifération (TNP), mais au-delà, un risque sécuritaire dépassant très largement la péninsule, et pouvant provoquer une véritable escalade dans la région. On imagine ainsi difficilement Tokyo et Pékin rester les bras croisés. La sécurité de la Corée du Sud est une nécessité, et l’alliance avec les États-Unis en est la pierre angulaire. Mais il y a dans l’annonce de ces exercices incluant des capacités nucléaires une provocation aussi inutile que dangereuse.

 
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