ANALYSES

De l’état des lieux en termes de minerais au low-tech et à la sobriété

Presse
16 décembre 2022
Cela fait des décennies que l’on s’inquiète de la déplétion des ressources notamment minérales, depuis le rapport Meadows. Plus récemment les travaux d’Ugo Bardi avec sa courbe de Sénèque ont attiré l’attention sur la contradiction entre les besoins en métaux de la transition énergétique et l’état des ressources naturelles exploitables. En même temps les estimations quant à l’exploitation des ressources sont parfois rendues délicates par le facteur technique. Tel a été autrefois le cas avec celles de l’ASPO sur le plateau global en matière d’extraction pétrolière. L’ASPO ne s’est pas trompée quant au pic de pétrole conventionnel, mais la technique de fracturation hydraulique assortie d’un forage horizontal a masqué le pic conventionnel avec l’apport des pétroles non-conventionnels et du gaz de roche mère. Est-il possible de dresser une sorte de portrait général de la disponibilité des métaux en général, tout en considérant les limites éventuelles en termes de coût, notamment énergétique ?

Tout d’abord il est intéressant d’évoquer le pétrole et, de manière générale, l’énergie dans cette question car le destin des matières premières minérales, des métaux et de l’énergie est en très large partie lié. Les métaux ont constitué un important levier des industries énergétiques carbonées (construction des infrastructures de production et de transport du charbon, du gaz et du pétrole), mais également des énergies renouvelables. Sans métaux, pas d’énergie et pas de métaux sans énergie. Il existe ainsi une relation symbiotique entre l’ensemble de ces ressources naturelles. Et aujourd’hui, le secteur des minéraux et des métaux (en incluant la production de ciment) consomme plus de 14 % de la consommation mondiale d’énergie et réalisent plus de 15 % des émissions de gaz à effet de serre. Chacune des étapes de la chaine de valeur des industries minérales (extraction, concentration, raffinage, etc.) consomme une grande quantité d’énergie, mais également une large quantité d’eau. Dans le cadre du projet GENERATE (Géopolitique des énergies renouvelables et analyse prospective de la transition énergétique), nous avons réalisé différents scénarios de modélisation de consommation des métaux nécessaires aux transitions bas-carbone et numérique (bauxite, cobalt, cuivre, nickel, terres rares) à l’horizon 2050, dans différents environnements climatiques et sous diverses hypothèses de politiques publiques. Lorsque nous limitons les émissions de gaz à effet de serre et la hausse des températures mondiales en dessous de 2°C à l’horizon 2050, les résultats sont particulièrement instructifs. En effet, la décarbonation du secteur électrique et du transport impose une substitution des technologies carbonées (centrales fossiles, véhicules thermiques, etc.) par des technologies bas-carbone (éolien, solaire, véhicule électrique). Or, ces technologies ont des contenus matériaux plus importants (rapportés au MW installé ou au véhicule du parc de transport) que les technologies traditionnelles. Dans des scénarios climatiques contraints et sans politiques publiques volontaristes (recyclage à son niveau actuel et peu d’efforts réalisés pour aller vers une mobilité soutenable), nous pourrions consommer d’ici 2050 près de 90 % des ressources existantes en cuivre, 87 % de celles de bauxite, 83 % du cobalt, 60 % du nickel et 30 % du lithium. Ainsi de leviers, les métaux pourraient constituer des limites et un frein aux transitions envisagées.

Et ce ne sont pas seulement les métaux dits technologiques ou électriques (cobalt, lithium, nickel) qui seront impactés. En effet, un métal comme le cuivre utilisé dans le secteur des infrastructures, de la production de biens d’équipement et du bâtiment, devrait voir ses usages considérablement augmentés dans le secteur du transport et pour le raccordement électrique. Un véhicule électrique utilise aujourd’hui en moyenne 4 fois plus de cuivre qu’un véhicule thermique.

 

Resserrons la focale sur la transition énergétique. Concentrons-nous sur le principal goulot d’étranglement, à savoir les convertisseurs énergétiques et leurs exigences en termes de matériaux et de métaux, et donc en termes d’extraction, de pollutions diverses attachées au processus de fabrication et de déchets à l’aval. Rappelons que de matière générale la transition signifie la substitution de l’électricité, sous forme directe ou dérivée avec l’hydrogène, à la plupart des anciens usages des énergies fossiles. Le cas de la mobilité étant exemplaire en la matière. Quels sont donc les besoins et les coûts écologiques de la transition énergétique en matière de surcroît d’infrastructures et de convertisseurs multiples ?

Selon BNEF[1], les investissements dans les technologies bas-carbone (captage et stockage de CO2, éolien, hydrogène, solaire, véhicule électrique, etc.) se sont établis à environ 760 milliards de dollars par an sur la période 2020-2022, soit un doublement par rapport à 2015. Atteindre une trajectoire limitant la hausse des températures à 1,5°C à l’horizon 2050 nécessitera un triplement du niveau d’investissements actuel. Le rapport de l’Agence international de l’énergie (AIE) publié en 2021[2] sur les matériaux de la transition énergétique estime de son côté que l’électrification des transports à l’horizon 2040 engendrera, pour le secteur des batteries, une multiplication de la demande en lithium par plus de 40 au niveau mondial, d’environ 20 pour celle du cobalt et du nickel et de plus de 3 pour le cuivre dans des scénarios de décarbonation contraints. La transition bas-carbone va ainsi impacter de manière durable le sol et sous-sol. Or, le temps de la transition énergétique n’est pas celui du temps de la mine, où il faut entre 5 et 10 ans pour développer une nouvelle production. Dans le secteur minier, les investissements se situent aujourd’hui autour de 80 milliards de dollars au niveau mondial, et il faudrait investir deux fois plus dans le secteur minier et métallurgique pour alimenter cette demande avec son corolaire d’impacts environnementaux. Si l’empreinte minière reste très spécifique aux conditions préexistantes en matière de biodiversité des différents sites miniers et aux minerais extraits, il existe des impacts communs à l’ensemble des activités. Un site minier réalise ainsi une emprise sur son milieu en raison notamment de la construction d’infrastructures (logements, routes) qui vont accélérer l’artificialisation des sols sur des dizaines de kilomètre autour du seul site d’extraction. Pollutions sonores, pollutions visuelles et pollutions atmosphériques accompagnent la mine. En outre, en raison de la diminution de la concentration des minerais, notamment dans le secteur du cuivre, davantage de minerais doivent être extraits pour obtenir une même quantité de cuivre, avec en corollaire une hausse de la consommation d’énergie, d’eau et de déchets miniers. La taille des mines a ainsi tendance à augmenter au cours du temps, ce qui renforce les dégradations environnementales et l’empreinte d’un site minier. La question de la consommation en eau est de ce point de vue fondamentale, à la fois au regard de sa disponibilité, mais également de sa qualité. Certaines études montrent par exemple qu’entre 30 % et 50 % de la production mondiale de cuivre, de lithium ou de cobalt est déjà située dans des zones de production à forte pression hydrique. La transition bas-carbone risque ainsi d’exacerber les tensions sur le facteur eau. En corollaire des impacts environnementaux, il est aussi nécessaire de mentionner les impacts géopolitiques et sociaux issus des futures transformations de nos modes de mobilité et de génération d’électricité. Les zones de production de minerais, notamment en Asie et Océanie pour le nickel et le lithium, en Afrique pour le cobalt et le cuivre, et en Amérique latine pour le lithium et le cuivre, subissent déjà les impacts et pourraient aussi à l’avenir exercer un pouvoir important sur les marchés de matières premières. Ce pouvoir de marché des pays producteurs pose de nouvelles questions : comment va-t-on organiser au niveau mondial la transition bas-carbone ? Va-t-on lier transition bas-carbone et développement ? N’est-il pas temps de structurer des modèles de développement symétriques et durables pour les pays producteurs ? Certains d’eux ont donné quelques éléments de réponse puisque l’Indonésie proposait en novembre dernier de former un cartel de producteurs des métaux[3] des batteries. Les questions soulevées par la transition bas-carbone embrasent ainsi également la complexité des relations internationales et des modèles de développement. Et nous ne parlons que des métaux. Si on aborde les problématiques liées aux producteurs de technologie bas-carbone, les rivalités risquent aussi de s’exacerber entre la Chine, les États-Unis et l’Union européenne[4]. Elles sont déjà visibles sur les segments des micro-processeurs, demain ce sera sur les technologies bas-carbone, notamment le véhicule électrique, les batteries et l’hydrogène.

Quid de l’hydrogène dans ce tableau, puisque qu’un système d’ENR très développé impliquera le passage par la case hydrogène de façon relativement importante pour rendre le système de production électrique, à base intermittente, pilotable, pour ainsi abonder un réseau à la demande variable ?

Depuis les années 1970, la question hydrogène a suscité un intérêt des pouvoirs publics et des acteurs industriels qui a considérablement varié au gré des aléas sur les marchés pétroliers (chocs et contre-chocs pétroliers), des variations des prix des énergies et de l’importance des questions écologiques. Aujourd’hui se développent dans de nombreuses régions du monde des plans hydrogène. Ce vecteur permettrait de répondre à diverses problématiques : indépendance énergétique, réduction de la facture énergétique, relocalisation des activités et emplois sur les territoires et gestion de l’intermittence. En Europe par exemple, la stratégie énoncée début juillet 2020[5], dans le plan Next Generation EU fait de l’hydrogène une priorité pour la croissance, la résilience de la zone et la création d’emplois. Comme l’ensemble des technologies bas-carbone, le développement de l’hydrogène engendrera toutefois une augmentation de la consommation de métaux. Un développement massif à l’échelle mondiale pourrait engendrer des tensions sur l’iridium et le nickel, composants majeurs de ces technologies. Et là encore la question de l’eau pourrait s’inviter dans les débats.

Quelle est la place que pourrait prendre les lows-techs dans un monde en tension sur les ressources métalliques ?

La question du Low-Tech et plus globalement d’une forme de sobriété matériaux se pose comme la sobriété énergétique s’est imposée dans le débat public depuis le milieu de l’année 2022 avec la sortie du troisième volet du 6ème rapport du GIEC et suite aux conséquences sur les marchés du gaz depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. C’est toutefois sur le long terme et non par réaction qu’il faut penser ces politiques de sobriété. En 2019, l’extraction de matériaux (biomasse, énergie, minerais métalliques et non métalliques) nécessaire à nos cadres de vie était d’environ 34 kg par tête et par jour au niveau mondial, contre 24 kg en 1980. Elle pourrait atteindre près de 45 kg par jour et par personne en 2060, avec la poursuite de l’urbanisation, le développement des infrastructures et la production de biens de consommation. Les seuls minerais métalliques ont vu leurs extractions multipliés par 3,5 au niveau mondial depuis 1970. Il faut donc ralentir de manière urgente notre consommation de matières premières et de manière plus globale ralentir nos styles de vie. Les pouvoirs publics doivent ainsi travailler à des politiques de formation à la circularité des biens de consommation, et encourager tous les leviers (recyclage, mobilité soutenable) permettant de diminuer les pressions sur les ressources en informant les consommateurs sur les conséquences invisibles des décisions de consommation. Des outils existent et doivent être développés, mais il faudrait aller encore plus loin ! Il faut parler de sobriété matériaux d’un point de vue global et changer l’ensemble des représentations attachées à la consommation et c’est un travail de longue haleine. L’enjeu est aussi bien réglementaire (bannir le jetable, légiférer sur le délit d’obsolescence programmée, etc.) que sociologique (représentations, mimétisme) et prospectif. Il est ainsi nécessaire d’inventer et de projeter des futurs désirables pour un monde plus sobre en ressources. Cette question de l’imaginaire et de la projection sociale et collective est une condition nécessaire à toutes les politiques sur ces questions. Dans ce contexte, la question du Low Tech et dans sa globalité d’un esprit Low Tech combine à la fois ce qu’il est nécessaire de faire : un processus d’apprentissage aux enjeux matériaux, la création d’un lien avec la technologie et une prise de conscience de la finitude du monde. Le Low-Tech nous invite à repenser le monde comme il est, un monde assis sur la matière et donc les ressources naturelles !

 

Propos recueillis par La pensée écologique.

__________________

[1] https://about.bnef.com/blog/investment-requirements-of-a-low-carbon-world-energy-supply-investment-ratios/

[2] https://www.iea.org/reports/the-role-of-critical-minerals-in-clean-energy-transitions

[3] https://theconversation.com/metaux-strategiques-et-si-les-pays-producteurs-se-regroupaient-en-cartel-du-type-opep-194749

[4] C. Bonnet, S. Carcanague, E. Hache, G.S. Seck, M. Simoën (2018), The nexus between climate negotiations and low-carbon innovation: a geopolitics of renewable energy patents, Université Paris Nanterre, EconomiX, 2018-45.

[5] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/FS_20_1296
Sur la même thématique