04.11.2024
Embargo sur le pétrole russe : quelles conséquences pour l’Union européenne ?
Interview
12 décembre 2022
Lundi 5 décembre, l’Union européenne a mis en place un embargo sur le pétrole russe qui avait été adopté en mai. Cette entrée en vigueur s’accompagne d’une mesure de plafonnement du prix du pétrole à 60 dollars le baril. Alors que l’hiver s’annonce froid et que les importations de gaz depuis la Russie ont également diminué, quelles seront les conséquences de cet embargo sur les économies russes et européennes ? Quel est le but de ce plafonnement ? Quelles sont alternatives d’approvisionnement énergétique pour les Vingt-sept ? Le point de vue de Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des problématiques énergétiques.
L’embargo sur le pétrole russe mis en place par l’Union européenne adopté en mai dernier est entré en vigueur ce lundi 5 décembre. Quelles seront les conséquences de cet embargo sur les économies russes et européennes ?
L’embargo européen sur le pétrole russe était prévu depuis des mois, mais il est effectivement entré en vigueur le 5 décembre. Rappelons qu’il s’agit d’un embargo imposé par l’Union européenne (UE) et portant sur le pétrole brut venant de Russie et importé par la voie maritime. Ce n’est donc pas un embargo total (la Hongrie va continuer à importer du pétrole russe par oléoduc), mais l’UE se prive d’au moins 90% ou plus des volumes de pétrole russe qu’elle importait avant la guerre en Ukraine. C’est une décision majeure.
Les exportations pétrolières de la Russie ont déjà commencé à baisser en 2022, mais la mise en œuvre de l’embargo européen va accélérer cette tendance. La Russie cherche d’autres marchés pour son brut et l’UE se tourne vers d’autres fournisseurs. Une réorientation des flux pétroliers mondiaux est en cours avec plus de pétrole russe vers l’Asie et plus d’importations pétrolières européennes venant des États-Unis, du Moyen-Orient ou de l’Afrique. Je ne prévois pas de pénurie de pétrole découlant de cet embargo européen. L’UE ne devrait donc pas manquer de brut dans les mois qui viennent.
Certes, les prix de l’énergie, dont les prix du pétrole, sont élevés en 2022, mais l’entrée en vigueur de l’embargo n’a pas entraîné de flambée des cours de l’or noir. Le vendredi 9 décembre, à Londres, à la clôture des marchés, le pétrole Brent de la mer du Nord était juste en dessous de 77 dollars par baril, soit un prix inférieur de plusieurs dollars à son niveau juste avant la guerre en Ukraine. Il n’y a donc aucun affolement des marchés par rapport à cet embargo, ce qui est une bonne chose pour les Européens et une moins bonne nouvelle pour les dirigeants russes évidemment. Les impacts négatifs de l’embargo seront donc clairement plus importants pour la Russie que pour l’UE, ce qui est le but d’une politique de sanctions économiques.
Dernier point particulièrement important. Le 5 décembre 2022 n’est pas la fin de l’histoire, car, dans deux mois, le 5 février 2023, entrera en vigueur un embargo européen sur les produits raffinés importés de Russie. Ce sera un peu plus complexe pour les Européens, notamment pour le gazole dont nous sommes de gros importateurs.
Cet embargo s’accompagne d’un plafonnement du prix du pétrole à 60 dollars le baril. Dans quel but ?
Ce plafonnement est lui aussi entré en vigueur le 5 décembre 2022, une date décidément importante. C’est d’ailleurs beaucoup plus complexe qu’un embargo et l’efficacité de cette sanction particulière est plus difficile à apprécier. Il y a en fait trois motivations derrière cette décision qui a été prise par le G7, par l’UE et par l’Australie, soit 32 pays. La première raison est que, puisque les pays occidentaux ne peuvent pas empêcher d’autres pays, notamment en Asie, d’importer du pétrole russe, le plafonnement du prix de celui-ci constituera quand même une sanction puisque chaque baril exporté par Moscou lui rapportera moins d’argent.
La seconde raison est que les pays occidentaux ne cherchent pas vraiment à empêcher toute exportation de pétrole russe dans le monde, car une telle situation pourrait générer une pénurie de pétrole et une flambée des prix (la Russie est le troisième producteur de pétrole brut après les États-Unis et l’Arabie saoudite et le second exportateur de brut après l’Arabie saoudite). La troisième raison est que, face aux inquiétudes des pays en développement et émergents concernant les conséquences de la guerre en Ukraine sur les prix des matières premières, les pays occidentaux apportent une solution partielle avec ce prix plafond de 60 dollars par baril pour le pétrole brut exporté par la Russie. Les raisons qui ont conduit à une telle mesure sont donc aisément compréhensibles, mais sa mise en œuvre est et sera très complexe. De plus, ce plafond n’est que peu contraignant pour la Russie.
Les exportations de gaz russe vers l’Europe ayant également été drastiquement réduites, quelles sont alternatives d’approvisionnement énergétique pour les Vingt-sept ?
Les importations de gaz russe par l’UE ont effectivement beaucoup diminué depuis le début 2022 parce que les Européens diversifient leurs approvisionnements et parce que la Russie ferme progressivement le robinet du gaz vers l’UE.
Des accords gaziers ont déjà été conclus entre l’UE et les États-Unis, l’UE, l’Égypte et Israël ainsi que l’UE et l’Azerbaïdjan. Dans les deux premiers cas, les livraisons supplémentaires de gaz vers l’Europe se feront sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par bateau alors que, pour l’Azerbaïdjan, il s’agira de gaz transporté par gazoduc. Un nouveau gazoduc, le Baltic Pipe, a été inauguré récemment et il relie la Norvège, qui est devenue en 2022 le premier fournisseur de gaz de l’UE, au Danemark et la Pologne. Et il y a aussi des accords bilatéraux entre des pays européens et des pays gaziers : Algérie/Italie, Abou Dhabi/Allemagne et Australie/Allemagne. Les négociations se poursuivent en cette fin d’année 2022, par exemple entre l’Algérie et la France via leurs groupes gaziers, la Sonatrach et Engie. L’UE s’est donc sérieusement démenée en 2022 pour trouver du gaz en dehors de la Russie en vue de s’en passer complètement dans les prochaines années. Mais, outre cette recherche de nouveaux approvisionnements, l’UE entend également réduire sa consommation gazière et s’efforce de remplacer le gaz naturel par d’autres énergies autant que possible. De plus, les stocks gaziers européens sont quasiment totalement remplis à la veille de l’hiver 2022-2023.
La période actuelle et les deux prochaines années ne seront pas faciles pour l’UE en termes gaziers. Mais il sera beaucoup plus difficile pour la Russie de se passer du marché européen pour écouler son gaz naturel que pour l’UE de se passer du gaz russe.