ANALYSES

En dépit des sanctions contre la Russie : L’OPEP+ maintient ses quotas de production

Presse
4 décembre 2022
Interview de Francis Perrin - Horizons
Quelle lecture faites-vous des résultats de la réunion de l’Opep+ ?

L’Opep+ a choisi le statu quo. C’est une décision très logique pour deux raisons : la décision de réduction de la production de cette coalition (-2 millions de barils par jour) prise en octobre dernier est censée s’appliquer sur la période allant de novembre 2022 à la fin 2023.Il n’y avait pas donc de raison impérieuse justifiant un changement, un mois après son début de mise en œuvre. La deuxième raison est qu’il y a beaucoup d’incertitudes sur le marché pétrolier mondial, notamment du fait de nouvelles sanctions contre la Russie qui est actuellement le troisième producteur mondial. Dans ce contexte, il vaut mieux pour les pays exportateurs se donnent un peu de temps pour apprécier l’impact de ces évolutions et réexaminer la situation en 2023.

Justement, quel sera, selon vous, l’impact du plafonnement du prix du pétrole russe décidé par l’Union européenne, le G7 et l’Australie sur le marché pétrolier ?

C’est compliqué. Cette mesure est sans précédent et nous n’avons donc pas d’historique en la matière. Ce plafonnement entre en vigueur le 5 décembre (aujourd’hui, ndlr) et nous avons besoin d’un peu de recul pour mieux apprécier ses impacts. Ce qui est certain, c’est que cela crée de l’incertitude pour les divers acteurs du marché pétrolier international. Cela dit, le choix initial d’un prix plafond de 60 dollars par baril n’est pas trop dur. Certes, le prix du pétrole Brent (mer du Nord) était d’environ 85 dollars/b, le 2 décembre à Londres, et la différence avec le plafond est grande. Mais nous savons qu’une partie du pétrole russe écoulé en Asie est vendu avec des décotes importantes et l’écart avec le plafond de 60 dollars/b n’est donc pas énorme, si l’on tient compte de ces réductions des prix. De plus, plusieurs inconnues subsistent à ce jour sur l’efficacité de ce nouveau système sur les possibilités de dissimulation et de contournement, sur la réaction de la Russie et sur le comportement des pays asiatiques importateurs de pétrole russe, principalement la Chine et l’Inde. Mais au regard du prix de 60 dollars/b, le système a clairement été conçu pour ne pas entraîner de perturbations majeures sur le marché pétrolier international. A mon sens, un tel niveau pour ce plafond ne met pas en danger l’équilibre offre-demande au niveau mondial.

Les cours du pétrole brut restent non loin de leur plus bas niveau de l’année. Quelles en sont les raisons selon vous ?

Les prix du pétrole ont effectivement beaucoup baissé depuis l’été 2022, et ce, en dépit de la poursuite du conflit en Ukraine qui a eu un fort impact haussier sur les prix du brut entre la fin février 2022 et le début de l’été. La raison principale de cette tendance baissière est la crainte d’une récession mondiale à court terme (2023), ce qui diminuerait la consommation mondiale de pétrole et ferait chuter les prix. Ces inquiétudes sont partagées par de nombreux acteurs du marché pétrolier et par l’Opep et l’Opep+. A cela s’ajoutent les conséquences de la politique chinoise de «zéro Covid», chère à Xi Jinping, même si l’on assiste actuellement à certains assouplissements. La Chine étant le deuxième consommateur mondial de pétrole et le premier importateur, le ralentissement économique de ce pays découlant de ces mesures sanitaires exceptionnelles est forcément un facteur baissier.

Quelles perspectives voyez-vous pour le marché pétrolier ?

A court terme, c’est très incertain. Nous avons un fort risque d’une récession mondiale, même si ce n’est pas une certitude, un embargo pétrolier européen presque total contre la Russie, un mécanisme de plafonnement du prix du pétrole russe évoqué ci-dessus et, dans deux mois, au début février 2023, l’Union européenne imposera un embargo sur les produits raffinés venant de Russie. Cela fait beaucoup en même temps. Globalement, je reste cependant prudemment optimiste. Les bouleversements que nous traversons conduisent à une réorientation des flux pétroliers mondiaux avec moins et bientôt presque pas de pétrole russe pour l’Union européenne et plus de pétrole des Etats-Unis, du Moyen-Orient et de l’Afrique allant vers le marché européen, ce qui illustre une nouvelle fois la flexibilité du système pétrolier mondial. Je pense que le monde ne subira pas une pénurie pétrolière cet hiver et en 2023 en dépit du conflit en Ukraine et de ses impacts énergétiques majeurs. Ce sera par contre plus compliqué pour les équilibres gaziers et électriques en Europe au cours de l’hiver 2022-2023.

Entretien réalisé par Lyes Mechti pour Horizons.
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