ANALYSES

20e Congrès du Parti communiste chinois : symbole de la toute-puissance de Xi Jinping ?

Interview
19 octobre 2022
Le point de vue de Emmanuel Lincot


Le 20e Congrès du Parti communiste chinois a débuté le dimanche 16 octobre à Pékin et se clôturera le 22 octobre. À l’occasion de la cérémonie d’ouverture, Xi Jinping a prononcé un discours de près de deux heures. Quelle était la teneur de ce discours ? Que signifierait un renouvellement de mandat pour le président chinois ? Quel est son bilan en matière de politique intérieure ? Le point avec Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut Catholique de Paris et chercheur associé à l’Iris.

 

Le président Xi Jinping a pris la parole à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du XXe congrès national du Parti communiste chinois le 16 octobre 2022. Quelle était la teneur de son discours ? La politique étrangère n’a semble-t-il eu qu’une faible place dans celui-ci : qu’est-ce que cela traduit ?

Bien que s’opposant à une « mentalité de guerre froide » (une expression fréquemment utilisée par les diplomates chinois), Xi Jinping s’est abstenu de mentionner les États-Unis ou la guerre en Ukraine. En revanche, que ce soit sur la mer de Chine ou Taïwan, Xi Jinping a été très ferme et a rappelé la détermination de l’État-Parti à défendre les intérêts de la nation chinoise. Implicitement, tout le monde comprend que Washington est averti. Par ailleurs, et quels que soient les pays, la politique étrangère est un sujet de préoccupation secondaire pour les opinions. La Chine est en soi un monde. La Chine étant le pays le plus peuplé du globe, il s’adresse de facto au quart de la population mondiale. Qu’il privilégie les questions de politique intérieure n’a donc rien de surprenant. Dans son discours de près de deux heures, Xi Jinping a défendu sa campagne anticorruption devant les quelques 2300 délégués du Parti au Palais du Peuple, place Tiananmen. Cette politique anti-corruption a permis depuis 2012 de sanctionner au moins 1,5 million de personnes avides de pots-de-vin, selon les chiffres officiels. Xi Jinping a par ailleurs assuré que la Chine, l’un des plus gros pollueurs de la planète, allait participer activement à la lutte contre le réchauffement climatique. Sur le plan idéologique, il est clair que Xi Jinping poursuit ses choix d’une révolution conservatrice à l’opposé de l’idée même d’une démocratie à l’occidentale. Cette démarcation de la Chine se vérifie aussi dans le choix d’un changement du système international. En amont même du XXe Congrès, les 15 et 16 septembre dernier, avait eu lieu à Samarcande, en Ouzbékistan, le sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai à l’occasion duquel Pékin mais aussi Moscou en appelaient, chacun, à ce changement. Le moteur de ce changement passe très clairement pour Xi Jinping par une modernisation du marxisme ; mission qui relève, selon lui, d’une « responsabilité historique » incombant aux Chinois. Corollaires de cette modernisation : une adhésion aux principes du Parti, atteindre une coexistence harmonieuse entre l’Homme et la nature et promouvoir une communauté de destin pour l’humanité, et ce, à l’échéance 2049. Ce plan de doctrine est de facto totalement opposé aux principes défendus par l’Occident en matière de droits de l’Homme ou de respect des libertés individuelles. C’est en cela que réside le défi chinois pour l’Occident et les différents rendez-vous politiques organisés par la Chine constituent autant de jalons supplémentaires dans sa confrontation idéologique à l’Occident.

Le président se verra sans doute conférer un troisième mandat en tant que Secrétaire général du Parti communiste chinois. Le renouvellement de ce mandat symbolise-t-il la toute-puissance de Xi Jinping ?

Assurément. Ayant aboli la limite de mandats pour le titre de Président de la République populaire de Chine, Xi Jinping se voit conforté dans son assise même si l’incarnation véritable du pouvoir s’exerce en Chine avant tout, comme vous le rappelez, à travers la fonction de Secrétaire général du Parti. La fonction de Xi Jinping a été symboliquement marquée par une reconnaissance de sa doctrine théorique d’un rang quasi-égal à la « pensée Mao Zedong » (Mao Zedong sixiang). À titre de comparaison, Deng Xiaoping, l’un de ses prédécesseurs, n’avait eu droit qu’à une « théorie » (Deng Xiaoping lilun) ; ce qui en soi renforce considérablement la légitimité de Xi Jinping dans l’organisation du Parti. Ce dernier s’y est d’ailleurs préparé étant l’auteur depuis juin dernier de dix ouvrages aux sujets aussi variés que les relations internationales, l’écologie ou l’économie. Sa réélection consacre donc cinq années de renforcement de son pouvoir dans tous les domaines. Toutefois, il est à noter que concomitamment à cette tendance qui était observable depuis plusieurs années, le XXe Congrès est marqué par un drastique rajeunissement des cadres de l’équipe dirigeante. Plus de 80 % des cadres fraîchement élus sont nés dans les années soixante. Ils composent désormais l’écrasante majorité du Comité central. Seul l’âge des membres du Politburo demeure plus élevé, lesquels sont à 90 % redevables à Xi Jinping de leur carrière. Parmi ces cadres, on note une surreprésentation des cadres originaires du Zhejiang (là même où Xi Jinping a exercé des responsabilités importantes). Alors que des spéculations allaient bon train avant même la tenue de cette échéance politique on peut dire avec certitude que le Parti poursuit en définitive sa mue sur le plan sociologique quant à l’élection de ses cadres. En cela, la gérontocratie qui avait caractérisé d’une manière si caricaturale les systèmes communistes européens et soviétiques sont aux antipodes du PCC et de ses dirigeants. Même si la très grande majorité des cadres reste des hommes, leur niveau d’éducation n’a cessé d’augmenter. Il s’agit, pour beaucoup d’entre eux, de technocrates de terrain. Xi Jinping se trouve donc renforcé à la tête de cette équipe dirigeante qui lui est pleinement acquise.

Quel est le bilan de Xi Jinping en matière de politique intérieure ? Comment celle-ci est-elle perçue par la population chinoise à la veille de ce potentiel troisième mandat, alors que la Chine rencontre notamment un ralentissement économique ?

Il est difficile d’évaluer une opinion en l’absence de sondages. Elle n’en est pas moins clivée. D’aucuns pensent que la gestion de la pandémie notamment a été calamiteuse. Une augmentation inédite de suicides a été signalée dans certaines conurbations à la suite d’un interminable confinement. D’autres considèrent, en revanche, que Xi Jinping est à sa manière un humaniste car il a privilégié l’humain et non l’économie. La majorité reste sinon indifférente tout au moins attentiste voire terrorisée et ne se prononce pas même si l’on regarde avec inquiétude les relations avec l’Occident se tendre et une augmentation très importante du chômage qui naturellement inquiète. Xi Jinping va devoir tenir compte de ces avis contraires y compris dans la critique qui lui a été plus d’une fois adressée concernant les Nouvelles Routes de la soie. Même s’il n’y aura pas a priori de renoncement officiel à ce projet, il pourrait être désubstantialisé (comme le laissait déjà entendre le dernier forum sino-africain qui s’est tenu en décembre de l’année dernière), avec une baisse importante des investissements nationaux dans des infrastructures en voie de réalisation à l’étranger. Plus globalement, le PCC devrait, dans les prochaines années, replier le pays sur ses intérêts les plus proches. Un objectif important est celui de la sécurité alimentaire, que la Chine est loin d’atteindre : les liens avec la Russie pourraient être valorisés dans ce sens. En somme, la Chine entre dans une zone de très grandes turbulences. À la manière d’un effet boomerang : nous pouvons dire que la Chine n’y est pas totalement étrangère.

 
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