25.10.2024
Coups d’État en Afrique de l’Ouest : « Le terrorisme a rendu secondaire l’agenda démocratique »
Presse
6 octobre 2022
En tout cas, la question du terrorisme a rendu secondaire l’agenda démocratique, notamment dans le Sahel. Les coups d’État « nouvelle génération » ne s’appuient pas sur un paradigme idéologique, mais essentiellement sur la question sécuritaire. Sauf en Guinée, où le putsch a été perpétré contre un dirigeant ayant commis ce que les Guinéens ont considéré comme un coup d’Etat constitutionnel. Ces coups, qui sont qualifiés de salutaires par les populations − on voit bien l’enthousiasme qu’ils suscitent −, sont considérés par elles comme une réponse à l’incapacité d’un président, élu, à satisfaire les promesses de son élection démocratique.
Seulement, nous constatons, au Mali, en Guinée ou au Burkina Faso, que ces coups s’installent durablement dans le temps. C’est comme si les militaires, qui sont considérés aujourd’hui comme les acteurs de la rectification démocratique, prenaient finalement la place des oppositions civiles, régulièrement élues, pour mettre en place des régimes qui pourraient devenir des pouvoirs en opposition avec la revendication démocratique. Nous assistons à un basculement !
Pourquoi les coups, qui se multiplient, sont-ils particulièrement concentrés en Afrique de l’Ouest, dont beaucoup de pays sont des anciennes colonies françaises ? Y aurait-il un lien de cause à effet ?
L’Afrique de l’Ouest a été considérée, entre 1990 et 2010, comme la région la plus prometteuse en matière d’achèvement démocratique. A contrario de l’Afrique centrale qu’on estimait être le trou noir de la démocratie. Au passage, il faut relativiser l’observation quand on parle du retour des coups d’Etat sur le continent. Nous ne sommes pas dans un festival de putschs : il y a eu trois coups d’Etat en Afrique de l’Ouest sur une quinzaine de pays concernés. Il faut ajouter qu’ils ont eu lieu dans la région sahélo-saharienne et dans le golfe de Guinée. Sur les trois coups d’Etat dont nous parlons, deux sont liés à la question sécuritaire, aujourd’hui centrale en Afrique de l’Ouest. Ce qui signifie que le sujet fait non seulement reculer l’agenda démocratique, mais qu’il pourrait aussi conduire à l’instauration de nouveaux régimes autoritaires que j’appelle des « néodictatures » − ni démocratie ni autocratie − notamment dans ces pays. Des régimes qui pourraient, à terme, paralyser le projet démocratique tel que pensé depuis les années 1990 [période où de nombreux pays africains se sont tournés vers le multipartisme].
Il y a une spécificité des pays francophones. Si on fait le lien entre la question sécuritaire et les coups d’Etat, on se rend compte que dans un pays comme le Nigeria, confronté depuis plusieurs années au fléau terroriste avec Boko Haram, la stabilité politique est la réponse la plus forte que ce pays ait opposé à l’expansion jihadiste. La démocratie nigériane a fait d’énormes progrès ces vingt dernières années. Quand on sait que le projet des groupes terroristes jihadistes est de détruire les Etats tels que nous les concevons et de les remplacer par leur logiciel, force est de constater que le Nigeria apporte la réponse la plus efficace.
Outre la question sécuritaire, ces coups d’Etat ont une autre caractéristique : la joie et le soutien qu’ils suscitent chez les populations, surtout les jeunes…
Cet enthousiasme est symptomatique de la grande désespérance de ces populations, déçues par des régimes civils qui n’ont pas su tenir leurs promesses démocratiques, économiques et sociales. Par ailleurs, il y a eu un rendez-vous manqué au cours des trente dernières années, c’est celui de la transmission entre générations. Qu’a-t-on transmis du souvenir de la conquête de la démocratie, advenue au début des années 1990, aux jeunes qui ont aujourd’hui entre 20 et 30 ans et qui applaudissent ces coups ? Est-ce qu’il y a eu une pédagogie de la démocratie ? Est-ce qu’il y a eu un renforcement de l’éducation civique ? Est-ce que l’ancrage démocratique a été assumé en tant que projet historique ? Cela l’a été dans certains pays comme le Cap-Vert, le Ghana ou encore le Nigeria, et dans d’autres pays en Afrique australe.
Nous assistons aujourd’hui avec ces coups d’Etat à l’émergence d’une sorte de chaos politique qui se distingue, entre autres, par la montée d’un populisme spécifiquement africain mâtiné d’esprit de revanche historique qui suscite de nouvelles passions au sein de la jeunesse. Cette dernière trouve dans ces discours, sans projet politique réel d’ailleurs, l’occasion de refaire une révolution qui repose davantage sur des fantasmes que des faits avérés.
Comment expliquer l’émergence de cette rhétorique anti-française dans ces pays politiquement instables ?
Il y a des raisons profondes à ce que la France soit fustigée dans les rues de Bamako et de Ouagadougou, ou même ailleurs. Ce sentiment anti-français résulte de tous ces comptes mal soldés de la colonisation. Mais tout cela est bien sûr instrumentalisé. Il faut prendre en compte la guerre d’information décomplexée engagée par la Russie depuis plusieurs années, contre ce qu’elle appelle l’Occident. Une guerre anti-Occident à laquelle elle veut associer des partenaires africains. A cela s’ajoute un projet économique parfaitement exécuté par le groupe Wagner, qui oscille entre sécurité et exploitation de ressources naturelles et minières de certains pays africains.
L’agenda de la Russie de Vladimir Poutine est très clair aujourd’hui. En comparaison, l’agenda africain est beaucoup plus flou. Il ne s’agit pas de manière incantatoire d’en appeler à la Russie pour juste combattre le souvenir de l’impérialisme français. Il faut surtout que les Africains puissent clairement déterminer quels sont les avantages qu’ils tirent de leurs partenariats, quels qu’ils soient.
Pourquoi la propagande russe est-elle si efficace dans ces pays auprès des jeunes, qui n’ont pas toujours l’éducation citoyenne appropriée, mais également auprès de certains intellectuels ?
La Russie exploite toutes les faiblesses de ses adversaires occidentaux. Moscou exploite aussi ce que vous évoquez, c’est-à-dire un déficit assez important d’éducation des populations qui les rend plus perméables à une guerre informationnelle assez grossière. Quand on voit les arguments qui sont déversés en Centrafrique ou au Mali par les agents de la communication de Wagner, on se demande comment des populations peuvent reprendre cela à leur compte, au point d’aller manifester. Là où l’affaire devient plus compliquée, c’est quand des acteurs africains, qui sont plus armés intellectuellement, se font le relais d’un tel mécanisme pour servir des agendas politiques nationaux suspects qui ne servent en rien les intérêts des populations.
Propos recueillis par Falila Gbadamassi pour France info.