ANALYSES

Coup d’État au Burkina Faso : entre crise multiforme et jeux d’influence

Interview
6 octobre 2022
Le point de vue de Caroline Roussy


Le Burkina Faso a connu un nouveau coup d’État militaire vendredi 30 septembre. Au pouvoir depuis huit mois, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a été renversé par le capitaine Ibrahim Traoré, officiellement désigné ce mercredi 5 octobre président du pays. Marqué par de violentes attaques contre des représentations françaises, ce renversement s’inscrit dans un contexte plus large de crise sécuritaire. Ce coup d’État est-il le symbole d’une perte d’influence française en Afrique ? En quoi est-il bénéfique à la Russie ? Le point de vue de Caroline Roussy, directrice de recherche à l’IRIS, en charge du programme Afrique/s.

Le chef de la junte au pouvoir au Burkina Faso, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a démissionné dimanche 2 octobre pour être remplacé par le nouveau chef autoproclamé Ibrahim Traoré. Dans quel contexte s’inscrit ce coup d’État ?

Il me semble important de revenir sur le contexte de ce coup d’État étant donné que les médias français ont surtout couvert, loi de la proximité journalistique oblige, les attaques de diverses représentations françaises, à savoir l’ambassade de France, l’Institut français et la base militaire française. Si on comprend cette logique journalistique, elle ne rend toutefois pas compte de la situation dégradée dans le pays. Vraisemblablement l’élément déclencheur de ce coup d’État, même s’il est nécessaire de considérer un faisceau de causalités, c’est l’attaque d’environ 150 camions humanitaires chargés de ravitailler la ville de Djibo, sous blocus d’un groupe terroriste depuis plusieurs mois. Premièrement, les habitants de cette ville sont en situation de famine tandis que de nombreuses zones burkinabè sont en situation de détresse alimentaire. Deuxièmement, cela a montré l’incapacité du gouvernement de transition, arrivé au pouvoir en janvier dernier à la suite d’un coup d’État, à enrayer la violence qui gangrène le pays alors même qu’il s’était engagé à apporter des résultats sous 5 mois. 40% du territoire n’est actuellement pas contrôlé par l’État. À ce sombre tableau, il faut également ajouter que le désormais ex-président de la transition, le colonel Damiba, a invité en juillet dernier Blaise Compaoré, ancien président du Burkina Faso chassé par la rue en 2014 (« Du Balai citoyen ») dans le cadre d’un dialogue de réconciliation nationale, alors même que ce dernier a été condamné, en avril 2022, à perpétuité par contumace pour son rôle dans le meurtre de Thomas Sankara (1987). Le retour de Blaise Compaoré – qui vit depuis 2014 en exil en Côte d’Ivoire – au Burkina Faso s’est fait au mépris de la justice, provisoirement mise entre parenthèses. Cet épisode n’a pas suscité, loin s’en faut, de concorde nationale qui était pourtant l’objectif recherché. Les éléments de défiance contre le gouvernement de Damiba étaient en germes.

Ce nouveau changement à la tête d’un régime africain, après le Mali en 2021, est-il symptomatique d’une influence française qui perd pied en Afrique ?

L’influence française est en déclin au niveau régional (sur les plans économique et militaire). L’image de la France est profondément dégradée. Le sentiment anti-français est latent. Ce rejet peut toutefois être instrumentalisé et se révéler un contre-feu dans certaines situations paroxystiques. Les nouveaux tenants du pouvoir, notamment le capitaine Ibrahim Traoré, ont affirmé que le colonel Damiba était réfugié à l’ambassade de France, au moment même où il était difficile de savoir si le nouveau leadership militaire était en capacité de s’imposer au pouvoir. Dans ce contexte, le sentiment anti-français a été un levier politique. Des manifestants s’en sont pris aux institutions françaises créant visiblement un rapport de force favorable au capitaine Traoré. La France, quant à elle, semble pétrifiée, contrainte de se justifier, trahissant à peine sa sidération et ses capacités limitées de réaction dans un cycle ouvert de contestations (Mali, Sénégal, etc.). La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, et sa porte-parole, ont démenti dans différents cadres médiatiques (communiqués de presse, France 24, etc.) toute protection accordée au colonel Damiba. Cette séquence montre une fois de plus le rejet de la France même s’il conviendrait d’en saisir les nuances, les inflexions. Quoiqu’il en soi, les dynamiques endogènes et les défis auxquels le pays est confronté ne doivent pas être obérés.

Cette perte d’influence se fait-elle au bénéfice de la Russie ?

Durant le coup d’État – soit de vendredi à dimanche, il a été possible, d’après les images tournées par les journalistes, de voir des drapeaux russes brandis par des manifestants. À l’heure actuelle, nous ne savons pas si la Russie a joué un rôle dans le renversement du gouvernement Damiba ou si elle a seulement saisi l’opportunité du coup d’État et du rejet français pour apparaître comme une alternative crédible. La Russie ne joue pas un rôle structurant sur le plan géopolitique, mais sa perception si. Le nouvel homme fort du Burkina Faso a intégré la concurrence entre la France et la Russie à des fins tactiques : asseoir son pouvoir. Mais cette tactique court-termiste peut-elle se transformer en véritable stratégie ? La Russie qui dispose de relais médiatiques d’influence (Sputnik, RT) peut-elle se révéler un allié solide de Ouagadougou alors même qu’elle montre des signes de faiblesse sur le front ukrainien ? La France est-elle encore un partenaire du Burkina Faso ? Seuls le capitaine Traoré et les Burkinabè peuvent répondre à ces interrogations. Reste à savoir également comment la France envisage son avenir dans cette région.
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