ANALYSES

Élections législatives au Sénégal : recomposition du parlement et enjeux pour la démocratie

Tribune
19 août 2022
Par Martin Mourre, chercheur affilié à l’Institut des mondes africains (IMAf, CNRS-UMR 8171)
 


Fin juillet se sont déroulées les élections législatives au Sénégal. Suite à la crise politique de mars 2021 et dans le contexte du conflit russo-ukrainien – le Sénégal importe près de 40% de son blé depuis la Russie –, accentuant une crise socio-économique née de la pandémie de Covid-19, ces élections étaient redoutées par les observateurs. 165 sièges de députés étaient en jeu dans cette seconde élection organisée depuis le début de l’année, puisqu’en janvier avaient déjà eu lieu les élections municipales et départementales. Celles-ci avaient vu la défaite de la majorité présidentielle. Pour beaucoup, ces législatives étaient considérées comme un test crucial pour le président Macky Sall. Du score de sa coalition dépendrait la possibilité qu’il se représente aux élections présidentielles de 2024 pour un troisième mandat, ce que la constitution actuelle lui interdit théoriquement. Pour envisager une modification constitutionnelle, il faut effectivement un vote des 3/5 des députés du parlement, cela ne semble plus possible en l’état.

Alors qu’un minimum de 83 députés est requis pour obtenir la majorité absolue, la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar (« Unis pour le même espoir » en wolof, BBY), dont la liste était dirigée par l’ancienne première ministre Aminata Touré, en a remporté 82 – elle en détenait 125 lors de la précédente législature. En face d’elle se trouvait une intercoalition formée par Yewwi Askan Wi (« Libérer le Peuple », YAW) du parti de celui qui est devenu le principal opposant, Ousmane Sonko, allié avec Wallu Sénégal (« Secourir le Sénégal »), dont la principale formation est le Parti démocratique sénégalais de l’ancien président Abdoulaye Wade. Cette alliance, essentiellement tactique, a remporté 80 sièges, 56 pour YAW et 24 pour Wallu et les discussions se poursuivent à l’heure actuelle pour savoir si les députés siégeront dans un ou deux groupes parlementaires. Sur les cinq autres listes concourant, trois ont remporté chacune un siège : Bokk Gis Gis (« Une même vision », BGG) de l’ancien maire de Dakar et ancien président de l’Assemblée nationale, Pape Diop, Alternative pour une Assemblée de Rupture (AAR-Sénégal) de Thierno Alassane Sall, un ancien ministre de Macky Sall et Les Serviteurs de Papa Djibril Fall, un journaliste nouvellement venu en politique. Ces listes sont donc apparues comme des « faiseuses de roi » et, après un suspens de quelques jours, Pape Diop a finalement choisi de rallier la majorité gouvernementale permettant que celle-ci obtienne 83 voix et donc, à un siège près, une majorité absolue. Si Diop a justifié son choix comme celui d’un républicain cherchant à éviter un blocage des institutions, l’opposition, et jusqu’à certains membres de son parti, l’ont compris autrement et l’ont désigné comme un « transhumant » selon le vocabulaire utilisé en de pareilles occasions. Quoi qu’il en soit, c’est la première fois depuis l’indépendance que le parti au pouvoir ne remporte pas une législative et qu’un parlement apparait aussi hétérogène – au Sénégal, il n’y a pas de Sénat et le système parlementaire est monocaméral.

Aujourd’hui, c’est un vent nouveau qui semble souffler sur la politique sénégalaise.

Le pari de Macky Sall de remporter haut la main ces élections et de se projeter ainsi vers 2024 a échoué alors même que des ténors de la majorité ont été battus, tel son propre beau-frère Mansour Faye dans le département de Saint-Louis. La carte des résultats électoraux confirme des tendances observées lors des dernières élections locales. BBY l’emporte largement dans les zones rurales, notamment dans le Foutah, à majorité ethnique peule dont est issu le président. La victoire est écrasante dans la région de Matam, quand bien même l’opposition lui reproche d’avoir distribué cadeaux et prébendes dans ces territoires et de contribuer à « ethniciser » les rapports sociaux. L’opposition, elle, a remporté le département de Ziguinchor, ville où est maire Ousmane Sonko, réaffirmant ainsi plus largement son emprise sur la Casamance, une région d’où il est originaire et en proie à un conflit meurtrier depuis plus de quarante ans. Elle a aussi gagné dans la plupart des grands centres urbains, notamment la bataille de Dakar, avec de larges victoires dans 4 départements sur les 5 que compte cette région. Le département de Mbacké, fief de la confrérie mouride et où se trouve la ville sainte de Touba – ville la plus peuplée du Sénégal hors agglomération dakaroise – est restée fidèle à Abdoulaye Wade avec une nette victoire de la coalition Wallu. Par le jeu de cette alliance électorale, le parti de l’ancien président Wade réalise un score honorable et reste une formation qui compte dans le jeu politique. À l’inverse, le Parti socialiste qui a dirigé le pays pendant quarante entre 1960 et 2000 est lui resté divisé entre les pro-Sonko – notamment Barthélémy Dias et Khalifa Sall – et ceux fidèles à Macky Sall. Il apparait aujourd’hui moribond en tant qu’organisation politique bien que certaines de ses figures jouissent toujours d’une certaine aura parmi les militants.

Un autre enseignement du scrutin a été le faible taux de participation, à peine 46% soit presque six points de moins que les législatives de 2017. Si les principales listes n’ont pas déposé de recours, les résultats ont été contestés dans la presse par les états-majors de l’opposition et le Sénégal pourrait ainsi voir son image de vitrine démocratique en Afrique de l’Ouest écornée. La campagne a très peu porté sur une compétition entre de véritables programmes et a été marquée par plusieurs accrochages. Ainsi, suite à l’invalidation de la liste des candidats titulaires de Yewwi Askan Wi – ce sont les suppléants, inconnus pour la plupart, qui ont été présentés –, de nombreuses violences ont émaillé le processus électoral. Plusieurs manifestations se sont déroulées sur l’ensemble du territoire dont certaines violemment réprimées, notamment celle du 17 juin où trois manifestants ont été tués et plusieurs parlementaires de l’opposition arrêtés. Ces tensions ont continué avant que l’opposition ne décide de privilégier un autre mode d’action en choisissant d’organiser des concerts de casserole tous les soirs à 20h. Cette crise s’inscrit dans le prolongement de celle de mars 2021 où, suite à l’inculpation d’Ousmane Sonko, des protestations avaient éclaté et entrainé un cycle de violences causant la mort de 14 manifestants soutien de Sonko, principalement des jeunes tués par les forces de l’ordre ou des milices au service du camp présidentiel.

Mais si Ousmane Sonko se présente comme le candidat antisystème et peut se targuer d’avoir mobilisé ses partisans dans la rue, lui et son groupe parlementaire vont devoir faire l’expérience d’un autre rapport à l’action publique dans le cadre du travail à l’Assemblée nationale. Un des enjeux pour l’intercoalition Yewwi-Wallu est d’être force de proposition, autant au parlement qu’au niveau local, et ainsi de faire vivre l’exercice démocratique dans ces différents espaces hors campagnes électorales. Macky Sall et ses soutiens vantent eux un bilan économique, celui du Plan Sénégal émergent qui a certes permis la réalisation de grandes infrastructures. Un Premier ministre devrait bientôt être nommé alors que le poste avait été supprimé en 2019 avant que le président Sall ne revienne sur sa décision fin 2021. Le profil de celui, ou de celle, qui sera nommé(e) donnera une orientation générale pour les prochains mois et de l’analyse qui a été faite de ce résultat électoral. Pour le président, s’il veut prévenir une crise plus grave encore de la démocratie sénégalaise, il reste d’abord un défi plus immédiat. S’il veut s’assurer une sortie honorable, il aurait tout intérêt à faire la lumière sur les répressions de mars 2021 et de juin 2022, comme à trancher cette question du troisième mandat au plus tôt, si possible en annonçant qu’une telle éventualité n’a jamais été dans ses plans.

Alors que le président Sall est l’actuel président de l’Union africaine jusqu’en 2023, nul doute qu’en Afrique de l’Ouest, où cette question reste posée dans différents contextes, les yeux vont continuer à être rivés sur le pays de la terranga dans les prochains mois.
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