10.12.2024
Métaux russes : le casse-tête chinois des industriels
Presse
23 mars 2022
Tous les métaux dont la Russie est l’un des principaux exportateurs, ce qui fait une liste relativement longue. Il est difficile de hiérarchiser leur importance, même si pour certains, le poids de la Russie dans le marché mondial est si grand qu’ils seront difficilement remplaçables à court terme. C’est notamment le cas pour le palladium, ce métal rare autant utile au secteur de l’automobile pour les pots catalytiques qu’à la production de semi-conducteurs et pour l’électronique grand public. La Russie en est l’un des principaux exportateurs, et représente 37 % de sa production mondiale en 2021.
Cependant, la Russie est un vaste pays, riche en matières premières, la diversité de métaux présents sur son territoire lui donne donc une place importante dans bon nombre de secteurs, sans pour autant en être pour tous le premier producteur mondial. Le Nickel russe, par exemple, représente 9,2 % de la production mondiale en 2021. Ce métal est utile à la production de batteries pour les véhicules électriques, un secteur en pleine expansion, et les produits de consommation courante L’entreprise russe Nornickel est déjà l’un des plus gros producteurs mondiaux de nickel de classe I, ce dernier étant le seul à pouvoir convenir à la production des sulfates de nickel employés dans la fabrication de batteries.
Les autres métaux, dont le poids de la production russe dans le monde est indéniable, sont : le titane (13 % de part de marché), le platine (10,5 %), l’aluminium (5,4 %), le cuivre (4 %), le cuivre raffiné (3,5 %) et le Cobalt (4,4 %). Si l’on ne peut justement pas dire lequel de ces métaux impactera le plus le commerce mondial, c’est qu’ils ont chacun une importance propre à leurs fonctions. La Russie ne représente par exemple que 4,4 % de la production de Cobalt, mais malgré cette part au demeurant assez faible à première vue, elle fait de la puissance russe le deuxième producteur au monde de ce métal — un marché dominé par la République démocratique du Congo avec environ 70 % de la production mondiale.
La crise sanitaire a créé de fortes tensions sur la demande de matières premières. Faut-il s’attendre à une aggravation de ces tensions ?
Les métaux cités sont utiles pour une multitude de secteurs. Les trois secteurs les plus importants restent l’automobile, l’aéronautique et le secteur des semi-conducteurs. L’automobile est celui qui en souffrira sûrement le plus car il nécessite beaucoup de métaux différents. Ainsi, l’aluminium, le cuivre, le platine et le palladium sont tous utiles à la fabrication d’automobiles à propulsion thermique, notamment pour les pots catalytiques. Pour les véhicules électriques, le cobalt et le nickel sont indispensables aux batteries. Déjà entravé par la pénurie de puces électroniques depuis septembre 2021, le secteur automobile allemand a déjà suspendu des lignes de production en raison d’un problème d’approvisionnements de ses sous-traitants en Ukraine et la situation pourrait s’aggraver. L’aéronautique dépend également des métaux russes, et en particulier des éponges de titane. Les principaux groupes aéronautiques ont pour principal fournisseur la société russe VSMPO-Avisma (environ 30 % du marché mondial du titane), seul Boeing a pour le moment décidé de mettre fin à ses réapprovisionnements. Cette société fournit environ 50 % des importations de l’aéronautique mondial et légèrement moins pour les acteurs français. Dans ce secteur, les industriels ont par précaution constitué des stocks qui leur permettent de gérer une problématique de pénurie à court terme.
Pour ce qui est des semi-conducteurs, leur production demande deux ressources principales, le palladium et le gaz néon, ce dernier étant produit à 50 % en Ukraine. Les deux entreprises principales, Ingas et Cryoin, ont déjà fermé leurs sites. On peut donc s’attendre à de grandes difficultés pour ce secteur.
Les prix augmentent-ils en raison d’une offre réellement insuffisante ou d’une anticipation de sanctions à venir ?
À l’heure actuelle, aucune sanction n’a été mise en place pour le marché des minerais russes. Mais les autres sanctions affectent le marché : la logistique nécessaire à leur acheminement est perturbée, et la suspension du système SWIFT pour de nombreuses banques freine les échanges. Ces perturbations ont un impact sur les prix. Le nickel a subi une variation très impressionnante. En quelques jours, son prix à la tonne est passé de 25 000 à 50 000 $, avant d’atteindre les 100 000 $ quelques jours après, avant une suspension des cours, puis un retour à environ 50 000 $ la tonne et une diminution à environ 30 000 $ la tonne le 21 mars dernier
En outre, cette guerre arrive sur des marchés déjà extrêmement tendus. Entre 2020 et 2021, les prix des métaux ont bondi de 45 % en moyennes (tous métaux confondus), en raison d’une reprise économique extrêmement forte suite à la pandémie de covid 19 dans un contexte de tensions du côté de l’offre. Aujourd’hui, il n’y a pas encore de pénurie, les hausses de prix s’expliquent en majeure partie par les anticipations des acteurs et les primes de risque géopolitique. La crainte de nouvelles sanctions joue aussi un rôle dans cette variation des prix.
Les pays occidentaux peuvent-ils substituer les métaux importés de Russie par d’autres sources d’approvisionnement ?
Tout dépend du poids de la Russie dans la production mondiale de ces métaux. Pour le palladium (37%), il semble compliqué de la remplacer à court terme, même si l’Afrique du Sud reste le premier producteur mondial de cette ressource (40 %). Ce qui est certain, c’est que tout le monde est à la recherche de nouveaux fournisseurs. De nombreux pays, comme le Canada ou l’Australie par exemple, offrent une diversité aussi large de métaux que celle de la Russie. Toutefois, pour certains métaux spécifiques les questions de disponibilité à court terme pourraient se poser.
La Chine a un poids important dans les exportations de titane, la République démocratique du Congo domine le marché du Cobalt, et le Chili nous donne accès au Cuivre. Les fournisseurs ne manquent donc pas forcément, mais retirer la Russie de l’équation fera forcément diminuer l’offre, alors que la demande pour l’instant ne fléchit pas.
Le poids des métaux est-il comparable à celui du gaz dans les exportations russes ?
Les exportations de minerais et de métaux représentent environ 8,5 % des marchandises exportées de la Russie en 2020 selon la Banque mondiale (6 % en 2019), quand celles d’hydrocarbures plus de 42 % en 2020 (52 % en 2019). Les métaux sont donc bien moins stratégiques pour la Russie que les hydrocarbures.