ANALYSES

Enjeux énergétiques de la guerre en Ukraine : les enjeux stratégiques du gaz norvégien pour la sécurité des approvisionnements de l’UE

Interview
1 mars 2022
Le point de vue de Marine Simoën


Alors que la Russie fournit près de 40% de la consommation de l’Union européenne en gaz, Vladimir Poutine pourrait décider ne plus approvisionner les Européens en gaz russe. La crise russo-ukrainienne incite à nouveau l’Union européenne à réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, dépendance dont elle tente de se défaire depuis 2014 déjà. Le gaz norvégien pourrait-il ainsi permettre à l’Union européenne de diversifier son approvisionnement en gaz ? Le point de vue de Marine Simoën, chercheuse associée à l’IRIS.

 

Dans quelle mesure la Norvège pourrait-elle compenser une éventuelle baisse des approvisionnements de gaz russe à l’UE à court terme ?


La Norvège est le deuxième fournisseur en gaz de l’Union européenne et ses approvisionnements représentaient environ 22 % des importations gazières de l’UE en 2021 (soit environ 112 milliards de mètres cubes). Le pays a déjà décidé à l’automne 2021 d’augmenter sa production de gaz pour les 12 prochains mois de quelques milliards de mètres cubes en soutien aux pays européens, en difficulté face aux prix élevés de l’énergie. Néanmoins la Norvège produit déjà du gaz proche du maximum de sa capacité de production actuelle et les exportations sont limitées par les capacités de transport du gaz, qui dépendent de la taille des gazoducs entre la Norvège et l’Europe. À très court terme, le pays ne sera donc pas en mesure de fournir des approvisionnements supplémentaires significatifs pour compenser une éventuelle baisse des exportations russes.


Toutefois, d’ici mai 2022, le terminal de liquéfaction de Hammerfest permettra d’augmenter les capacités d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) depuis la Norvège. Le terminal, qui est à l’arrêt depuis septembre 2020 suite à un incendie, a une capacité maximale de 7,4 milliards de mètres cubes par an. Ces volumes permettront d’accroître les approvisionnements en gaz de l’UE. Mais ils resteront encore insuffisants comparativement à la consommation européenne annuelle de gaz, qui avoisine les 500 milliards de mètres cubes.


Quelles solutions permettraient d’accroître les exportations gazières de la Norvège vers l’UE à moyen terme pour limiter la part de la Russie ?


La Norvège, mais aussi le Royaume-Uni, pourraient accélérer la mise en production des découvertes de champs de gaz connus. Il faudrait également investir dans l’extension du système de gazoducs et / ou développer plus fortement les capacités d’exportations de gaz sous la forme de gaz naturel liquéfié. L’acheminement du GNL par voie maritime offre plus de flexibilité que les gazoducs. Les terminaux de liquéfaction représentent aujourd’hui seulement 5 % des capacités d’exportation de gaz de la Norvège. Toutefois, ces axes de développement nécessitent un soutien politique et social, et des années de planification et de mise en œuvre si l’on veut augmenter significativement les volumes disponibles.


Dans tous les cas, il est très peu probable que la Norvège puisse remplacer l’approvisionnement gazier en provenance de la Russie, même sur le long terme. Les réserves estimées en gaz du pays ne sont tout simplement pas suffisantes, même en relançant de grandes campagnes d’exploration. Et ce d’autant plus si la demande en gaz de l’UE risque de continuer à augmenter pour compenser la fermeture des centrales à charbon, en Allemagne ou en Pologne par exemple. C’était l’un des intérêts principaux du projet Nord Stream 2, projet de gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne, qui devait permettre de doubler la capacité existante de Nord Stream 1, de 55 à 110 milliards mètres cubes par an, et répondre à la croissance de la demande en gaz de l’UE.


Dans l’immédiat, comment l’Union européenne pourrait-elle s’adapter au mieux aux incertitudes sur les approvisionnements de gaz russe ?


La maîtrise des stocks gaziers en Europe est un facteur déterminant. L’Europe peut sécuriser des volumes supplémentaires en augmentant les importations de GNL depuis les États-Unis, le Qatar ou encore l’Australie, mais les marchés du GNL sont déjà tendus au niveau mondial. Une autre solution est de jouer sur la demande de gaz de l’UE. À court terme, il pourrait s’agir d’appeler à réduire la consommation directe de gaz pour le chauffage domestique mais aussi de chercher à diminuer la consommation d’électricité de l’Union européenne. Cela permettrait de diminuer le recours aux centrales thermiques fonctionnant au gaz qui sont actuellement les dernières à être appelées sur le réseau et expliquent en partie les prix très élevés de l’électricité. À moyen et long terme, il est plus que jamais stratégique pour l’Europe d’accélérer les investissements dans les solutions de production d’électricité ne reposant pas sur un approvisionnement en combustibles fossiles et qui permettent donc une maîtrise beaucoup plus locale du système énergétique, tout en limitant l’impact climatique.


 

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SOURCES : 

Exports of Norwegian oil and gas | Norwegianpetroleum.no (norskpetroleum.no)

« European natural gas imports » by Georg Zachmann, Giovanni Sgaravatti, Ben McWilliams, | Bruegel Datasets.

« Norway to raise gas exports to Europe as prices soar », by Nerijus Adomaitis | Reuters

 

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Cet entretien s’inscrit dans une série d’analyses portant sur les enjeux énergétiques autour de la guerre en Ukraine.
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