30.09.2024
Reconfigurations géopolitiques au Mali : quel chemin prend le pays ?
Interview
27 janvier 2022
Sous le coup de sévères sanctions de la Cedeao, le Mali a annoncé fermer ses frontières aux pays membres de l’organisation. Il entretient par ailleurs des relations qui semblent de plus en plus difficiles avec la France. Comment comprendre ces reconfigurations diplomatiques ? Quel chemin prend le Mali en matière de politique extérieure ? Avec quelles conséquences sur le plan intérieur ? Le point avec Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS en charge du Programme Afrique/s.
En quoi consistent les accords de défense entre le Mali et la France dont les autorités de transition demandent désormais la révision ? Quelles conséquences d’une telle demande pour les relations franco-maliennes et la présence de la France dans la zone ?
Il est intéressant de noter que tout le monde utilise l’expression accords de défense, qui dans les représentations est connotée et renvoie aux accords signés avec certains pays du pré carré français au moment de leur indépendance, dont nombre disposaient de clauses de confidentialité ayant entretenu la suspicion à l’égard de la Françafrique. Il s’agit en réalité d’un traité de coopération en matière de Défense adopté en juillet 2014 à Bamako. Ledit traité a notamment permis la mise en place de l’opération Barkhane. La révision de ce traité a été notifiée à la France depuis décembre 2021. « Ce n’est plus à la France de parler au nom du Mali. C’est ce que le président de la transition, le colonel Assimi Goita a notifié aux autorités françaises », a expliqué Kalilou Ouattara, le vice-président de la commission Défense et Sécurité du Conseil national de transition. Il a en outre ajouté que « désormais le Mali traitera de façon bilatérale et multilatérale avec tous les autres États sans intermédiaire. Ce n’est pas seulement une question de dénonciation du traité de coopération militaire entre les deux pays. Mais il s’agira pour la France de renoncer à son titre d’intermédiaire qui lui permettait de parler au nom du Mali ». La justification se passe de commentaires de texte : le Mali affirme là sa souveraineté pleine et entière, ce qui au demeurant, correspond à la politique de « sahélisation » souhaitée par la France même si elle la première à être concernée par ladite révision. Comme le souligne le journaliste Wassim Nasr, l’attention est portée, par exemple, sur le fait que les Maliens seraient contraints par des interdictions de vols dans certaines zones de leur propre pays, une information qui lui aurait été démentie par les autorités françaises, même si une coopération est en effet sollicitée pour éviter des « déconflictions », soit des collisions au niveau de la navigation aérienne. Sur le plan politique, Paris n’a pas encore réagi. Mais il est évident que cela s’inscrit dans un climat d’acrimonies mutuelles et entretenues depuis plusieurs mois déjà entre les autorités des deux pays alors que la menace djihadiste perdure et que la coopération militaire entre les armées française et malienne est plutôt fluide, en décalage avec les escarmouches politiques portées sur la place publique.
Alors que la junte au pouvoir a repoussé les élections de plusieurs années, la Cedeao a récemment sanctionné le Mali. Avec quelles conséquences économiques et sociales pour le Mali ?
Les sanctions de la Cedeao sont lourdes. Parmi ces mesures figurent la fermeture des frontières des pays de la Cedeao jouxtant le Mali, la suspension des échanges autres que de produits de première nécessité et le gel des avoirs du pays entreposés au niveau de la BCEAO (Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest). Sur le plan économique, comme le souligne Kako Nubukpo, commissaire de l’UEMOA (Union économique des États d’Afrique de l’Ouest), le gel des avoirs entraînera une asphyxie du pays d’ici 3 mois, peut-être même avant. Même si les sanctions ne touchent pas les denrées de première nécessité, les premières victimes seront les populations. Les prix du reste ont déjà commencé à augmenter sur les marchés.
Sur un plan plus politique, on observe que cette situation a galvanisé la population. Dans un élan souverainiste, ils ont été nombreux à manifester à Bamako et dans de nombreuses villes du pays le 14 janvier. Les motivations des manifestants apparaissent plurielles : ras-le-bol d’une situation qui se détériore, rejet des Français et réaffirmation de l’indépendance souveraine du Mali, érigeant le président de la transition, Assimi Goita, au rang de figure Sankariste. Rappelons que derrière les sanctions de la Cedeao, c’est la main de la France qui apparaît pour beaucoup de Maliennes et de Maliens, d’où des slogans anti-français dans les cortèges. Le fait que l’UEMOA qui réunit 8 pays francophones et la Guinée Bissau ayant en partage le franc CFA, et qui a adopté les sanctions budgétaires, précédant la Conférence des chefs d’État de la Cedeao qui a instruit les autres sanctions, sème évidemment le trouble concernant une possible inféodation à l’égard de la France. Toutefois, on peut sérieusement douter que le Nigeria de Buhari ou le Ghana de Nana Akufo-Addo puissent se laisser dicter leurs positions par Paris…
Au travers des manifestations et des prises de position du gouvernent malien, la légitimité et la légalité des sanctions votées par la Cedeao sont remises en question. En l’espèce, il faut avouer que certains chefs d’État sont difficilement audibles en matière de leçons démocratiques puisque pour rappel, trois chefs d’État (Faure Gnassingbé, Alassane Dramane Ouattara et Alpha Condé) ont remporté en 2020 la présidentielle dans leur pays respectif au prix de révisions constitutionnelles, version euphémisée de coups d’États constitutionnels. S’il n’existe pas de sanction au niveau de la Cedeao pour ce type d’infraction au demeurant légalement non caractérisée, ces exemples prêtent le flanc à la contestation et « aux deux poids, deux mesures ». La crédibilité de la communauté régionale est entamée depuis quelque temps, taxée de syndicat de chefs d’État en contradiction avec les aspirations des populations, ce que ne sauraient démentir les manifestations populaires. L’organisation traverse une mauvaise passe, sachant que la question burkinabé va requérir également son attention dans les semaines à venir.
Quoi qu’il en soit, les manifestations ont montré un souffle populaire, comme si les populations respiraient à nouveau, leur fierté retrouvée. La situation reste toutefois précaire et sans doute les lendemains pourront se révéler difficiles. Si la question du calendrier présidentiel est importante, la véritable menace reste l’insécurité qui gangrène le pays depuis près de huit ans. Sur ce plan, les résultats de la junte après 18 mois à la tête du pays ne sont pas manifestes, la seule opération Barkhane ne pouvant être condamnée.
Fermeture des frontières aux membres de la Cedeao, relations difficiles avec la France et présence du groupe Wagner : quel chemin prend la diplomatie malienne ?
La séquence géopolitique est nouvelle. La France, quoique conspuée et enferrée depuis plusieurs mois dans un bras de fer avec les autorités maliennes, reste après avoir fixé, en de nombreuses occurrences, des lignes rouges au gouvernement de transition, qui chaque fois ont été franchies, ce qui ne facilite pas toujours la lisibilité de son action ou au contraire permet de comprendre que les enjeux ne sont plus au premier plan militaires, mais bel et bien géopolitiques. Il s’agit de ne pas laisser la place à la Russie, aux milices Wagner et/ou à toute autre puissance émergente. Malgré ce changement de paradigme, la France est en bien mauvaise posture et l’on en vient à se demander si elle va pouvoir rester. Dans le cas d’espèce, il est entendu que le Mali est souverain et choisit ses partenaires, la réciproque se vérifiant également pour la France. On observe avec étonnement que le 25 janvier les autorités maliennes ont exigé le retrait immédiat du contingent danois de la Task Force Takuba, qui serait selon eux entré au Mali sans leur consentement. Cet épisode n’est ni anodin ni sans rapport avec la France. La Task Force Takuba est une opération européenne dont la France est nation-cadre quoique souvent présentée comme une opération française avec des partenaires européens, ce qui en dit long sur la représentation de ladite opération. Le titre de nation-cadre signifie qu’en cas de départs de contingents comme les Suédois au cours de ce mois de janvier, la France s’engage à pallier le manque desdits effectifs. En jetant l’opprobre sur le Danemark, c’est évidemment une attaque à peine feutrée contre la France même si les autorités ne demandent pas son départ. Suite à l’annonce de « la fin de l’opération Barkhane » par le président français le 10 juin 2020, qui en réalité est une reconfiguration du dispositif militaire, la réaction du Premier ministre, Choguel Maïga, avait été à l’offensive, ayant même accusé la France d’« abandon en plein vol » à l’AGNU le 25 septembre 2021. Jusqu’à quand la France pourra-t-elle rester ? N’est-il pas risqué de reporter la question après la présidentielle Française ? Les autorités maliennes ne pourraient-elles pas demander un retrait durant la campagne ? La question peut être posée au regard de l’escalade de la violence politique entre les deux pays.
Sur le plan sous-régional, depuis les sanctions prises par la Cedeao, le gouvernement de transition se cherche de nouveaux alliés. Trois pays semblent avoir ses faveurs : la Guinée, la Mauritanie et l’Algérie. La Guinée, où un coup d’État a été perpétré contre le président Alpha Condé en septembre 2020, est suspendue de la Cedeao – en attendant d’éventuelles sanctions ? Elle pourrait donc servir de voie d’approvisionnement. Reste que ses capacités portuaires ne seront pas suffisantes pour parer aux besoins du Mali. La Mauritanie, comme l’Algérie sont deux pays non membres de la Cedeao qui pourraient donc se révéler des alternatives crédibles. Toutefois, Nouakchott comme Alger sont loin de Bamako et inutile de préciser qu’au nord Mali l’insécurité continue de régner et que les infrastructures pour rejoindre Nouakchott sont en plusieurs endroits heurtées. La Mauritanie s’engagera-t-elle dans cette voie compte tenu du fait qu’économiquement ses liens économiques avec la Cedeao sont très étroits ? Cela pourrait se révéler un obstacle.
Si des alternatives aux sanctions se présentent, elles ne sont néanmoins pas aisées. Au demeurant, elles ne sont pas pour satisfaire les Sénégalais – plus particulièrement – et les Ivoiriens qui risquent d’être confrontés à une diminution de l’activité portuaire et donc à des pertes de revenus. Le président de la Commission de l’Union Africaine Moussa Faki Mahamat s’est rendu au Mali le 25 janvier afin « d’écouter, comprendre et relancer le dialogue » entre les autorités maliennes et la Cedeao ». L’Algérie a proposé sa médiation pour que la présidentielle se tienne dans un délai de 16 mois maximum au lieu des 5 ans proposés, calendrier à l’origine de la prise de sanctions. Les négociations restent donc à suivre.