ANALYSES

Au Mali, « la France doit se cantonner à un rôle d’appui »

Presse
23 octobre 2021
Que peut-on attendre de la visite d’une délégation du Conseil de sécurité des Nations unies au Mali ?

L’état de la situation actuelle me laisse perplexe. La visite d’une délégation des Nations unies a pour but de faire pression sur le gouvernement malien pour que celui-ci respecte son engagement d’organiser des élections libres. Le pouvoir militaire actuel souhaite rester en place et s’inscrire dans la durée. II tentera de s’accrocher au pouvoir coûte que coûte. Pour ma part, je ne crois pas du tout à l’organisation d’un processus démocratique. Comment peut-on organiser des élections crédibles lorsqu’une grande partie du Nord du pays est hors de contrôle, et que le recensement de la population n’est pas à jour ?

On observe une dégradation brutale des relations entre Paris et Bamako. Quelles en sont les principales causes ?

Cette dégradation est le fruit de plusieurs points de crispation. Tout d’abord, l’ancien colonisateur est présent depuis 9 ans et cette réalité peut être vécue de façon humiliante. On observe également une défiance de la classe moyenne urbaine, qui est alimentée de messages de propagande anti-français. II y a fort à penser que les Russes sont à la manœuvre. Autre point encore, les maladresses de l’armée française, qui a une approche sécuritaire et technique, sont récurrentes. Les Maliens accusent la France d’avoir empêché le gouvernement de reprendre le Nord du pays, notamment la région de Kidal. Le reproche le plus fréquemment adressé à l’armée française est qu’elle intervienne de façon autonome sans véritablement intégrer les forces maliennes à ses opérations militaires. Cette discorde est avant tout de nature politique.

La France réorganise à la baisse sa stratégie militaire au Mali avec la fin de l’opération Barkhane au profit de la Task Force Takouba. Comment cela peut-il se traduire ?

La fin de Barkhane traduit davantage un changement de posture qu’un désengagement effectif. Le contingent militaire sera réduit de moitié, passant de 5 100 à moins de 3 000. Bien que Barkhane ait gagné la plupart de ses opérations militaires, son déploiement n’a pas donné les résultats escomptés : la présence des djihadistes au Nord rend le territoire encore impénétrable pour les autorités maliennes, la progression de l’insurrection n’a pas ou peu été entravée et l’insécurité persiste encore partout dans le pays. Nous savons que dans ces guerres asymétriques, on peut gagner toutes les batailles mais perdre la guerre. Avec la Task Force Takouba, Macron tente d’amener les Européens au Sahel. Ces derniers sont réticents à s’engager, car ils se rendent compte que cette guerre est un bourbier. Si Takouba est intégrée avec les forces maliennes, ce la peut devenir pertinent. Mais en tout état de cause, je ne crois pas que des forces étrangères puissent venir à bout de l’insurrection. C’est à l’armée malienne de prendre la suite de la guerre contre les insurgés, bien qu’après 8 ans de présence française, elle demeure incapable de le faire.

Une dégradation durable des relations franco-maliennes est-elle à redouter ?

Actuellement la relation est vraiment mauvaise et rien ne bougera avant les élections de février 2022. Le premier ministre, Choguel Maïga, joue au jeu de la provocation sans vraiment franchir la ligne rouge. II a en tête le départ chaotique des Américains d’Afghanistan, et il ne peut, pour l’heure, se permettre de se passer de la présence française. Quant à un éventuel accord avec le groupe paramilitaire Wagner (proche du pouvoir russe), cela pourrait poser problème vis-à-vis des institutions internationales qui financent un Mali fortement dépendant des aides financières extérieures.

Quels seraient les leviers à activer pour une stabilisation du Mali à moyen terme ?

Le premier des maux de l’armée malienne est celui de la corruption qui y sévit et du népotisme qui la caractérise. Quant à la classe politique, je suis assez sceptique. Ayons l’humilité de nous demander si un militaire de 38 ans [le président militaire putschiste actuel Ndlr] est plus à même de diriger le pays que de vieux politicards. L’entame de négociations avec les djihadistes ? Avec le désengagement français, le Mali est en position de faiblesse et dispose de peu d’atouts pour peser dans le dialogue.
Aujourd’hui, la France doit être la moins visible possible et se cantonner au rôle d’appui qui lui est destiné.

 

Propos recueillis par Arnaud Deux pour La Marseillaise.
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