07.10.2024
Covax : faut-il continuer à financer un échec ?
Presse
30 août 2021
La redevabilité financière est un discours bien rodé dans les démocraties libérales, largement employé pour imposer des normes aux pays à faible revenu, au nom de la transparence et de la bonne gouvernance. Dans cet esprit, on peut se demander pourquoi un tel concept semble n’être utilisé que dans un sens, et pourquoi, au cours des six derniers mois, aucune tentative n’a été faite pour évaluer le degré de redevabilité du mécanisme COVAX, alors même qu’il est en majeure partie perfusé par des fonds publics.
Covax : de bonnes intentions anéanties par le protectionnisme mondial
Mais avant tout, soyons de bonne foi : les intentions qui ont sous-tendu la création du mécanisme COVAX étaient plutôt louables. À l’été 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a pris les choses en main pour promouvoir un accès équitable aux doses de vaccins dans un effort sincère pour éviter un monde à deux vitesses dans la lutte contre le Covid-19. L’idée était de mettre en place un mécanisme collectif pour mener les négociations avec les laboratoires fabriquant les vaccins et ainsi éviter une envolée des prix dans un contexte de crise suscitée par une très forte demande.
Pour parler crûment : d’un côté, plusieurs milliards de doses étaient/sont nécessaires, et de l’autre, les chaînes d’approvisionnement existantes étaient/sont insuffisantes. L’hypothèse, alors, était qu’un mécanisme multilatéral puissant permettrait de réguler efficacement la demande, tout en respectant la stratégie de l’OMS sur l’établissement de priorités en matière de vaccination.
Au début de la pandémie, tous les pays étaient initialement concernés par le COVAX, indépendamment de leur revenu. Dire que cette approche équitable n’a pas survécu au protectionnisme mondial serait un euphémisme. Dès février 2021, la grande majorité des rares doses de vaccins disponibles avaient été précommandées par la poignée de pays pouvant se le permettre, sur fond d’accords bilatéraux. Malgré les grands espoirs placés dans le mécanisme COVAX, son utilisation concrète a rapidement accusé un retard important comme l’a attesté le faible volume de pré-commandes passées via ce canal. Les États les plus puissants sur le plan économique n’ont pas tardé à faire cavalier seul, préférant négocier directement avec les laboratoires. Cela a eu pour effet de modifier la physionomie initiale du dispositif, et COVAX s’est transformé en un instrument d’aide destiné exclusivement aux pauvres.
Dans cette course à la vaccination, COVAX aura donc manqué à la fois d’une impulsion claire de sa gouvernance et d’une capacité financière indépendante pour se donner les moyens de naviguer sereinement dans une arène géopolitique clairement dominée par les pays où les fabricants de vaccins sont établis.
La fragilité du système d’approvisionnement du COVAX exposée au grand jour
Malgré ce mauvais départ, les premières livraisons COVAX ont eu lieu en février 2021 dans deux pays d’Afrique de l’Ouest à revenu intermédiaire : la Côte d’Ivoire et le Ghana en ont été les heureux bénéficiaires. Le système s’est toutefois vite retrouvé au point mort. Voyant la situation se détériorer en Inde, le gouvernement de New Delhi a en effet exigé que le Serum Institute of India, le laboratoire de biotechnologie le plus impliqué dans le mécanisme COVAX, interrompe toutes ses livraisons de vaccins à destination de l’étranger. Dans la mesure où 90 % de la chaîne d’approvisionnement du COVAX reposait sur des fournisseurs indiens (une stratégie plutôt imprudente), la fragilité du système a été pleinement exposée en mars, sans aucune perspective claire pour lutter contre l’accroissement des inégalités de couverture vaccinale entre les pays riches et les pays pauvres.
Face à cette pénurie d’approvisionnement, plusieurs mesures ont été prises pour tenter de maintenir le mécanisme en vie. En avril, la France a été la première à annoncer des dons de doses de vaccins à COVAX. Des annonces similaires ont ensuite émané des États-Unis, du Royaume-Uni, d’Allemagne, et cette stratégie de dons a également été intégrée à la stratégie européenne.
Un tournant intéressant s’est produit quand les vaccins chinois ont enfin eu l’autorisation d’être distribués via le canal COVAX. La raison pour laquelle les équipes COVAX responsables des achats continuaient de les bouder, alors qu’ils étaient autorisés par l’OMS depuis des mois, restera sans doute un mystère. Quoi qu’il en soit, la signature fin juillet d’accords d’approvisionnement avec les fabricants chinois SINOVAC et SINOPHARM était plus que bienvenue et la distribution des vaccins CoronaVac et BIBP via le canal COVAX a pu débuter.
À la mi-août, COVAX avait expédié 205 millions de vaccins dans 140 pays sur les 2 milliards de doses initialement prévues. En comparaison, 4,7 milliards de doses avaient été administrées dans le monde. Moins de 5 % des doses de vaccins avaient donc transité, à cette date, par ce mécanisme, laissant un sentiment général d’échec en dépit de l’énergie et de la communication déployées pour promouvoir un multilatéralisme « social ».
Approvisionnement en vaccins : l’exemple parlant du Togo
Mais peut-on vraiment parler de « social » ? La question n’est pas si naïve que cela dans la mesure où « social » n’est pas synonyme de « gratuit ». Aux yeux du grand public, le système COVAX est baigné du halo de la solidarité internationale. Ce faisant, on a tendance à oublier que les pays qui ont recours à ce mécanisme concluent des accords contractuels qui leur laissent finalement assez peu de marge de manœuvre.
Pour mieux comprendre les enjeux financiers, il convient de se mettre à la place d’un pays bénéficiaire. Prenons l’exemple du Togo, dont la stratégie vaccinale a été louée sur le plan international. De quelles options dispose-t-il pour accéder aux vaccins ? À ce jour, ce pays d’Afrique de l’Ouest a reçu un lot de vaccins Johnson & Johnson acheté par l’intermédiaire de l’Union africaine (118 000 doses, il s’agit d’ailleurs du premier vaccin contre la Covid-19 produit sur le sol africain), et par ce même canal, un autre lot de vaccins AstraZeneca (120 000 doses). Il a également reçu des vaccins du laboratoire Sinovac en provenance de Chine (200 000 doses), un autre lot de vaccins AstraZeneca qui a été fourni via le mécanisme COVAX (296 000 doses) et un lot de vaccins Pfizer, également via COVAX (100 620 doses). Au vu de la loi de la jungle qui prévalait au début de la mise sur le marché des premiers vaccins et du déséquilibre avéré dans l’obtention des doses, il est fort probable que les autorités de Lomé aient aussi conclu des accords directs avec des laboratoires pharmaceutiques pour des précommandes de vaccins.
Au final, quatre types de vaccins ont donc été acquis par le Togo en provenance d’au moins trois mécanismes, dont deux mécanismes multilatéraux distincts, auxquels sont venues s’ajouter des négociations bilatérales avec les laboratoires avec des clauses parfois peu favorables à l’État acheteur. En effet, le prix d’une dose d’AstraZeneca négociée directement n’est pas le même que celui d’une dose d’AstraZeneca achetée auprès de l’Union africaine, qui lui-même diffère du prix pratiqué par le système COVAX, qui lui-même n’est pas celui de l’UE… Et comme si ce n’était déjà pas assez compliqué, le mécanisme COVAX a mis en place deux processus internes de négociation en fonction du payeur. La Facilité COVAX cible les économies qui s’autofinancent, tandis que la Garantie de marché COVAX (Advance Market Commitment, AMC) a été créée pour promouvoir l’accès aux vaccins dans les économies à faible revenu. Le rôle stratégique de l’UNICEF est à souligner puisque c’est cette institution qui est en charge de l’ensemble des négociations et des achats pour le mécanisme COVAX-AMC.
Des acteurs locaux, plus performants, à soutenir
Dans un tel contexte, on peut légitimement se demander si l’on ne gagnerait pas à fondamentalement penser l’accès équitable aux vaccins en termes commerciaux. La question la plus pertinente deviendrait ainsi : quelle est la valeur ajoutée du COVAX par rapport aux autres mécanismes existants ? Les vaccins achetés via ce dispositif sont-ils moins chers que ceux obtenus par d’autres canaux ? Et finalement qui, de l’UNICEF ou de l’Union africaine, est le meilleur négociateur ?
Dans les économies qui subissent de fortes contraintes structurelles, ces questions de redevabilité financière sont essentielles, et leur importance ne peut être minimisée. Si un mécanisme visant à abaisser les prix des vaccins est moins efficace qu’un autre, il est sûrement sain de reconsidérer son financement public. Après tout, le multilatéralisme social n’échappe pas aux lois du marché.
En juillet 2021, l’OMS estimait que 16 milliards de dollars américains faisaient défaut pour financer le partenariat A-ACT, dont le COVAX dépend. Mais dans un contexte où les enveloppes financières ne sont pas extensibles à l’infini, il est sans doute temps de reconnaître la présence et l’efficacité des autres acteurs, avec le risque de réaliser qu’ils sont peut-être meilleurs. C’est le cas, en particulier, de l’équipe montée par l’Union africaine pour l’acquisition de vaccins destinés au continent (African Union Vaccine Acquisition Task Team, AVATT). Et c’est aujourd’hui sans doute le négociant le plus performant à soutenir.
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Cet article a été initialement publié sur le site internet iD4D sous Licence Creative Commons BY NC ND 4.0 International.