ANALYSES

Fin de l’opération Barkhane : une étonnante convergence avec l’agenda présidentiel français ?

Interview
24 juin 2021
Le point de vue de Caroline Roussy


Jeudi 10 juin, le président de la République a annoncé la fin de l’opération Barkhane, sept  ans après sa mise en place. Le lendemain, la ministre des Armées, Florence Parly, a toutefois précisé qu’il s’agissait d’un changement de dispositif et non d’objectif, dispositif qui sera révélé courant juin, lors du sommet de la coalition pour le Sahel à Bruxelles. Comment interpréter ce revirement militaire français au Sahel ? Le point avec Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS, responsable du programme Afrique/s.

Quels ont été les éléments déclencheurs d’une telle décision par le président Macron ?

Les éléments déclencheurs sont plurifactoriels. Il n’aura échappé à personne que la France entre dans une séquence préélectorale présidentielle au cours de laquelle les questions sécuritaires risquent d’être un enjeu majeur. Au sein de l’opinion publique et ce depuis quelques temps, un certain nombre de d’acteurs souhaitent questionner la présence et la politique française au Sahel, ressort du seul président de la République, de sorte à l’inscrire à l’agenda de la campagne présidentielle.

Le 10 juin, le président Emmanuel Macron a pris tout le monde à rebours en annonçant la fin de l’opération Barkhane, Au-delà de l’annonce, un départ séquencé doit être organisé. C’était là une décision attendue, voire souhaitée au Mali ou en France même si vraisemblablement il y a eu une précipitation des événements et une prise de décision radicale qui a pu surprendre. Dès le mois de janvier 2021, le président avait annoncé une réduction de la voilure de l’intervention soit une diminution des effectifs humains engagés ainsi qu’une révision des modalités d’intervention. Cependant la séquence laisse à penser que la décision est intervenue de manière unilatérale. Un conseil de sécurité était certes réuni pour traiter ce dossier, mais les capitales africaines et européennes étaient-elles informées de cette possible issue ? Des canaux diplomatiques avaient-ils été activés ? L’absence de réaction des chancelleries donnent un avant-goût de la réponse. Comme le souligne Claude Angeli, dans un article du Canard Enchaîné, ce choix semble avoir été plutôt solitaire puisque ni son ministre des Affaires étrangères ni son chef d’état-major des armées ne semblent avoir été au courant – d’où des spéculations concernant le remplacement du général Lecointre – donnant l’impression d’une décision décidément jupitérienne.

Quoiqu’il en soit, le Président Macron prenant le prétexte d’un deuxième coup d’État au Mali perpétré le 24 mai dernier, un « coup d’État dans le coup d’État » selon son propre mot, a déclaré qu’il n’était pas possible de rester dans des conditions où le processus démocratique n’était pas respecté. Cette affirmation pose problème à deux égards : d’une part, elle obère le coup d’État qu’il a cautionné au Tchad à la suite du décès inopiné du maréchal Idriss Déby Itno en avril, et d’autre part, elle laisser penser que ce nouveau gouvernement de transition, qui du reste a plutôt bien été accueilli par les Maliens,  avaient la ferme intention de négocier avec les terroristes, avant même que sa composition ne soit connue. Cette deuxième lecture possible voire crédible est une distorsion pour ne pas dire une instrumentalisation de la réalité puisque le gouvernement de transition précédent, avant de ripoliner son discours, avait posé comme  premier acte de sa mandature la négociation de  la libération de 200 djihadistes ou djihadistes présumés contre quatre otages, dont la Française Sophie Pétronin, avec les djihadistes d’AQMI. Lors de sa première allocution médiatique internationale sur RFI et France 24, le Premier ministre de l’époque, Moctar Ouane, avait affirmé que cela allait dans le sens des souhaits exprimés par les Maliens (Conférence de l’entente nationale en 2017 et Dialogue national inclusif en 2019). L’argument du refus de toute négociation avec les djihadistes, ligne rouge pour la présidence française, a progressivement été mise en avant par Emmanuel Macron et ce particulièrement depuis son entretien dans le Journal du dimanche, le 30 mai, au cours duquel il avait, par ailleurs, déclaré qu’il y aurait une incompréhension si le Mali se tournait vers un « islam radical ». Il s’agit peut-être du deuxième facteur qu’il a instrumentalisé afin d’être celui mettant un terme à l’opération Barkhane. Ces différents paramètres et la gradation que l’on a pu observer dans le ton emprunté par le président permettent de justifier sa décision. Ses critiques, au demeurant, sont compréhensibles dans le cadre de la séquence politique qui s’ouvre et peuvent être émises notamment contre les négociations avec les terroristes. Comment expliquer à l’opinion publique française que ceux qui ont tué des militaires français et endeuillés des familles se retrouvent aujourd’hui autour de la table des négociations ? A quelques encâblures de la présidentielle, Emmanuel Macron cherche les voies d’un discours cohérent alors même que les négociations à différents niveaux d’échelle dans le Sahel ont débuté depuis plusieurs années déjà. Le nouveau coup d’Etat a servi de détonateur et permet de justifier fort à propos cette nouvelle position qui est à la réorganisation de Barkhane – peut-être en dehors du périmètre malien – mais qui ne signifie pas un départ total même si, pour l’instant, peu d’informations filtrent concernant ce nouveau dispositif qui une fois encore a pu donner lieu à de nombreuses infox. Côté malien, épicentre de l’engagement français et du développement des modes opératoires terroristes, on peut comprendre que les autorités puissent être dans des prédispositions différentes, lassé par 9 ans de guerre, des résultats ponctuels mais non structurels n’ayant pas permis une sécurisation du pays, d’où une dissonance qui entre la France et le Mali qui avait, en réalité, débuté bien avant ce deuxième coup d’État. Enfin, si le Mali se tourne vers une République islamique, cela relève de sa souveraineté pleine et entière. Si le sujet commence à être évoqué pour l’instant aucune information ne circule sur ces possibles contours et n’oublions pas que nombre de partenaires de la France dont la République de Mauritanie, membre du G5 Sahel ont embrassé ce régime. Enfin, malgré des esprits chagrins, cette question qui émerge sans avoir été tranchée, n’entre pas dans les prérogatives des missions de la France.

Les événements ont donc vraisemblablement été précipités par un agenda politique franco-français et l’obsolescence de la feuille de route arrêtée lors du Sommet de N’Djaména, en février dernier, dans une région heurtée où l’imprévisibilité s’accentue et où les coups d’Etat se succèdent. Or, en réalité, toutes les décisions actées sont aujourd’hui caduques puisque la situation a évolué de manière extrêmement rapide. Au demeurant, son choix a été plutôt solitaire donnant ainsi une impression de décision très jupitérienne, qui laisse tout le monde sur son quant-à-soi, même si beaucoup d’observateurs et d’experts ont plaidé pour que Barkhane change de modalités pratiques.

Quelles transformations doit-on attendre de la présence militaire française au Sahel ? Quelle stratégie la France va-t-elle adopter à présent sur le terrain, notamment à l’égard de ses partenaires ?

Ces questions sont complexes puisque pour l’instant les nouvelles modalités de la présence française au Sahel ne sont pas connues.

Le lendemain de l’annonce du président, Florence Parly, ministre des Armées, s’est empressée d’expliquer que le gouvernement ne changeait pas d’objectif et qu’il s’agissait de continuer la lutte contre le terrorisme : comment ? avec quels partenaires ? cela engage-t-il un redéploiement des bases militaires françaises dans d’autres pays avec des actions ponctuelles au Mali, du type de l’opération Serval en cas de besoin ? Nombre de questions seront tranchées dans les semaines ou mois à venir. Vraisemblablement, il y aurait une diminution du contingent français porté à 3 500 hommes d’ici janvier 2022 pour être revu à la baisse en 2023.  Mais tant que rien n’est acté, cela reste de l’ordre de la supposition. Il est possible que les Français restent dans l’opération Sabre et que 200 militaires soient mobilisés dans la task force européenne Takuba tandis que dix fois plus de forces spéciales sont attendues – le chiffre de 2000 forces spéciales d’ici à ce mois de juin étaient attendues. Si Emmanuel Macron n’a pas ménagé ses efforts pour créer cette coalition européenne, sorte de laboratoire de l’Europe de la Défense, peine à convaincre ses partenaires. Le départ de la France, même si les informations s’avèrent souvent difficiles à recouper, risquent d’entraîner la révision de certains engagements. Les Belges prêts à rejoindre le front y avaient déjà renoncé, les Danois, sans que l’on ne puisse encore établir de corrélation avec la déclaration du président Macron ont finalement décidé de surseoir à leur engagement car la France dans ce dispositif continue d’être perçue comme un pivot ayant accumulé au fil des années une expérience et une connaissance du terrain. La Grande alliance souhaité par Macron alliant États-Uniens – qui ont décidé de suspendre leur coopération militaire depuis le 24 mai – et les Européens est-elle possible dans ce nouveau contexte ? Cela reste à voir en espérant que le Mali ne devienne pas un champ d’expérimentations militaires au détriment de populations déjà largement éprouvées.

Quelles pourraient être les conséquences pour la région aussi bien dans le domaine sécuritaire qu’en termes de stabilité politique ?

On ne peut qu’émettre des hypothèses pour le moment. Il y aura sûrement plusieurs étapes. Il faudra observer la réaction des populations face au départ des Français, qui sans doute pourront aller de l’euphorie (fin du néocolonialisme, de l’occupation) à la crainte dans certaines zones que la situation n’empire et de possibles évolutions de cette perception dans la moyenne et la longue durée… Seule la durée nous permettra d’analyser le possible enchâssement des réactions. Il est possible qu’un appel soit formulé auprès des autorités russes, un scénario auquel beaucoup s’attendent, d’autant que le nouveau Premier ministre du Mali Choguel Maïga a fait ses études en URSS. Ce pays est-il en capacité de sécuriser le Mali ? Rien n’est moins sûr tant ils sont engagés dans d’autres théâtres d’opération et que le Sahel ne fait pas partie, pour l’instant, de leur priorité. C’est un scénario à entrevoir et qui dans le cas où il se réalisait entraînerait un positionnement plus franc des États-Uniens.

Dans le domaine sécuritaire, beaucoup d’experts militaires affirment que la relève malienne n’est pas prête, qu’ils ne sont pas en capacité d’assurer eux-mêmes leur sécurité, mais peut-être y aura-t-il ou un sursaut civil ou un choix de se tourner vers un autre type de régime politique que pourrait être une république islamique, en espérant par ce biais obtenir une pacification de la situation. Une séquence de négociation avec les terroristes pourrait ainsi s’ouvrir, mais avec lesquels ?  A quels niveaux ? Pour quels résultats escomptés hormis l’adoption de la charia si tant est que l’ensemble des Maliens acceptent ce choix…. Pour l’instant, le jeu est ouvert avec évidemment de nombreuses incertitudes et la crainte que le Mali ne tombe de charybde en Sylla quitte à l’expansion de la menace vers d’autres pays côtiers (le nord de la Côte-d’Ivoire ayant été classé en zone rouge)

Le nouveau gouvernement malien a donné l’impression de donner des gages à la communauté internationale plus particulièrement à la Cédéao, et à un certain nombre de pays liges dans la région comme la France en s’engageant à respecter la feuille de route du premier gouvernement de transition en organisant des élections dans un délai de 9 mois. Cela n’a pas suffi. La politique française, désireuse de poser les bases d’une nouveau narratif franco-africain, lassée d’être critiquée et refusant d’assumer ses bévues comme un Bounti, referme la page en ayant trouvé le prétexte idéal : ne pas s’enfermer dans le rôle de Sisyphe alors que le fait d’utiliser indifféremment les termes de terroristes, djihadistes etc n’a pas permis de bien cibler l’action gouvernementale et les actions à mener… Parions toutefois, que la page soit encore loin d’être tout à fait tournée…

Quoiqu’il en soit, lesdits terroristes opposent l’absence d’agenda. Ils ont le temps en leur faveur et continuent de dérouler leurs attaques.
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