ANALYSES

Covid-19 : quels impacts sur le climat ?

Tribune
15 février 2021


La pandémie de Covid-19 a montré que la fragilité de nos modèles de société, et que quelques mois de confinement quasi planétaire n’étaient pas suffisants pour contrer des décennies de pollution. Elle a par ailleurs bouleversé les priorités politiques des gouvernements et leurs engagements en matière de climat. Le point sur l’impact du Covid-19 sur l’action climatique avec Julia Tasse et Sofia Kabbej, chercheuses à l’IRIS au sein du Pôle Climat, énergie, sécurité.

La crise du Covid-19 et le ralentissement de l’activité mondiale ont-ils eu un impact sur le climat ?

L’année 2020 a connu un ralentissement de l’activité mondiale, notamment du fait des nombreuses restrictions de mouvements des biens et des personnes mis en place par les gouvernements en réponse à la crise du Covid-19. Sans grand étonnement, l’arrêt presque total des secteurs les plus polluants, comme l’industrie ou le transport, s’est traduit par une diminution des émissions de CO2 dues aux combustions fossiles.

En avril 2020, les émissions de CO2 issues du secteur de l’aviation avaient baissé de 75%, celles du transport de « surface » de 50% et celles de la production d’énergie de 15%. Sur l’ensemble de l’année 2020, la courbe prévisionnelle des émissions de CO2 montre une diminution de près de 7% à l’échelle globale par rapport aux émissions globales de 2019. Plus précisément, les estimations indiquent que ce seront les États-Unis, l’Union européenne et l’Inde qui observent la baisse la plus importante baisse d’émissions de CO2 (entre -9 et -12% environ),[1] tandis que la Chine a témoigné d’un regain rapide dès son déconfinement – pour finalement dépasser leur taux d’émissions de 2019.

La diminution des émissions de CO2 en 2020 – bien que transitoire – est importante à souligner dans la mesure où celles-ci continuent d’augmenter chaque année malgré les avancées politiques et scientifiques des trente dernières années. Pour autant, elle n’aura eu aucun effet sur le taux de concentration de CO2 dans l’atmosphère qui a lui continué d’augmenter en 2020 pour atteindre de nouveaux records[2]. Cela n’est que peu surprenant dans la mesure où la baisse drastique des émissions de CO2 était limitée dans le temps – et trop faible pour avoir un effet sur le taux d’augmentation des concentrations atmosphérique qui sont, elles, la somme des émissions passées et actuelles.

De manière générale donc, bien que la crise du Covid-19 ait freiné pendant quelques mois le rythme effréné d’augmentation des émissions de CO2, elle n’a pas bénéficié à la lutte contre le changement climatique. D’autre part, le report de la COP26 à novembre 2021 a repoussé d’un an l’échéance du rehaussement des engagements de réduction des émissions des États et de leur mise en œuvre.

Les crises sanitaires, sociales et économiques mènent-elles les États à revoir (par impératif ou par opportunisme) à la baisse leurs engagements climatiques ou, a contrario, à accélérer le process de réduction des gaz à effet de serre ? 

La crise sanitaire et les crises sociales et économiques qui en découlent ont bouleversé les priorités politiques des gouvernements, y compris l’importance donnée à la lutte contre le changement climatique. Les plans de relance adoptés par les États témoignent de cette tendance, avec un rééquilibrage des moyens accordés aux différents secteurs économiques, notamment entre ceux alloués aux énergies fossiles et ceux alloués aux énergies décarbonées. Ainsi, au sein des pays du G20 – qui représentent plus de 65% des émissions mondiales de CO2 – ce sont 139 milliards de dollars qui ont été attribués aux énergies décarbonées[3]. À titre comparatif, 204 milliards de dollars ont été attribués aux énergies fossiles, dont 171 milliards pour le pétrole et le gaz ainsi que 14 milliards pour le charbon.

En France, malgré l’écho positif rencontré dans les médias, le plan de relance de 100 milliards d’euros prévoit d’octroyer seulement 28 milliards d’euros à l’atténuation des émissions et comporte de sérieux risques de verrouiller la France dans des politiques émettrices, et ce de manière structurelle,[4] notamment en raison du manque de considération de l’agriculture et des forêts dans les financements octroyés. Socialement, il semble aussi que l’acceptation par les populations de mesures contraignantes pour des raisons climatiques soit difficile dans les années à venir, à la suite des multiples contraintes sanitaires, mais aussi en raison d’une baisse globale du niveau de vie.

La crise du Covid-19 a montré qu’il est possible de mettre en place des mesures inédites (fermeture des frontières par exemple). Pour autant, il est clair donc que la crise sanitaire n’a pas provoqué de réorientation structurelle de l’économie (dont le modèle repose encore largement sur les énergies fossiles) alors même que les scientifiques alertent sur la nécessité de limiter leur combustion dès maintenant pour espérer atténuer l’ampleur du changement climatique. Ce faisant, les crises sanitaires, sociales et économiques n’ont pas poussé les États à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

En outre, de nombreux États (dont le Royaume-Uni, la Chine et les États membres de l’Union européenne) se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050-2060 – ce qui signale un rehaussement des ambitions de réduction à plus long terme. Ces annonces, bien qu’encourageantes, sont à relativiser tant le besoin de réduction des émissions est immédiat – et la mise en œuvre de la neutralité conditionnée à des développements technologiques encore incertains. D’autre part, malgré la remise au second plan de la crise climatique, l’émergence du Covid-19 a permis de mettre en lumière les conséquences sanitaires de la destruction de la biodiversité par les activités humaines. Les liens entre crise climatique et crise de la biodiversité ont donc gagné en visibilité cette année, comme en témoigne l’orientation du dernier One Planet Summit, ou encore l’emphase mise par la présidence de la COP26 sur ce sujet.

Les mobilisations des jeunes pour le climat ont-elles été annihilées par la crise mondiale ?

L’attention des médias pour la crise climatique a augmenté au cours des deux dernières années (notamment des suites de la mobilisation des jeunes pour le climat, avec les nombreuses marches de 2018 et 2019), mais s’est largement amoindrie en 2020. Cela s’explique par les multiples bouleversements provoqués par la crise du Covid-19, qui nécessitaient de concentrer le traitement de l’information sur les mesures gouvernementales, les avancées scientifiques et les impacts économiques et sociaux. D’autre part, les modes d’action privilégiés des jeunes engagés pour le climat ont directement été impactés par les confinements et autres mesures sanitaires – les marches étant interdites par exemple – ce qui a contribué à la diminution de la mobilisation, de fait. Enfin, la dégradation des conditions de vie des étudiants (isolement, pouvoir d’achat, etc.) a pu contribuer à un moindre engagement pour le climat.

Pour autant, on remarque que les jeunes qui ont continué à se mobiliser ont su démontrer une capacité d’adaptation face au manque d’accès à leur espace de revendication privilégié (la rue), avec un basculement de la mobilisation vers les réseaux sociaux. D’autre part, à mesure que les mesures de confinement ont été levées, on a pu observer un retour de la mobilisation, avec l’organisation de marches dans de nombreuses villes partout dans le monde, dont Paris, Berlin, Sydney et Kiev, en septembre 2020. Il n’y a donc pas eu d’annihilation des mobilisations citoyennes pour le climat suite à la crise sanitaire. Au contraire, il semblerait même que la mobilisation des jeunes pour le climat mute en France, avec une diversification des modes d’action et des revendications. Il apparaît en effet que les crises sociale et économique provoquées par celle du Covid-19 ont mené à une convergence des luttes écologistes et sociales, à travers la revendication d’un discours anticapitaliste et antilibéral, promouvant l’équité et la décroissance.

[1] Valentine Ambert, « Bilan carbone 2020 et Covid-19 : quel impact de la crise sur nos émissions de CO2 ? », Youmatter, 15 décembre 2020.

[2] Organisation météorologique mondiale, « Le changement climatique ne s’est pas arrêté pour la COVID-19, selon le rapport United in science », Communiqués de presse, 09 septembre 2020

[3] GoodPlanetMag’. « Plans de relance dans les pays du G20 : 240 milliards de dollars dans les énergies fossiles ». 7 septembre 2020.

[4] Audrey Garric, « Climat : le plan de relance français « insuffisant » pour enclencher une rupture à long terme », Le Monde, 15 décembre 2020.

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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.
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