ANALYSES

République centrafricaine : le régime Touadéra pourra-t-il passer les législatives sans encombre ?

Tribune
10 février 2021
Par Frédéric Lejeal, journaliste, ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent


Comment organiser des élections crédibles dans un pays contrôlé aux trois quarts par des groupes armés, et où deux électeurs sur trois ne peuvent exercer leur droit du fait de l’insécurité ? C’est l’impossible équation à laquelle la République centrafricaine (RCA) est exposée depuis le déclenchement du processus électoral ayant débouché, le 20 décembre dernier, sur l’organisation couplée de la présidentielle et des législatives. Sur fond de regain de violences après la dénonciation, par les rebelles de l’accord de paix scellé avec Bangui en février 2019 à Khartoum, au Soudan[1], cette première consultation s’est déroulée dans les pires conditions. Elle a confirmé la victoire du président sortant, Faustin Archange Touadéra « FAT », par 53,9% des voix. Un score d’une précision d’horlogerie qui cache mal l’étendue des irrégularités et des anomalies. Seuls 700.000 électeurs se sont exprimés sur un total de 1,8 million d’inscrits. Après un premier tour tout aussi rocambolesque, le déroulement du second tour des législatives ne devrait pas contribuer à atténuer les tensions dans ce pays de 3,8 millions d’habitants comptabilisant 58% de ruraux.

Boycott

Pour l’heure, seule l’élection de 22 députés sur 140 a été validée par le Conseil constitutionnel après l’annulation par ce dernier, du premier tour dans 13 circonscriptions, soit parce que le scrutin n’a pu se tenir ou bien s’est tenu dans de mauvaises conditions. 118 représentants doivent donc encore être désignés au second tour dont la date n’est toujours pas fixée. Selon nos informations, celle-ci pourrait être calée le 14 mars pour une installation du nouveau parlement au plus tard le 2 mai. Dénonçant une « mascarade », la Coalition de l’opposition démocratique (COD-2020), qui regroupe la majorité des adversaires politiques du pouvoir sortant, s’est retirée de ce scrutin laissant présager un raz de marée du parti présidentiel, le Mouvement Cœurs Unis (MCU).

La CPC en embuscade



Cette consultation, à supposer qu’elle se tienne, ne devrait donc pas atténuer les critiques des groupes armés qui essaiment dans le pays, et pour lesquels le président Touadéra s’avère en tous points illégitime. Coalisés au sein de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), ces derniers sont pour l’instant en sommeil. Ils observent un repli stratégique après leur offensive avortée sur la capitale, le 13 janvier, pour tenter de renverser le chef de l’État quelques jours après la reconduction officielle à son poste. Repoussés par les Forces armées centrafricaines (FACA), les éléments de la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine), les soldats rwandais dépêchés par Paul Kagame[2] ainsi que les éléments de la société paramilitaire russe Wagner[3], les éléments de la CPC abandonnent actuellement leur position dans plusieurs villes à l’instar de Bouar (ouest). Alors qu’ils continuent de bloquer la principale route menant à la capitale depuis le Cameroun, ils devraient toutefois profiter du second tour des législatives pour se manifester de nouveau.

Cette perspective d’une nouvelle flambée de violence contre un régime ne tenant qu’au fil ténu des blindés russes conjuguée au spectre d’une déflagration de cet État fantôme, le plus déshérité au monde avec un Indice de développement humain (IDH) de 0,397 (188e rang sur 189 selon le PNUD), a poussé l’Angola a entré en piste. Objectif : arracher des négociations entre parties belligérantes voire un accord de paix. En déplacement à Bangui début février, le président Joao Lorenço pilote une médiation sous l’égide de la Conférence internationale des Grands Lacs (CIRGL). Alors qu’il entend revenir au pouvoir après son renversement en 2013 l’ancien président François Bozizé, parton du parti Kwa Na KWa (KNK) accusé de collusion avec les mouvements armés, n’a pas fermé la porte à des négociations.





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[1] La présence de groupes armés dans le pays, bien que structurelle, s’est intensifiée ces dernières années. Nébuleuse d’une vingtaine d’entités, certains préexistaient au renversement de François Bozizé, en 2013. D’autres, à l’instar de la rébellion Seleka et du mouvement Anti-Balaka, sont apparus dans le cadre de ce putsch. Ils se sont par la suite divisés en plusieurs composantes dont les plus emblématiques sont réunis au sein de la CPC. Leur objectif commun vise le renversement de Faustin Archange Touadéra.

[2] En vertu d’un accord avec Kigali, les soldats rwandais assurent la protection rapprochée du président centrafricain et sécurisent les élections dans la capitale, Bangui.

[3] Cette société paramilitaire privée à la frontière avec le mercenariat s’est implantée en Centrafrique en 2017 dans la foulée de l’accord de coopération militaire signé entre le régime de Faustin Archange Touadéra et la Russie. Son dirigeant, Evgueni Prigojine, appartient au premier cercle de Vladimir Poutine.

 
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