ANALYSES

Quel positionnement international de la Chine dans la pandémie mondiale de Covid-19 ?

Tribune
11 janvier 2021
 



Il y a plus d’un an déjà, le nouveau coronavirus apparaissait dans la région chinoise du Hubei, avant de se propager dans le reste du monde. La Chine, qui revendique d’en avoir fini avec la pandémie malgré un manque de transparence, semble vouloir utiliser cette dernière à son avantage sur la scène internationale. Le point de vue sur la situation d’Emmanuel Lincot, chercheur associé à l’IRIS, professeur à la Faculté des lettres de l’Institut catholique de Paris.

Il est reproché à la Chine de masquer les causes de l’épidémie, en atteste le refus de faire entrer sur son territoire des experts de l’OMS. Sur la question de l’accès à l’information, comment se place la Chine sur la scène internationale ?

Emmanuel Macron le disait le 17 avril 2020 au Financial Times : nous ne savons pas tout sur ce qui s’est réellement passé à Wuhan. Et le refus de la Chine d’accorder à une délégation de l’OMS la possibilité de se rendre en Chine pour enquêter sur les origines du virus ne peut que renforcer les soupçons. La pandémie est-elle d’origine exclusivement animale ? Est-ce lié à une erreur de manipulation qui aurait eu lieu dans le laboratoire P4 livré par la France ? Autre fait troublant : aucune équipe scientifique française, au mépris des protocoles décidés par les gouvernements français et chinois, n’a pu se rendre dans ce laboratoire. Qu’y fabriquait-on ? Dans quelles conditions ? Nous n’avons aucune réponse à ces questions.

Rappelons la généalogie des faits : le virus a été détecté fin novembre 2019. En décembre 2019, des médecins de Wuhan s’interrogent sur plusieurs cas d’insuffisances respiratoires, souhaitent alerter les autorités, lesquelles leur ordonnent de garder le silence sous peine de sanctions graves. Nous connaissons la suite et le quotidien des habitants de cette conurbation de 11 millions d’habitants est quotidiennement et courageusement décrit par la blogueuse et écrivaine Fang Fang[1] : réticences des autorités à suspendre les festivités du Nouvel An chinois puis débordement des services hospitaliers et explosion fulgurante du virus. Le pouvoir du centre – Pékin – réagit en donnant l’ordre de confiner la ville, mais cherche à se rendre rassurant en masquant la gravité du mal auprès des autorités de l’OMS. Ces dernières réagissent mollement. Nous apprendrons que le directeur de l’OMS, un Éthiopien, a été proche de Pékin. Les gouvernements européens se fient naïvement aux analyses de l’OMS et décident d’en suivre les recommandations : les frontières et les aéroports restent ouverts. C’est d’autant plus surprenant que l’exécutif français est très précisément renseigné sur la gravité de la situation. La France est, en effet, le seul pays à avoir maintenu ouvert son consulat de Wuhan. Bref, rien n’est fait pour stopper la déferlante qui s’annonce. On retarde l’inéluctable puis on apprend que la France a généreusement offert les derniers stocks de ses masques…à la Chine.

À l’heure où nous parlons (début janvier 2021), la Chine a réalisé plus de 4 millions de vaccinations. Proportionnellement (sur 1 milliard 400 millions d’habitants), c’est peu. Ce qui est intéressant et en dit long sur le manque de confiance des Chinois pour le vaccin national, c’est que les commandes du vaccin Pfizer à destination de la Chine n’ont cessé d’augmenter.

Plus d’un 1 an après le début de la crise du Covid-19, où en est la Chine sur sa situation sanitaire ?

Officiellement, la Chine s’en tient au nombre de 4634 morts, mais elle a admis peu de temps avant de laisser entrevoir à l’OMS la possibilité d’enquêter en Chine sur les origines de la pandémie qu’il pouvait y en avoir beaucoup plus. Rationnellement, et à l’échelle d’un État-continent comme la Chine, il est impossible que la Chine ait eu moins de morts qu’en Italie, par exemple. Ces mensonges sur le nombre réel de victimes du Covid-19 à Wuhan se sont accompagnés d’une réécriture de l’histoire concernant la pandémie en voulant faire accroire que le virus était d’origine américaine.

Un nouveau foyer d’épidémie est apparu il y a quelques jours à Shijiazhuang, au sud de Pékin. C’est un hub ferroviaire important et des mesures drastiques de confinement et de dépistage y ont été prises. Le virus sévit donc encore à ce jour en Chine. Le pays étant fermé et la presse muselée, il nous est difficile de savoir s’il s’agit du seul foyer ou s’il en existe d’autres. Quoi qu’il en soit, d’autres pandémies graves naîtront dans ce pays, car le télescopage brutal entre milieux urbains et ruraux d’une part, l’augmentation du déplacement des personnes d’autre part, sont appelés à se développer encore davantage. Ces phénomènes facilitent grandement le colportage de virus, ainsi que leurs mutations.

Bien qu’« à l’origine » de cette pandémie mondiale, la Chine semble avoir su tirer son épingle du jeu sur la scène internationale en fournissant du matériel, en finançant l’OMS, etc. Comment expliquer cette situation d’apparence contradictoire, à l’échelle régionale et à l’échelle mondiale ?

Méfions-nous des apparences : les exportations payantes de matériel médical par la Chine, et le plus souvent avarié, sont au contraire un échec au niveau international. En quelques semaines, l’Occident, mais aussi nombre de pays du Sud ont enfin ouvert les yeux sur la dangerosité de la puissance chinoise et l’irresponsabilité de ses dirigeants. Xi Jinping a détruit en très peu de temps un capital de confiance et des décennies d’efforts déployés par la diplomatie chinoise pour soigner l’image du pays.

Les dysfonctionnements de l’administration chinoise, durant les premières semaines de la crise, ont permis à Xi Jinping de renforcer son emprise sur l’appareil du Parti en accélérant les purges et en justifiant un peu plus le recours à une cybercratie à la fois intrusive et liberticide. Cette crise a de ce point de vue montré que des démocraties asiatiques comme Taïwan ou la Corée du Sud avaient géré la crise avec une bien plus grande efficacité, sans renier pour autant les valeurs cardinales qui sont celles du respect des personnes et de leurs droits.

La radicalisation du régime chinois est par ailleurs observable au niveau international. Provocations militaires à l’encontre de Taïwan, de l’Inde (dans la région du Ladakh) ou contre les navires américains dans le sud de la mer de Chine se sont multipliées à la faveur de cette pandémie qui a également et considérablement ébranlé, ne l’oublions pas, la société chinoise. La défiance vis-à-vis du régime – qui traverse une crise de confiance grave – associée à la peur très réelle que suscite la mise au pas des grands patrons de l’industrie (la disparition de Jack Ma est en cela un symptôme) et la montée du chômage (dans un pays où les allocations sont inexistantes) constituent le bilan de cette année écoulée.

Non seulement le virus a accéléré des tendances qui étaient observables avant même son apparition, mais il aura sans doute et pour longtemps contribué à faire renaître, en France notamment, l’idée de la souveraineté. Car le virus a fait prendre conscience de la très grande vulnérabilité qu’engendrait la globalisation. L’heure est désormais au découplage industriel et au rapatriement des secteurs d’activités les plus sensibles. C’est sans doute là une bonne nouvelle pour l’Occident. Mais une mauvaise nouvelle pour la Chine.

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[1] Fang Fang, Wuhan, ville close, Paris, Stock, 2020

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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.
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