ANALYSES

Cellou Dalein Diallo ou Alpha Condé : la Guinée dans une dangereuse incertitude

Tribune
23 octobre 2020


Sans attendre les résultats de la CENI (commission électorale nationale indépendante), organe institutionnel compétent pour faire connaître l’issue du scrutin présidentiel du 18 octobre en Guinée, Cellou Dalein Diallo, principal opposant au président Alpha Condé, a annoncé dès le lendemain sa victoire avec près de 53% des voix. Des images de liesse de ses partisans ont circulé sur les réseaux sociaux.

M.Diallo est passé à l’offensive. Et ostensiblement, il montre que c’est à son tour de présider à la destinée de son pays. Fini le temps de la patience et de la résilience subordonnées. Sans doute garde-t-il quelque amertume après s’être fait « voler » l’élection en 2010 : il avait alors réuni 43% des suffrages au premier tour, contre moins de 20% pour Alpha Condé. Ce dernier avait alors, contre toute attente, remporté l’élection, scellant la première alternance démocratique du pays, mais créditant dans le même temps durablement la rivalité entre les deux hommes. Le duel dure depuis une décennie, et si des médiateurs ont essayé de trouver des voies de conciliation, la rupture semble irréductible.

La tentation du troisième mandat, longtemps laissé en suspens – Alpha Condé n’ayant fait connaître sa décision qu’en septembre dernier -, avait ensemencé les germes de la discorde depuis plusieurs mois. Dès 2019, le FNDC (Front National de Défense de la Constitution), composé des partis d’opposition, avait été créé. La question d’une révision constitutionnelle était une pierre angulaire d’achoppement. Depuis la création du Front, des manifestations ont éclaté dans le pays et les morts se dénombrent en dizaines. Le 22 mars dernier, les différents partis d’opposition avaient boycotté les élections législatives couplées à un référendum en vue d’une révision constitutionnelle tant pressentie. Et l’argutie est désormais bien rôdée : à nouvelle constitution, remise à zéro des compteurs. En ne participant pas à cette élection, l’opposition avait offert un boulevard au président Condé, qui, outre le fait d’avoir remporté l’ensemble des circonscriptions, avait même eu le luxe de modifier la constitution en renforçant les pouvoirs du président de la République de Guinée.

Assez étonnamment, après cette première séquence, Cellou Dalein Diallo – quitte à semer la confusion au sein du FNDC dont son parti, l’UFDG, est membre – a pris la décision de se porter candidat à l’élection du 18 octobre. Le chercheur Aliou Barry justifie cette candidature comme suit : « La position de Cellou Dalein Diallo pourrait s’expliquer tout d’abord par le constat d’un essoufflement des mobilisations populaires contre le troisième mandat. Les dernières manifestations du FNDC n’ont pas vraiment été un succès… (…) Ne pas aller à l’élection dans cette configuration aurait empêché l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de contester le résultat de l’élection présidentielle »[1]. Au regard du coup d’éclat du 19 octobre, on peut subodorer qu’une stratégie avait été élaborée par l’UFDG… Si l’on ne peut exclure que les membres assesseurs de ce parti, par la voie des téléphones mobiles[2], aient pu faire remonter les résultats, de nombreux bureaux de vote dans lesquels ils étaient mobilisés, l’annonce prématurée de la victoire – parachevant de démontrer une défiance totale vis-à-vis des organes institutionnels – n’en finit pas de radicaliser le jeu politique. Et l’absence d’observance de règle semble régner au profit de l’anomie généralisée.

Dans un message posté, le 20 octobre, sur Facebook, M. Diallo a fait connaître que « [son] domicile [était] encerclé par la police et la gendarmerie (…) ». Il en appelle à la Guinée « de tourner la page de ce régime liberticide et fratricide ».

Depuis le 21 octobre au matin, la CENI a commencé à égrener les résultats de quatre circonscriptions sur les 38 que compte le pays[3]. Les premiers chiffres fleurent le plébiscite à l’endroit d’Alpha Condé. Si l’ensemble des résultats n’est pas connu, l’esquisse d’une issue – prévisible – semble se dessiner.

Quoiqu’il en soit désormais de la stratégie des deux principaux candidats, les grands perdants de cette élection sont les Guinéens. Le bras de fer risque de se poursuivre dans la rue (au moins trois morts sont d’ores et déjà à déplorer depuis le début de la semaine[4]) et le scénario, sur fond d’ethnicisation des rapports sociaux, d’une généralisation des violences ne saurait être totalement à exclure.

 

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[1] https://www.iris-france.org/150700-guinee-une-election-presidentielle-sous-tension/

[2] https://lanouvelletribune.info/2019/09/election-en-afrique-avec-les-smartphones-les-pays-africains-peuvent-se-passer-des-ceni-selon-christian-bouquet/

[3] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20201021-guin%C3%A9e-ceni-commence-publication-resultats-partiels-provisoires-ufdg-compile

[4] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/10/22/presidentielle-en-guinee-au-moins-trois-morts-dans-des-heurts-a-conakry_6056938_3212.html
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