ANALYSES

Existe-t-il un vaccin pour sauver l’OMS ?

Tribune
19 octobre 2020


L’épidémie qui était observée d’un œil curieux, mais un peu désintéressé par un Occident non concerné, est venue chambouler de nombreuses croyances. Petit à petit, incrédule de se constater vulnérable, il a fallu trouver un coupable désigné. Tant est si bien qu’au moment de passer à l’action, plus personne n’était à l’écoute, trop horrifié par ce qu’il se passait dans nos sociétés. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), que l’on entendait d’ordinaire si peu, était sur le devant de la scène, se révélant être un piètre chef d’orchestre. Pour dire vrai, on le savait déjà. On l’a jugé trop lente, trop lourde, trop protocolaire, trop conciliante vis-à-vis de la Chine, pas assez dans l’action, trop à la solde des grands financeurs privés, Bill Gates en tête.

Coupable idéale, l’Organisation a été pointée du doigt dans son incapacité à arrêter cette pandémie.

Les manquements de l’OMS ne sont pas nouveaux. À chaque crise sanitaire, l’organisation a tenté de se réorganiser. Si l’on peut louer cette remise en question systématique, n’est-ce pas la preuve que l’organisation ne fait que courir derrière les événements sans être capable d’une quelconque anticipation ? Alors qu’en termes de santé, la meilleure stratégie est toujours celle de la prévention.

Ce n’est pourtant pas la première fois qu’un agent pathogène menace la sécurité sanitaire mondiale. En 2003, le SARS-Co est venu tester nos capacités de réaction. La grippe H1N1 en 2009, le MERS-Co au Moyen-Orient en 2012, Ebola en 2014. Et il a été reproché à l’OMS d’être trop rapide pour la grippe en 2009 – d’avoir semé la panique et d’avoir été à la solde des laboratoires pharmaceutiques qui ont vendu des millions de vaccins -, et trop lente lors de la flambée d’Ebola. Crise durant laquelle les humanitaires ont construit les premiers protocoles et n’ont eu de cesse d’alerter la communauté internationale et une OMS devenue frileuse. En 2018, lors de l’assemblée mondiale de la santé, l’hypothèse du risque d’une maladie émergente nommée « X » a été évoquée. Il était question d’un virus respiratoire qui pourrait être responsable d’une « prochaine pandémie » à laquelle il fallait se préparer. 18 mois plus tard, le Covid-19 semble pourtant prendre le monde par surprise.

Face à cette crise, le monde s’est attendu à ce que l’Organisation mondiale de la santé, comme son nom l’indique, gère ce problème sanitaire qui nous touche tous. Au lieu de cela, elle est accusée de tous les maux : elle n’a pas su être réactive. Elle n’a pas su obtenir la transparence des chiffres en Chine d’où est partie l’épidémie et n’a pas su/voulu y imposer son leadership. Et surtout, elle n’a pas su endiguer la progression de l’épidémie avant que celle-ci ne devienne pandémique. Elle n’a pas su prendre en considération le facteur humain de l’épidémie, lorsqu’au printemps elle a tardé à recommander le masque pour tous, craignant un faux sentiment de sécurité dans la population qui appliquerait alors moins les autres mesures barrières.

Incapable de gérer la coordination de la recherche sur les vaccins, elle a clamé que celui-ci était un bien public universel, alors que les États-nations réservent et payent des vaccins encore non testés ni validés pour des sommes indécentes. Alors que les maîtres mots sont coordinations et solidarités, l’OMS n’a pas invité Taïwan (qui ne siège plus à l’OMS depuis 1971) à l’assemblée mondiale de la santé en mai dernier, alors que celle-ci aurait pu partager ses expériences de réussite sur la crise sanitaire.

L’OMS est trop lourde et pas adaptée aux challenges sanitaires d’aujourd’hui. Alors que fait l’OMS ? Ou plutôt, qui fait l’OMS ?

L’OMS ne pouvait tout simplement pas être à la hauteur, jusque dans les textes. Le règlement sanitaire international (RSI), instrument juridique international contraignant censé éviter la propagation des risques sanitaires par-delà les frontières a un objectif assez particulier. L’objet véritable du RSI est d’établir une action de santé publique proportionnée « en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux ». Parce qu’il s’agit bien de cela : l’OMS est priée de bien vouloir régler le problème en impactant le moins possible l’économie. À n’avoir aucune capacité d’action véritable, le double objectif qui s’est révélé mission impossible était perdu d’avance. À ce jour le coût du Covid-19 est estimé à 11 000 milliards de $, alors que l’on vient de franchir le cap symbolique du million de décès à travers le monde.

Rappelons-le, l’OMS comme toute organisation internationale de l’ONU, n’a que les pouvoirs que ses États membres veulent bien lui conférer. Elle agit selon un code régi par les États membres eux-mêmes, qui en délimitent ainsi le pouvoir. En ce qui concerne l’OMS, tout le monde est d’accord pour que celle-ci n’en ait que très peu, chaque État voulant garder la main sur sa souveraineté. S’il est vrai que le RSI donne à l’OMS un rôle de coordination en cas d’épidémie, il a toujours été refusé que celui-ci se dote d’un pouvoir de sanction, limitant ainsi ses capacités d’actions. Par ailleurs, jusqu’à l’an passé, le budget de l’OMS ne dépassait pas la moitié du budget des hôpitaux de Paris. Un budget composé de deux volets, mais autant les contributions des États que les fonds flexibles restent des fonds « fléchés ». C’est-à-dire qu’ils sont assujettis à une thématique prédéfinie par le bailleur lui-même. On comprend mieux pourquoi, ce printemps, Donald Trump n’a pas apprécié voir l’organisation agir différemment de ce que pouvait « attendre » le premier contributeur financier de l’OMS. Ce mode de financement rend caduque toute velléité de liberté d’action de la part de l’institution qui doit construire sa stratégie en fonction des exigences des États membres ou des bailleurs privés. Ce qui pose encore plus question.

De plus, si l’OMS a dû attendre l’autorisation de la Chine pour diligenter une équipe d’expert sur le terrain en janvier, c’est tout simplement parce qu’il est de la volonté des États membres de ne pas voir une organisation supra-étatique s’imposer sur leurs territoires nationaux. D’autre part, devant l’absolue nécessité d’avoir accès aux données et aux lieux d’émergence, il était important de rester dans les bonnes grâces de la Chine.

Pour autant, et faisant fi des critiques, l’OMS n’a cessé de travailler à la coordination entre les régions, améliorer les capacités de réponses de certains pays et d’accélérer la recherche et le développement. Du matériel médical a été envoyé dans 133 pays, des protocoles de prévention et formations ont été fournis dans plus de 13 langues différentes. 1,5 million de kits diagnostic ont été exportés vers 126 pays différents dès le printemps. Et aujourd’hui c’est 112 millions de kits de test antigéniques qui sont en train d’être acheminés vers les pays à revenus faibles ou intermédiaires.

Quelle stratégie de l’information de l’OMS face aux campagnes de délégitimation ?

Depuis le début de la crise, l’OMS émet des bulletins de situation quotidiens à destination des 194 États membres assortis de recommandations. Les statistiques sont un peu perdues au milieu de la forêt d’académies universitaires qui publient leurs propres données. Les recommandations sont écartées pour laisser la place aux comités scientifiques nationaux, tel le https://www.cdc.gov/ (CDC) aux États-Unis.

D’autre part, et utilisant l’expérience acquise en 2014 où les fausses rumeurs ont mis à mal la stratégie de riposte communautaire, l’OMS travaille au quotidien sur les fake news. Ebola en Afrique de l’Ouest fut la première épidémie à être impactée par les réseaux sociaux. Alors que les nouvelles technologies étaient présentées comme des outils novateurs et facilitant la gestion sanitaire, ils ont montré à cette occasion leurs faces obscures et notamment leur capacité à amplifier et déformer un message jusqu’à ce qu’il en devienne pathogène. Aujourd’hui et depuis plusieurs mois, le #Covid19 est un des mots clefs les plus tendance sur les réseaux sociaux. Chaque idée peut se retrouver sur le devant de la scène. Il n’est pas question de véracité scientifique ou de légitimité médicale, mais d’audience numérique. L’internaute se retrouve devant une masse d’informations colossale sans avoir la capacité de faire la différence entre une « fakemed » et une véritable information. Conscient des dégâts que cela peut générer dans la confiance populaire, l’OMS tente de rectifier quelques vérités et de déconstruire les mythes qui circulent encore aujourd’hui à travers la page web « En finir avec les idées reçues », qu’elles émanent d’un président américain ou du citoyen lambda. On y apprend entre autres que : non, l’introduction de javel dans l’organisme ne protège pas du Covid-19, mais que c’est surtout dangereux ; non, la 5G ne propage pas le Covid-19 ; non, arriver à retenir sa respiration pendant 10 secondes ne signifie pas que l’on est épargné par la maladie ; non, manger de l’ail ne permet pas de se protéger contre le coronavirus, etc.

Dix mois après l’apparition du Covid-19, nous n’avons toujours pas de vaccin ni de thérapeutique spécifique. Les mesures barrières et la politique du test sont nos seules armes. La pandémie démontre que dans notre monde interconnecté, la santé est un enjeu global, et notre seule solution pour faire face à cette pandémie est de travailler ensemble en coopérant. Le multilatéralisme est aujourd’hui indispensable à notre réussite. Et c’est bien d’une OMS plus forte dont nous avons besoin.

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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.
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