ANALYSES

La relation Chine-Taiwan au révélateur de la pandémie mondiale

Tribune
12 octobre 2020


La Chine est parfois qualifiée de « vainqueur » de la crise de Covid-19. Comment expliquer cela au niveau national, régional et international ?

La reprise en main assez rapide en Chine d’une crise d’autant plus difficile qu’elle trouve sa source dans l’une des provinces les plus densément peuplées du pays et la médiatisation autour de l’implication des pouvoirs publics a renforcé la légitimité du pouvoir central. Derrière ce succès, c’est tout un mode d’organisation, basé sur le confinement et des mesures strictement appliquées, qui inspira les mesures adoptées dans le reste du monde, y compris en Occident. Le retour à la mondialisation que la Chine appelle de ses vœux s’appuie pour sa part sur un soft power basé sur une politique de main tendue (la « diplomatie du masque ») autant que sur l’exemple de sa gestion de la crise qu’elle met en avant. Pékin a ainsi abondamment communiqué sur sa capacité à apporter une assistance aux pays les plus affectés par la pandémie. Si un tel discours reste fortement critiqué dans les démocraties occidentales, il reçoit un écho nettement plus positif dans les sociétés en développement, où c’est sur la Chine que l’on compte pour sortir de la crise sanitaire et relancer l’activité économique. Sur le terrain de l’influence, combat ultime que livrent les grandes puissances, Pékin et Washington en tête, la gestion de la crise sanitaire donne un avantage à la Chine, tandis que les États-Unis présentent un bilan très négatif. Et on mesure au cours des dernières années à quel point les déboires de Washington font les affaires de Pékin. Au niveau régional, Pékin a su profiter de sa sortie de crise pour accentuer ses pressions sur la population de Hong Kong, avancer ses pions en mer de Chine méridionale et hausser une nouvelle fois le ton face à Taiwan, comme pour mieux asseoir son hégémon en Asie orientale. Les conséquences économiques de la pandémie seront lourdes en Chine, comme dans le reste du monde, mais la victoire politique est significative.

Taiwan ne compte qu’un peu plus de 500 cas et sept décès seulement depuis le début de la crise sanitaire. Comment expliquer ce succès ?

En marge de la réélection facile de Tsai Ing-wen pour un second mandat à la présidence de la république de Chine (Taiwan) en janvier 2020, Taipei mit en garde l’OMS contre les risques de propagation du coronavirus par transmission humaine, sans aucune réaction de l’organisation dont il n’est pas membre. On ne peut d’ailleurs que déplorer que la communication taiwanaise ne fût pas alors davantage appuyée, et plus encore entendue, ce qui caractérise les problèmes et les limites de la diplomatie taiwanaise. Pour autant, et en dépit de la proximité géographique et de la fréquence des échanges avec la Chine continentale, Taiwan présente un bilan exceptionnel dans la gestion de la crise sanitaire, sans confinement et en ayant recours à la technologie, notamment des applications de géolocalisation. Ce n’est pas le caractère autoritaire des mesures, mais leur efficacité qui a fait la différence et fait de Taiwan l’un des « vainqueurs » de cette pandémie, tant dans son bilan sanitaire que dans sa légitimité politique. Dès lors, la communication post-Covid-19 de Taiwan s’articule autour d’une nécessaire adhésion à l’OMS (soutenue par de nombreux pays occidentaux et le Japon), les vertus d’un système de santé très performant et les mérites de son régime démocratique favorisant une transparence totale sur la gestion de la crise. Autant de points qui distinguent Taipei de Pékin. 

Les tensions entre les deux entités demeurent vives. Dans quelle mesure la pandémie mondiale peut-elle modifier les équilibres entre Pékin et Taipei ?

Taiwan reste une épine dans le pied du géant chinois et le succès de Taipei dans la gestion de la pandémie lui permet de communiquer avec force et on peut dès lors considérer qu’il y aura dans la communication politique et diplomatique taiwanaise un avant et un après Covid-19. Pékin n’entend cependant pas accorder de la place à Taiwan sur ces questions, et au-delà des pressions militaires accentuées (avec notamment des incursions répétées dans l’espace maritime taiwanais) et un discours menaçant (mais qui l’était déjà avant la pandémie, tout comme le soutien de Taipei aux opposants de la Chine à Hong Kong ou au Tibet), les dirigeants chinois cherchent à surenchérir avec la diplomatie du masque et reproduire ainsi avec Taipei une course mondiale aux soutiens économiques et politiques autrefois qualifiée de « diplomatie du chéquier », cette fois articulée autour des aides médicales et techniques aux pays nécessiteux. Taiwan a en effet saisi l’importance de capitaliser sur ses succès en proposant une aide importante (les productions de masques notamment ont rapidement permis à Taipei de se placer sur le marché de l’aide et des exportations), créant ainsi une compétition entre les deux entités rivales. Les équilibres ne sont pas modifiés, mais la rivalité s’est étendue aux questions sanitaires, avec de part et d’autre une communication très forte qui vise prioritairement un public différent : les sociétés en développement pour Pékin et le monde occidental pour Taipei.

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Barthélémy Courmont est directeur de recherche à l’IRIS et responsable du programme Asie-Pacifique. Il est également maître de conférence à l’Université catholique de Lille et vient de publier avec Frédéric Lasserre, Eric Mottet et Serge Granger (dir.) Marges et frontières de la Chine, aux Presses de l’Université de Montréal.

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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.
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