ANALYSES

Relations Union européenne/Afrique : vers un tournant majeur en 2020 ?

Tribune
5 juin 2020
Par Dr Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines, enseignant à IRIS Sup’, et Jessica Ekon, diplômée d’IRIS Sup’ en Défense, sécurité et gestion de crise.
 



Le partenariat Afrique/Union européenne (UE) est le « cadre politique global et à long terme des relations de coopération UE – Afrique ». Il s’appuie sur une stratégie commune élaborée en 2007. Les domaines prioritaires ont évolué au niveau des premier (2008) et second (2013) plans de la feuille de route de 2014-2017, puis de la déclaration d’Abidjan, depuis 2018. À l’occasion du cinquième sommet UE/Afrique, qui s’est tenu en Côte d’Ivoire en 2017, quatre axes prioritaires ont été retenus pour la période 2017-2020 :

  • Investir dans le capital humain grâce à l’éducation, la science, la technologie et le développement des compétences ;

  • Mobiliser les investissements pour une transformation structurelle durable de l’Afrique ;

  • Renforcer la résilience, la paix, la sécurité et la gouvernance ;

  • Les migrations et de mobilité.


Tout en s’appuyant sur les orientations de la stratégie de 2007, ces axes d’effort laissaient entrevoir la nécessité de repenser le document originel. En mars 2020, une communication conjointe au Parlement européen intitulée « Vers une stratégie globale avec l’Afrique » a présenté les grandes lignes de ce que sera la nouvelle stratégie commune du partenariat UE – Afrique.

Le texte rappelle que l’Afrique est le « continent jumeau » de l’Europe. En effet, plusieurs structures de l’Union africaine (UA) ressemblent à celles de l’Union européenne. La montée en puissance de l’intégration régionale est effective depuis la création de la Zone continentale de libre-échange, mais demeure lente. L’UE met en évidence son expérience en matière d’union douanière et de marché unique pour accompagner la construction de la zone de libre-échange continentale africaine.

En matière de conflits et crises où les défis restent nombreux, l’UE préconise la mise en œuvre d’une approche intégrée à toutes les phases du cycle d’un conflit ainsi qu’un renforcement du lien entre l’aide humanitaire, le développement, la paix et la sécurité[1].

La pauvreté, la mauvaise gouvernance, le changement climatique appellent une action multilatérale que souhaite accompagner l’Union européenne en s’appuyant sur les décisions, déclarations et résolutions de l’Union africaine.

Si l’Afrique « suscite un intérêt accru de la part de nombreux acteurs sur la scène mondiale[2] », elle est encouragée à privilégier le cadre de coopération proposé par l’UE. Premier investisseur en Afrique avec 222 milliards d’euros[3] devant les USA (42 milliards d’euros) et la Chine (38 milliards) en 2017, l’UE a vocation à rester le principal partenaire du continent africain. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la contribution de l’UE en faveur de la Force conjointe du G5 Sahel est de 253,6 millions d’euros[4]. L’UE a en outre contribué à hauteur de 3,5 milliards d’euros par l’intermédiaire de la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique depuis 2004[5]. Pour la période 2021-2027, l’Afrique devrait bénéficier de la majeure partie des 60 milliards d’euros de l’Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale, pour des opérations de garantie visant à stimuler les investissements durables.

Face aux nouvelles menaces et opportunités communes, l’Union européenne plaide en faveur d’une coopération renforcée avec l’Afrique. Elle propose une nouvelle stratégie basée sur cinq partenariats en faveur d’une transition verte et l’accès à l’énergie, de la transformation numérique, d’une croissance et des emplois durables, de la paix et de la gouvernance et en matière de migration et de mobilité. S’appuyant sur de nombreux textes et des accords internationaux tels que les Objectifs de développement durable, l’Accord de Paris, l’agenda 2063 de l’Union africaine, etc., la stratégie proposée ne peut-être qu’acceptée en l’état tant elle est optimiste. Il est question d’investir sur la jeunesse atout majeur du continent, d’intégration régionale, d’avenir numérique, d’emplois, d’investissements, de climat des affaires, d’éducation, de santé, d’égalité du genre, de dialogue social, de résilience, de droits de l’homme, de migration et de mobilité. Si toute la sémantique de la société idéale figure dans ce partenariat, ces objectifs certes louables sont-ils pour autant accessibles ? L’emploi de cette terminologie ne démontre-t-il pas les résultats limités de la stratégie précédente ? Une stratégie doit être l’art de coordonner des actions pour un objectif clair. Dans cette ébauche de document, l’objectif semble inatteignable.

Pour gagner en efficacité, l’UE devra revoir ses ambitions à la baisse. Il serait plus raisonnable de s’appuyer sur les retours d’expériences de la période précédente pour tirer les enseignements afin de fixer trois ou quatre objectifs réalisables… À l’heure du Covid-19 et de ses premiers enseignements, il apparaît fondamental d’être réaliste et de ne pas chercher à façonner la société africaine en fonction de nos critères. Il appartient également aux Africains de faire preuve de davantage de réalisme dans leurs demandes de partenariat ce qui les obligera à structurer leurs besoins auprès des nombreux acteurs internationaux. Il en découlera une meilleure coopération au niveau bilatéral, régional ou continental. L’ambiguïté tout au long du texte sur l’emploi de l’Afrique ou de l’Union africaine souligne la difficulté d’approcher ce continent. Le partenariat ne peut être qu’entre l’UE et l’UA. Entité géographique, l’Afrique n’a en aucun cas une dimension politique.

Lors du prochain sommet UE – Afrique à Bruxelles, en octobre 2020, la stratégie globale avec l’Afrique fixera les priorités européennes pour la prochaine décennie. Elle sera déclinée en plans d’action et permettra d’actualiser les stratégies régionales pour le Sahel, la Corne de l’Afrique et le golfe de Guinée. L’année 2020 verra également l’aboutissement des négociations entre la Commission de l’UE et le groupe des pays Afrique – Caraïbes – Pacifique (ACP), qui ont débuté en 2018. Il manque néanmoins un aspect suivi à l’ensemble de ces documents. Il s’agit de l’obligation pour les deux partenaires et donc les 82 États (27 + 55[6]) d’avoir un retour systématique et lisible et sur les engagements financiers de l’Union européenne[7] et leurs résultats. C’est à ce prix que la relation sera « mûre et exhaustive », et que nous y verrons plus clair sur la multitude et l’efficacité des programmes, des dons qui rythment les relations entre l’UE et « l’Afrique ».




[1] Vers une stratégie globale avec l’Afrique, p. 14.
[2] Ibid., p. 2.
[3] Ibid., p. 7.
[4] Ibid., p. 13.
[5] Ibid., p. 12.
[6] La République arable sahraouie démocratique (RASD) est reconnue par l’Union africaine et participe aux différents sommets de l’organisation.
[7] À titre d’exemple, le onzième FED (2014-2020) a une enveloppe budgétaire de 30,5 milliards d’euros. La France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie y contribuent respectivement à hauteur de 20,58 %, 17,81 %, 14,68 % et 12,53 % (Cf « Pour une redéfinition du partenariat entre l’Europe et l’Afrique », MEDEF, février 2019).
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