ANALYSES

Le Kenya, un acteur régional majeur

Tribune
27 mai 2020
Par Dr Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines, enseignant à IRIS Sup’, et Alizée Pellen, diplômée d’IRIS Sup’ en Défense, sécurité et gestion de crise.


La Commission de l’Union africaine, la Banque africaine de développement et la Commission économique pour l’Afrique ont évalué le niveau d’intégration économique en Afrique au travers d’un rapport publié en mai 2020. Le Kenya se hisse à la deuxième place du classement par pays et affiche une performance très satisfaisante[1]. L’occasion de faire le point sur cet acteur régional majeur.

Première économie d’Afrique de l’Est, le Kenya dispose d’une position géographique stratégique et d’infrastructures commerciales particulièrement développées qui font de ce pays une destination prisée par les investisseurs et de nombreuses entreprises internationales. Membre de l‘Union africaine (UA), il appartient sur le plan de l’intégration régionale, à plusieurs communautés économiques régionales, la Communauté d’Afrique de l’Est[2] (EAC – East African Community), l’Autorité intergouvernementale pour le Développement[3] (IGAD) et le Marché commun de l’Afrique orientale et australe[4] (COMESA). Cette triple appartenance lui permet d’élargir sa zone d’influence, de développer son économie et de jouer un rôle important pour la stabilité de la région.

En 2015, l’EAC, la SADC[5] et le COMESA ont formé la Tripartite Free Trade Area, la première étape multirégionale de libre-échange en Afrique. Intégrant la totalité des États africains à l’exception de l’Érythrée, la zone de libre-échange continentale a été lancée au sommet de l’Union africaine en juillet 2019 à Niamey. Si le développement et l’intégration économique sont sur la bonne voie, il en va tout autrement de la paix et de la sécurité.

Le Kenya a été un médiateur clé dans les pourparlers de paix de la région. Il a joué un rôle particulièrement actif dans les initiatives de gestion de conflits et les négociations visant entre autres à résoudre la guerre civile soudanaise. L’ancien Président kenyan, Daniel Arap Moi, figure emblématique du paysage politique national, a été un interlocuteur déterminant dans la naissance de ce nouvel État[6]. Il a été nommé représentant spécial du Kenya pour la paix au Soudan par son successeur Mwai Kibaki en août 2007, afin d’accélérer la mise en œuvre de l’accord de paix global de 2005. Ses efforts de paix dans la région s’illustrent également par sa participation remarquée à la médiation entre différents partis en conflit en Ouganda, au Soudan, au Rwanda et au Burundi. Concernant la Somalie, les négociations de la Conférence de réconciliation nationale ont abouti fin 2004 à la mise en place des institutions fédérales de transition somaliennes (Assemblée, Président, Premier ministre et gouvernement). Jusqu’au début de l’année 2005, le Kenya était l’hôte principal de ces institutions. Entre mai et juin 2005, les membres des institutions fédérales de transition ont finalement rejoint la Somalie[7]. Au titre de son appartenance à l’IGAD, le Kenya a été partie prenante des différents accords de paix, de cessez-le-feu (2013-2015) et de l’accord revitalisé sur le Soudan du Sud en 2018.

L’évolution rapide de l’environnement sécuritaire maritime du continent africain a, par ailleurs, motivé des innovations conduisant à une plus grande coordination régionale en la matière. La première conférence internationale sur l’économie bleue durable s’est déroulée du 26 au 28 novembre 2018 au Kenya, organisée conjointement avec l’État hôte, le Japon et le Canada. En marge de cet événement, le Kenya a signé deux accords régionaux de sécurité maritime élaborés dans le cadre du programme Maritime Security mis en œuvre conjointement par la Commission de l’océan Indien, l’IGAD, le COMESA et l’EAC sur financement de l’Union européenne[8]. Cette démarche soulignait l’importance de la façade Est de l’Afrique pour les autorités kenyanes.

Confronté à ce qu’il considérait comme une menace intenable pour sa sécurité et son économie à la suite d’incidents majeurs impliquant l’enlèvement et le meurtre de touristes européens, le 16 octobre 2011, le Kenya est intervenu unilatéralement en Somalie pour repousser les éléments extrémistes d’Al-Shebaab (opération Linda Nchi). Son contingent fort d’environ quatre mille hommes a intégré la Force de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) en juin 2012. Il est responsable du secteur 2 comprenant les régions de Lower and Middle Jubba frontalières avec le Kenya. Il supporte depuis longtemps une importante charge humanitaire (camp de Dadaab) et sécuritaire résultant de trois décennies d’instabilité en Somalie[9]. L’objectif de la stabilisation demeure, jusqu’à présent, prioritaire pour le Président Kenyatta qui souhaite avant tout éviter la dissémination de la menace terroriste sur son territoire.

Si le Kenya a été un contributeur important des Opérations de maintien de la paix des Nations unies, nous observons une baisse conséquente de sa participation depuis ces dernières années[10]. Cette baisse est en corrélation avec l’implication croissante du Kenya au sein de l’Architecture africaine de paix et de sécurité. Elle révèle un changement de priorités vers la contribution à la Force en Attente de la région Afrique Orientale[11] (EASF) et sa participation à l’AMISOM[12]. Dans le cadre de ce processus de régionalisation, le Kenya abrite notamment le Secrétariat, l’élément de planification de l’EASF et le Centre international de formation au soutien de la paix, l’un des principaux centres régionaux de formation des forces de maintien de la paix en Afrique de l’Est[13].

L’intégration en Afrique de l’Est et la pacification de la région sont des éléments clés de la vision exposée par le président Uhuru Kenyatta depuis le début de son mandat. Hébergeant le siège des Nations Unies en Afrique et servant de plaque tournante régionale pour le commerce, les infrastructures, les transports et les opérations humanitaires[14], le Kenya est un acteur fondamental des relations internationales africaines et une puissance régionale dynamique. Il reste fortement engagé dans la lutte contre les Shebaab, la principale menace terroriste d’Afrique de l’Est.

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[1] Rapport « Indice de l’intégration régionale en Afrique », édition 2019, mai 2020. L’Afrique du Sud occupe la première place du classement.

[2] L’EAC a pour finalité d’améliorer le commerce et les relations économiques entre ses six membres (Kenya, Tanzanie, Ouganda, Rwanda, Burundi et Soudan du Sud).

[3] L’IGAD intègre l’Éthiopie, Djibouti, le Kenya, l’Ouganda, la Somalie, le Soudan, le Soudan du Sud. L’Érythrée qui appartenait à cette organisation l’a quittée en 2007 et devrait la rejoindre prochainement suite à l’évolution de la situation avec l’Éthiopie.

[4] https://www.comesa.int/fr/. Le COMESA compte 21 membres.

[5] Southern African Development Community.

[6] Eliud Kibii, Moi’s invaluable role in regional peace processes, The Star, février 2020.

[7] Pellen Alizée, « La sanctuarisation du terrorisme en Somalie : analyse de la menace Al-Shebaab » , mémoire de Master 2, 2019.

[8] Les autres signataires sont l’Union des Comores, Djibouti, Madagascar, Maurice et les Seychelles.

[9] Attentats du West Gate en 2013 et de l’Université de Garissa en 2015, attaque d’une base militaire américano-kényane à Lamu (2020).

[10] John Ahere, Peacekeeping Contributor Profile : Kenya, Providing for peacekeeping, Janvier 2017. Le Kenya contribue à hauteur de 156 soldats dans les OMP au 20 janvier 2020 (site des Nations unies).

[11] https://www.easfcom.org/index.php/fr/a-propos-de-l-easf.

[12] https://amisom-au.org/fr/.

[13] The International Peace Support Training Centre (IPSTC).

[14] Projet Lamu Port – South Sudan – Ethiopia Transport (LAPSSET Corridor Project), Projet One Belt One Road.
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