ANALYSES

Élections et révision constitutionnelle en Guinée : vers un possible enlisement ?

Interview
20 mars 2020
Entretien avec Gilles Yabi, président de WATHI, par Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS, responsable du programme Afrique/s.


Le FNDC (Front de défense de la constitution) qui réunit les opposants au président Alpha Condé souhaitant éviter une révision de la constitution qui selon toute vraisemblance pourrait ouvrir la voie à un 3e mandat à l’actuel président, pensait pouvoir souffler suite à l’annonce du report des élections législatives couplées au référendum sur la révision constitutionnelle. Selon leurs estimations, ce double scrutin ne pouvait pas avoir lieu en raison d’un fichier électoral vicié. Pourtant, le président Condé a décidé de maintenir son calendrier et organise ce 22 mars cette séquence électorale au risque de fossoyer un peu plus les tensions entre les Guinéens au détriment du consensus national. Entretien avec Gilles Yabi, président de WATHI par Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS, responsable du programme Afrique/s.

Après avoir reporté, sous pression du FNDC, de l’OIF, de la CEDEAO et de l’UA, le scrutin législatif couplé à une révision constitutionnelle, le 1er mars dernier, le président Alpha Condé semble vouloir maintenir le double scrutin de ce dimanche 22 mars. Toutefois la question de la fiabilité du fichier électoral demeure. Comment comprendre cette situation ?

La nouvelle date fixée a fait l’objet de la procédure prévue par la loi guinéenne impliquant la proposition de la Commission électorale, la validation par la Cour constitutionnelle et la prise d’un décret de convocation des électeurs par le président de la République. Il y a très peu de chances que cette nouvelle date du 22 mars ne soit pas tenue. L’annonce d’un nouveau report à la dernière minute serait un camouflet pour le pouvoir.

S’agissant de la controverse sur le fichier électoral, le pouvoir guinéen considère qu’elle n’a plus lieu d’être parce que la commission électorale aurait retiré tous les électeurs à l’identité et à la réalité douteuses. Le fait est que personne ne peut vraiment l’attester et certifier de manière indépendante la qualité du fichier électoral sur la base duquel le double scrutin aura lieu. Sur le plan politique, rien n’a changé entre le 1er et le 22 mars, rien n’a été réglé et les risques d’une très faible participation et de violences liées au boycott actif auquel appellent les opposants au régime restent très élevés. Même si la journée d’élection se déroulait sans incident majeur, cela ne mettrait nullement fin aux tensions politiques qui fracturent également la société guinéenne.

Est-ce qu’un nouveau report est envisageable au regard de la suspension sine die de la mission d’intermédiation de la CEDEAO sur fond de crise de coronavirus ? Ou, finalement, est-ce une opportunité pour le président de suivre son calendrier ?

Non, je ne le pense pas. Les autorités politiques ont estimé jusque-là que cette pandémie ne justifiait pas un report du double scrutin. Si elles souhaitaient donner une chance à une remise à plat des conditions politiques des élections législatives et envisager de renoncer au projet de changement de constitution à quelques mois d’’une élection présidentielle, elles auraient pu se saisir des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie actuelle. Il semble au contraire que ce contexte ait servi à faire passer au second plan, au niveau régional et international, le dossier électoral guinéen, permettant au président Condé de dérouler son projet politique. On peut s’interroger aussi sur les hésitations de la CEDEAO et plus particulièrement sur celles des chefs d’État. La crise sanitaire est certes très grave, mais si les homologues du président Condé avaient un message fort à lui passer avant la date prévue du double scrutin, qui représente une menace à la paix et à la stabilité du pays, ils auraient dû trouver un moyen de dépêcher au moins un des leurs. Si la situation se dégrade en Guinée au cours des prochains mois, la responsabilité de la CEDEAO pourrait aussi être engagée. Ceci dit, l’action ou l’inaction de la CEDEAO sur les dossiers politiques dépend évidemment des positions et calculs de chacun des chefs d’État et de ceux des plus influents dans la région. On le voit aussi clairement dans le dossier de la Guinée-Bissau toujours dans une impasse postélectorale [deux personnes se disputent la victoire présidentielle].

Doit-on se résoudre avec l’écrivain Paul Claudel que « le pire n’est pas toujours certain » ?

Heureusement que le pire n’est jamais certain. Et tous ceux qui souhaitent comme moi que l’Afrique de l’Ouest fasse l’économie d’une nouvelle crise politique violente dans un contexte déjà très fragile et volatile espèrent que leurs craintes sont excessives. Mais nous devons être réalistes et analyser froidement la situation : les élections législatives et un référendum constitutionnel dans les conditions actuelles, à quelques mois de l’élection présidentielle, ne peuvent qu’accroître le risque de contestations, de troubles, voire d’incidents sécuritaires et d’instabilité politique. Les tirs signalés dans un camp militaire à Conakry le 20 mars, même si la situation semble être vite rentrée dans l’ordre, ne sont peut-être pas anodins et témoignent des crispations liées au climat politique polarisé.
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