ANALYSES

COP24 : une mobilisation en recul malgré les enjeux

Tribune
3 décembre 2018


Depuis l’adoption de l’accord de Paris à la COP21 en décembre 2015, les négociations sont entrées dans une délicate phase de définition des modalités techniques et politiques de mise en œuvre de ce dernier. De fait, la COP24, comme les deux précédentes, vise à négocier les règles d’implémentation de l’Accord qui devra être effectif en 2020. Si les États s’étaient globalement entendus sur les objectifs de cet accord, les modalités de mise en œuvre demeurent plus complexes, d’autant que les politiques désertent les sommets climat. À Katowice, Édouard Philippe constituera le plus haut niveau de représentation européen. Aucun président de l’Union ne sera là pour dialoguer avec les quelques chefs d’État qui ont fait le déplacement, principalement depuis les pays en développement (Sénégal, Botswana, Nauru, etc.). Cela illustre le paradoxe des négociations qui, malgré la gravité de la situation, ne parviennent plus à attirer les exécutifs du monde entier, occidentaux notamment. Si certains expliquent leur absence par la réunion du G20 tenue il y a quelques jours, cela ne peut décemment pas justifier un tel désintérêt. Rappelons également que certains pays comme l’Iran, la Turquie ou la Russie n’ont pas non plus ratifié l’accord.

Rehausser ambitions et financements

Le rapport du GIEC sur la trajectoire 1,5°C publié le 8 octobre 2018 a mis en lumière certes l’urgence et les différences avec le scénario 2°C, soulignant que, selon la formule employée par Valérie Masson-Delmotte, climatologue française membre du GIEC, « chaque demi-degré compte, chaque année compte, chaque choix compte ». Les impacts du scénario 2°C seront en tous points supérieurs et pourraient provoquer, par exemple, la disparition de 99 % des coraux et donc des écosystèmes qui en dépendent. Malgré le rôle de catalyseur que le document est censé jouer, les points d’achoppement demeurent nombreux. La principale inquiétude porte sur la trajectoire de réchauffement qui dépend du niveau d’ambitions des contributions nationales proposées lors de la COP21, qu’il est urgent de rehausser, ce que prévoit le dialogue de Talanoa adopté à la COP23. Pour l’heure, l’ensemble des efforts mis sur la table nous place, selon le dernier « Emissions Gap Report » publié par l’ONU Environnement (anciennement le PNUE) sur une trajectoire +3,2°C à horizon 2100. Le document considère d’ailleurs comme peu probable le respect de la trajectoire 1,5°C. En effet, il faudrait pour cela réduire de 45 % les émissions mondiales d’ici 2030 et passer aux émissions négatives à partir de 2050, alors que les émissions continuent d’augmenter. Pour mémoire, l’engagement que la Chine a pris lors de la COP21 est d’atteindre son pic d’émissions vers 2030. Difficile d’imaginer une telle réduction de 45% des émissions si le premier pollueur mondial continue d’accroitre les siennes jusqu’à la date butoir… Les pays européens ne se sont pas non plus illustrés par leur unité sur le sujet puisque le plan de rehaussement des émissions 2030 a été rejeté par l’Allemagne et la Pologne, qui accueille la conférence pour la troisième fois sur son sol – et tire 80% de son électricité du charbon.

Les financements doivent également franchir un cap. Si le caractère minimal du montant de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 a été arrêté à la COP21, l’abondement de l’enveloppe se révèle difficile. La Banque mondiale, qui s’est démarquée par sa volonté de stopper le soutien aux projets pétroliers (après avoir abandonné le charbon il y a quelques années), a aujourd’hui annoncé 200 milliards de financements pour la période 2021-2025. C’est un signal fort envoyé en ouverture de la COP24, la Banque mondiale déclarant dans son communiqué attendre que la communauté internationale « fasse de même ». Cela correspondrait à 40% des 100 milliards annuels. Reste aux gouvernements, aux fondations et aux autres institutions financières et banques de développement d’apporter le reliquat, dans un contexte d’incertitude en partie liée à la décision américaine de sortie des Accords de Paris. Si la participation et le rôle des acteurs non-étatiques ont crû ces dernières années, les États ne peuvent se désengager du processus sans risquer une forme de dépolitisation délétère.

La transition écologique impopulaire ?

L’une des questions fondamentales, prise en considération par le GIEC, reste le caractère « juste » de la transition. Aujourd’hui, nombre de dirigeants dits « populistes » qui ont accédé aux responsabilités se montrent peu enclins à prendre la problématique climatique à bras le corps, quand ils n’y sont pas tout simplement farouchement opposés : ainsi de Donald Trump qui déclarait lundi 26 novembre, lors de la présentation d’un rapport sur l’impact du changement climatique sur l’économie américaine, « je n’y crois pas ». En France, le mouvement des gilets jaunes dénonce les taxes sur le carburant en évoquant la justice sociale quand le gouvernement déclare vouloir lutter contre le changement climatique et éviter de laisser les générations suivantes hériter du fardeau. Néanmoins, la gouvernance climatique reconnait depuis le Sommet de Rio de 1992 la nécessité de préserver la justice intergénérationnelle, mais également la justice intragénérationnelle, exigence formulée à l’époque par les pays du Sud qui ne voulaient pas voir sacrifier leur développement sur l’autel du climat. Aujourd’hui, cet argument est repris massivement par les classes populaires en France, qui se sentent étranglées par la fiscalité, la taxe carbone n’en constituant qu’un exemple. Le même rejet a été observé au Brésil avec l’élection à la présidence de la République de Jair Bolsonaro qui n’a pas fait mystère de son manque de considération pour les problématiques environnementales et climatiques.

Le moment est donc critique, car aucune transition ne peut se mener sans une adhésion a minima, tributaire d’une forme de justice sociale. Si les dirigeants « populistes » se détournent de la lutte contre le changement climatique et que, dans le même temps, ceux que l’ont dit « progressistes » parviennent, par leurs politiques, à en détourner leur population, les conséquences à long terme pourraient être dramatiques, et pas seulement pour le processus de transition énergétique.
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