ANALYSES

Rapport du GIEC : la lutte contre le réchauffement climatique est-elle perdue d’avance ?

Interview
11 octobre 2018
Le point de vue de Bastien Alex


Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a rendu un nouveau rapport toujours plus alarmant lundi 8 octobre. Que faut-il en retenir ? Si la majorité des chefs d’État semblent avoir pris la mesure de la menace que fait peser le réchauffement climatique sur notre planète, les actions concrètes semblent avoir du mal à se mettre en place. Où en sommes-nous en matière de gouvernance mondiale sur la question de la lutte contre le réchauffement climatique et avec quelle efficacité, alors que les chefs d’État font des promesses qu’ils ne semblent pas capables de tenir ? L’avenir du climat peut-il se jouer en dehors des négociations internationales ? Le point de vue de Bastien Alex, chercheur à l’IRIS.

Que doit-on retenir du rapport spécial du GIEC ?

Rappelons avant tout que ce rapport avait été commandé lors de la COP21 afin d’explorer la crédibilité et les impacts du scénario +1,5°C en raison de l’inscription de cet objectif dans l’Accord de Paris. Globalement, le document n’apporte pas de grande nouveauté. Il confirme largement le diagnostic établi par le GIEC et permet principalement de différencier les impacts des trajectoires de réchauffement de 1,5°C et de 2°C de la température moyenne à la surface de la terre à l’horizon 2100 : la montée du niveau des mers sera supérieure de 10cm  dans le cas d’une augmentation de 2°C par rapport à une hausse de 1,5°C ; la fonte complète de la banquise en été pourrait survenir une fois par décennie (contre une fois par siècle à +1,5°C) ; 99 % des récifs coralliens pourraient disparaitre (contre 70% à 90% dans le cas du scénario +1 ,5°C) ; les impacts sur les rendements agricoles seront plus forts notamment en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine ; les épisodes climatiques extrêmes seront plus intenses (pluies torrentielles et vagues de chaleur).

Ces précisions permettent d’apprécier les retombées d’un réchauffement limité à 1,5°C bien qu’il faille garder à l’esprit que les engagements pris par les États nous placent sur une trajectoire de réchauffement de plus de 3°C. Pour y parvenir, le rapport réaffirme la nécessité d’une transformation forte et en profondeur dans les dix ans à venir. Ainsi, le GIEC prévoit que nous devrons réduire de 45 % nos émissions mondiales d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Il faudra alors extraire les émissions résiduelles via les techniques de captation et de stockage du carbone qui n’ont jamais été déployées ni testées à grande échelle. Dernière précision, ce rapport spécial sera suivi de deux autres documents en 2019, un sur les océans et la cryosphère et l’autre sur les terres émergées et l’occupation des sols.

Si la majorité des chefs d’État, dont Emmanuel Macron, semblent avoir pris la mesure de la menace que fait peser le réchauffement climatique sur notre planète dans leur discours, les actions concrètes semblent avoir du mal à se mettre en place. Où en sommes-nous en matière de gouvernance mondiale sur la question de la lutte contre le réchauffement climatique et avec quelle efficacité ?

La gouvernance mondiale sur le climat connaît une phase de transition importante depuis l’adoption de l’Accord de Paris en 2015. Après la ratification du texte, moment politique, les négociations sont entrées dans une phase plus technique de définition du cadre d’application de l’accord. Cela a eu pour effet de démobiliser les exécutifs : les chefs d’État et de gouvernements sont moins nombreux, voire absents des COP, donnant l’impression d’une dépolitisation, et surtout de se reposer maintenant sur les acteurs non étatiques, des collectivités territoriales aux entreprises en passant par les ONG.

Aujourd’hui, on assiste donc à la multiplication des conférences à l’initiative d’acteurs non étatiques, fait visible au mois de septembre avec le Global Climate Action Summit (San Francisco) et le 2e One Planet Summit, où chaque partie prend des engagements. À titre d’exemple, Jerry Brown, gouverneur de Californie a annoncé la ratification d’une loi ambitionnant d’ici 2045 de produire 100% d’électricité d’origine renouvelable contre 32% aujourd’hui. La Banque mondiale a, pour sa part, prévu de consacrer 1 milliard de dollars au développement de solutions de stockage de l’énergie pour pallier l’intermittence des renouvelables. Si, d’une part, il est fondamental que la transformation soit portée par des acteurs non étatiques comme les villes, principales émettrices de CO2, on ne peut, d’autre part, faire l’économie de l’implication des États dans la définition de la direction à prendre, du niveau d’ambitions et du cadre réglementaire indispensable à l’orientation d’investissements colossaux. L’enjeu est désormais de (re)trouver un équilibre, car la transformation nécessite l’implication des deux. La COP 24 de Katowice (prévue le lundi 3 décembre 2018) sera aussi déterminante de ce point de vue, car les États devront décider de la marche à suivre pour rehausser leurs ambitions en termes de réduction des émissions d’ici 2023 comme le prévoit l’Accord de Paris.

Alors que Donald Trump a annoncé la sortie des États-Unis de l’accord de Paris en juin 2017, que d’autres potentiels chefs d’État menacent d’en faire autant s’ils accèdent au pouvoir (Bolsonaro au Brésil), quelles menaces font-ils peser sur l’avenir de la lutte contre le réchauffement climatique ? L’avenir du climat peut-il se jouer en dehors des négociations internationales ?

C’est aujourd’hui la question que nous nous posons. On observe dans le monde, des États-Unis au Brésil en passant par les Philippines, une résurgence conservatrice dite « populiste », peu encline à la lutte contre le changement climatique et aux problématiques environnementales. Néanmoins, il faut distinguer la position des exécutifs de la dynamique de la société, car au final, nous avons plus besoin de la société civile étasunienne que de l’administration Trump sur ces sujets. Toutefois, il reste difficile de déterminer quel sera l’impact à long terme de ces hésitations des États dans l’engagement envers le respect de l’Accord de Paris. Par exemple, l’Australie a récemment renoncé à l’idée d’inclure dans une loi les objectifs de l’Accord de Paris tout en s’engageant à ne pas en sortir, signe que tourner le dos à cet accord serait préjudiciable au pays et à son influence régionale notamment.

Au-delà de ces dynamiques différentes entre gouvernements et acteurs non étatiques, la question d’ensemble reste celle du schisme avec le réel, soit de l’indépassable écueil de l’incohérence : tant que des décisions prises en dehors des sommets sur le changement climatique iront à l’encontre des objectifs qui y sont définis, la lutte contre le changement climatique ne pourra être totalement efficace. Il faut une transformation profonde, complète et durable, et cela ne peut se décider seulement lors de négociations internationales dont la règle est l’unanimité. C’est un processus lent, long et profondément politique dans le cadre duquel s’expriment des rapports de force complexes. En témoignent les négociations au sein de l’Union européenne sur le rehaussement des objectifs que certains États comme l’Allemagne et la Pologne ne veulent pas annoncer avant la COP24, alors que cela pourrait constituer un signal positif.

Globalement, c’est la question de la compatibilité du capitalisme mondialisé et financiarisé avec des politiques ambitieuses de lutte contre le changement climatique et de réduction des inégalités qui est posée, évoquée par Nicolas Hulot au moment de son départ du ministère de la Transition écologique. Cela amène d’ailleurs à distinguer l’Anthropocène, période géologique où la transformation du monde est portée par des processus anthropiques, du Capitalocène, car davantage que l’Homme, c’est le mode de production de richesses qu’il a choisi qui hypothèque son avenir.
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