ANALYSES

Les risques de la relance de l’endettement en Afrique

Tribune
2 mars 2018


Pour l’année 2018, la Banque africaine de développement prédit une croissance de 1,9 % en Afrique australe et de 2,2 % en Afrique centrale, tandis qu’elle serait de 3,4 % en Afrique de l’Ouest et du Nord. En Afrique de l’Est, là où la dynamique est la plus forte, la croissance serait de 5,7 %, soit plus que les autres régions du monde mis à part l’Asie. Cet optimisme relatif affiché pour nombre de pays est cependant modéré par les institutions financières internationales qui estiment que la situation financière s’est dégradée pour nombre de pays, singulièrement depuis 3 ans, et qu’elle mettra du temps à se redresser. Les niveaux d’endettement externe comme interne augmentent au point de fragiliser les équilibres macroéconomiques et de menacer les perspectives de croissance à moyen terme. Et cette dette se focalise sur un prêteur principal : la Chine.

Le stress de l’endettement

En janvier 2017, le Mozambique, le premier, s’est déclaré en défaut de paiement. Le gouvernement a été contraint de dévoiler l’existence d’une dette occultée de 1,8 milliard d’euros, souscrite par les entreprises publiques. En août 2017, ce fut le Congo dont la dette a été réévaluée à 120 % du PIB (contre 77 %) par le FMI, après de semblables dissimulations. La situation n’est guère meilleure au Nigeria où 60 % des recettes de l’État vont au paiement du service de la dette, pénalisant les investissements publics et générant d’importants arriérés intérieurs. Le secteur bancaire compte un volume croissant de créances improductives. Au Ghana, le gouvernement du président Nana Akufo-Addo, installé en janvier 2017, doit assumer la dette laissée par son prédécesseur, soit environ 80 % du PIB. Pour restructurer le passif certains des projets énergétiques conclus antérieurement ont été renégociés. L’Angola, deuxième économie pétrolière au sud du Sahara, est également vulnérable, avec une dette publique élevée, de forts besoins de financement et des recettes d’exportations en forte baisse depuis 2014. Ces pays, auxquels il faut ajouter la Zambie, pourraient rencontrer dans les prochains mois de grandes difficultés à rembourser leurs dettes externes contractées auprès des marchés. Selon l’agence de notation Moody’s, le risque de stress financier va s’accroître avec le « pic de maturité » de la dette internationale au début de la prochaine décennie, les emprunts extérieurs devant être remboursés.

La Chine, premier créancier

L’Empire du Milieu est aujourd’hui le principal créancier de nombreux États africains. Près de 70 % de la dette publique bilatérale camerounaise est détenue par Pékin. Même situation au Kenya où, en 2016, la Banque mondiale a pointé du doigt l’appétit du pays pour les prêts chinois. Entre 2010 et 2014, ils ont augmenté de 54 %, selon Business Daily.
Pour couvrir des besoins en matières premières, mais également pour élargir la gamme de ses partenariats économiques et commerciaux, la Chine a intensifié ses relations avec l’Afrique. Dans le même élan, le pays est devenu le plus important contributeur bilatéral au financement du développement du continent, en développant une offre de financement taillée sur mesure pour le continent. La China Exim Bank, a ainsi mis en œuvre une approche baptisée « financement angolais ». Elle repose sur un accord conclu avec un gouvernement africain pour un programme d’infrastructures financé sur des prêts chinois et réalisé principalement par des firmes chinoises. Un tel accord donne le plus souvent, en contrepartie du prêt, à une compagnie nationale chinoise la possibilité d’investir comme opérateur dans l’exploitation de ressources pétrolières, gazières, minières ou agroalimentaires.

Un retour en arrière

Globalement, la dette publique du continent africain se situait à 45 % du PIB fin 2017. Dans le rapport Africa Pulse 2017 de la Banque mondiale, 11 des 35 pays à faible revenu que compte l’Afrique subsaharienne sont classés comme étant à haut risque de surendettement.
Dans un contexte de baisse des cours des matières premières, de stagnation de l’aide publique au développement et d’un recours accru à la dette pour financer leurs infrastructures et leurs secteurs sociaux, faute d’avoir opéré une réforme fiscale d’envergure, de nombreux États africains se sont tournés vers les marchés internationaux des capitaux afin de répondre à leurs besoins de financement. Le pic d’émission des dettes est intervenu en 2014 et a coïncidé avec les premières difficultés des émetteurs souverains. Certains gouvernements ont commencé à émettre des obligations libellées en devises étrangères qui ensuite augmentent le poids de la dette en cas de dépréciation de la monnaie locale. Les prêts concessionnels (prêts accordés à des conditions plus favorables que celles du marché) n’ont cessé de baisser dans le stock de la dette extérieure de ces États : ils sont passés de 42,4 % sur la période 2006-2009 à 36,8 % sur 2011-2014. En même temps, les États ont commencé à emprunter à certains pays émergents à des taux d’intérêt plus élevés et avec un niveau de concessionnalité moindre par rapport aux emprunts financés par les banques multilatérales et régionales et les agences nationales de développement. Résultat : une accumulation de dettes à des conditions commerciales. Et une extrême vulnérabilité : 32 pays africains sont aux prises des fonds vautours qui rachètent les dettes à bas prix avant de demander en justice à l’État concerné le remboursement de la dette à sa valeur initiale. Des procès que les fonds vautours gagnent, dans le cas africain, 3 fois sur 4.
Cette situation inquiète. Elle fait penser à la situation qui prévalait avant la dynamique enclenchée par l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), initiée en 1996 sous l’égide du FMI et de la Banque mondiale et conçue comme une solution définitive aux crises répétées de surendettement des pays africains. D’ores et déjà, plusieurs États, tels que le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Ghana, le Rwanda et le Kenya ont fait le choix de repasser sous les fourches caudines du FMI et d’entrer dans des programmes de gestion drastique pour maintenir une trajectoire viable, pour préserver leur crédibilité et un accès à la finance internationale, au risque de mettre en cause leurs programmes sociaux et ceux, vitaux, tournés vers l’insertion des jeunes.
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