ANALYSES

Géo-ingénierie solaire : une deuxième expérience révélée par la presse

Interview
7 mars 2023
Le point de vue de Marine de Guglielmo Weber


Le MIT Technology Review a révélé cette semaine qu’une expérience de géo-ingénierie solaire s’était tenue au mois de septembre au Royaume-Uni. Cette expérience, à l’occasion de laquelle une petite quantité de soufre a été diffusée dans la stratosphère par ballon, s’est tenue en toute confidentialité, et en l’absence de tout encadrement juridique. Le point avec Marine de Guglielmo Weber, chercheuse au sein du programme Climat, Énergie et Sécurité de l’IRIS.

Quelle est la nature de l’expérience qui s’est tenue au Royaume-Uni ?

Il s’agit d’une expérience de géo-ingénierie solaire, également appelée gestion du rayonnement solaire. Ce domaine de recherche est fondé sur l’idée selon laquelle nous pourrions atténuer le réchauffement planétaire, ce indépendamment de toute réduction des gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère, en augmentant la proportion de lumière solaire réfléchie dans l’espace. La technique la plus étudiée est la pulvérisation de dioxyde de soufre dans la stratosphère, une technique qui cherche à imiter l’effet de refroidissement qui suit les grandes éruptions volcaniques. Cependant, cette technique est extrêmement controversée en vue des potentiels effets indésirables qu’elle pourrait entraîner, notamment sur les régimes de précipitations. L’expérience en question a été menée en septembre, au Royaume-Uni par le chercheur Andrew Lockley, en collaboration avec la société European Astrotech. Lors de cette expérience un ballon, nommé SATAN (Stratospheric Aerosol Transport and Nucleation) a été lancé à haute altitude, et a libéré plusieurs centaines de grammes de dioxyde de soufre dans la stratosphère. Le but était avant tout d’évaluer et de tester le matériel, en vue d’un éventuel déploiement futur d’une opération de géo-ingénierie solaire à grande échelle.

D’autres acteurs ont-ils procédé à des expériences de ce type ?

Des opérations de géo-ingénierie solaire ont, en effet, été menées ces derniers mois par l’entreprise Make Sunsets. Cette start-up américaine a commercialisé l’injection d’aérosols stratosphérique sous la forme de « crédits de refroidissement » (cooling credits), permettant le financement des aérosols par des particuliers. Ces opérations avaient d’ailleurs été dénoncées par le gouvernement mexicain, mais aussi par la communauté des chercheurs en sciences atmosphériques et en géo-ingénierie solaire de manière unanime. L’expérience menée par Andrew Lockley et Astrotech est sensiblement différente, puisqu’il s’agit moins de commercialiser la pratique que de relever des observations pour une mise en œuvre future. À ma connaissance, ce sont les seuls cas de déploiement de géo-ingénierie solaire sur le terrain. Cependant, il faut rester vigilant sur ce point à deux égards : d’une part, au regard de l’absence d’encadrement juridique de la géo-ingénierie solaire, et de la faible visibilité médiatique de ces initiatives, qui cherchent dans une certaine mesure à éviter les controverses, il est possible que d’autres déploiements soient menés de manière confidentielle ; d’autre part, ce risque d’un manque de transparence des initiatives est d’autant plus fort concernant des États qui seraient susceptibles d’entrer dans des logiques de compétition technologique vis-à-vis des États occidentaux, et notamment vis-à-vis des États-Unis, dont le gouvernement finance directement les recherches en géo-ingénierie solaire.

Doit-on en conclure que la géo-ingénierie solaire est un domaine en plein essor ?

En effet, jusqu’à très récemment, la géo-ingénierie solaire était exclusivement une affaire de modélisation numérique. Des initiatives de tests sur le terrain, dans le cadre des projets SPICE (Stratospheric Particle Injection for Climate Engineering) et SCOPEX (Stratospheric Controlled Perturbation Experiment), avaient par ailleurs été interrompues du fait de controverses publiques. La concrétisation récente de deux déploiements sur le terrain, indépendamment de toute concertation publique, témoigne d’une tentation grandissante d’intervention sur l’atmosphère pour répondre au contexte d’urgence climatique. Cette tentation doit faire l’objet d’une vigilance particulière par les institutions publiques nationales et internationales, et agir comme un déclencheur pour des discussions, et à terme des mesures, sur l’encadrement juridique des techniques. Cette dynamique doit être appréhendée dans le cadre plus global d’une multiplication des financements et des initiatives de recherche en géo-ingénierie solaire. La Degrees Initiative, par exemple, a annoncé la multiplication par deux des équipes de recherche chargées d’étudier l’impact de la gestion du rayonnement solaire sur les pays du Sud, l’objectif étant de collecter suffisamment de données pour éclairer une prise de décision politique sur le sujet. Cette prise de décision, cependant, est fortement susceptible d’être devancée par un déploiement unilatéral à grande échelle par un acteur privé ou public, avec, pour risques, l’émergence de tensions et de conflits entre les États autour de l’atmosphère comme bien commun. De telles tensions se sont déjà manifestées autour des pratiques de modification de la météo par ensemencement de nuages. En 2018, par exemple, un général iranien accusait publiquement Israël de perturber les précipitations et de contribuer aux changements climatiques en ensemençant les nuages sur son propre territoire. Dans cette perspective, on ne peut qu’imaginer les conflits qui pourraient émerger d’une modification globale de l’atmosphère.

 
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