ANALYSES

« En Turquie, la stratégie de la tension d’Erdogan a fonctionné »

Presse
2 novembre 2015
Interview de Didier Billion - L'Opinion
Quelle est votre analyse de la victoire du parti du président Erdogan ?
Le président Erdogan fait preuve d’un sacré flair politique ! Force est de constater que la stratégie de la tension qu’il a choisi a marché. Depuis treize ans, il gagne toutes les élections, même s’il n’avait pas eu la majorité absolue lors des législatives de juin. Mais son parti aura quand même remporté cinq législatives, deux municipales, une présidentielle et deux référendums. L’AKP est une machine à gagner les élections, avec des militants très présents sur le terrain. Un véritable bulldozer qui a bénéficié d’un quasi-monopole dans les médias. Il faut toutefois noter que presque toutes les grandes villes sont dirigées par l’AKP et, malgré la corruption et l’affairisme, elle sont plutôt bien gérées. L’AKP a également instauré un système d’aides sociales, qui profitent aux pauvres, par exemple avec des livraisons de charbon pour se chauffer en hiver.

Comment l’électorat a-t-il évolué depuis les élections de juin, qui avait abouti à un blocage politique ?
L’AKP progresse de près de neuf points. Elle mord essentiellement sur les électeurs du MHP (droite radicale) qui recule de plus de quatre points : Erdogan a donc réussi à capter l’électorat le plus nationaliste. Elle récupère également des voix sur le HDP pro-kurde, qui lui aussi est en recul, mais de deux points. Ce parti, qui avait percé en juin, n’est pas seulement un parti de gauche – comme on l’a souvent présenté en Europe – car il recueille aussi les suffrages des grandes familles kurdes dans l’Est du pays, qui sont plutôt conservatrices. Une partie de cet électorat, qui avait fait défection en juin dernier, est visiblement revenue dans le giron de l’AKP, pour laquelle elle votait traditionnellement. Il est important que le HDP ait pu conserver des élus, en franchissant de justesse la barre des 10%. Quant au parti républicain CHP, il reste stable à 25%. Toutes les grandes tendances politiques de la Turquie sont donc représentées au Parlement. C’est une bonne chose, même si la victoire de l’AKP et d’Erdogan peut faire craindre pour les libertés démocratiques.
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