ANALYSES

Réveil arabe et condition féminine

Presse
2 décembre 2013

Les mouvements populaires qui traversent le monde arabe posent la question de la condition féminine. Un nombre significatif de femmes ont pris une part active dans l’écriture de cette page de l’Histoire. La femme arabe s’est départie des pesanteurs internes et autre regard orientaliste qui la cantonne trop souvent dans un objet de type sensuel et passif. Certaines d’entres elles sont mêmes devenues des figures emblématiques du « printemps arabe » : Tawakkul Karman, en première ligne dans la contestation contre le Président yéménite Ali Abdallah Saleh, est la première femme arabe à avoir reçu le Prix Nobel de la Paix. Aujourd’hui, le rôle et le statut de la femme dans les sociétés arabes post-révolutionnaires constituent des enjeux en soi, liés en particulier à l’attitude des islamistes.


La transition démographique reflète l’évolution de la place de la femme. Le régime traditionnel de nuptialité se caractérisait dans l’ensemble par un mariage précoce pour les femmes (18 à 21 ans, 23 pour la Tunisie) et plus tardif pour les hommes (25 ans), par un écart d’âge important entre époux, par une forte endogamie (surtout dans les campagnes, du fait des mariages entre cousins maternels et paternels notamment), par l’existence de la polygamie et par une instabilité des unions (répudiation, divorce et veuvage). Ces données ont été remises en cause par une sorte de  « révolution matrimoniale », avec de grandes disparités nationales et locales. Pour nombre de femmes, la transition démographique s’est traduite par une transformation de leur condition. La femme était vouée, au sortir de l’adolescence, au mariage et à la fécondité. Aujourd’hui, l’accès à l’école et à l’enseignement supérieur se conjugue avec un allongement de la période de célibat.


La réalité actuelle est donc contrastée. Ainsi, dans un rapport récent, la Banque mondiale (Opening Doors: Gender Equality and Development in the Middle East and North Africa, 2013) souligne un paradoxe : d’un côté, les femmes ont vu leur condition s’améliorer sensiblement (elles sont en meilleure santé, elles sont nettement plus instruites et elles sont même désormais plus nombreuses que les hommes à faire des études supérieures) ; de l’autre, un ensemble de facteurs économiques, juridiques et culturels continuent de faire obstacle à l’accès des femmes à certains segments de l’espace public et à nombre de secteurs du marché du travail. Si la difficulté à conjuguer carrière professionnelle et vie de famille est loin d’être propre aux femmes arabes, seule une sur quatre a un emploi ou est en recherche d’emploi, soit la moitié du taux observé à l’échelle mondiale. Le taux de chômage grimpe jusqu’à 40 % pour les femmes.


Quoi qu’il en soit, la condition féminine dans le monde arabe ne saurait se résumer aux clichés de la femme arabe, victime de l’autorité patriarcale, écrasée par le poids des traditions et des religions. Le regard occidental la cantonne trop souvent dans une fonction d’objet sensuel ou passif, incarné dans les figures inversées et complémentaires de la « danseuse orientale » et de la « femme voilée ». Un féminisme arabe existe pourtant depuis la fin du XIXe siècle (Qasim Amin, Huda Shaarawi ou encore Fatima Mernissi l’ont démontré) et la naissance des États arabes post-coloniaux s’est accompagnée par des mouvements d’émancipation- relative mais réelle- de la femme (dans la Tunisie bourguibiste, mais aussi en Algérie, en Libye, en Egypte et dans l’ensemble des pays du Levant).


Aujourd’hui, la place des femmes dans les mutations politiques depuis 2011 reflète bien cette réalité contrastée. Les femmes ont sans conteste participé à cette page de leur propre histoire. Elles se sont départies des pesanteurs sociales. Tawakkul Karman, qui a été en première ligne dans la contestation contre le président yéménite Ali Abdallah Saleh, a reçu le Prix Nobel de la paix 2011 ne saurait masquer les actes de rejet (au Yémen) et de violence (agressions sexuelles sur la Place Tahrir) commis par des forces conservatrices ou contre-révolutionnaires.


Quoiqu’il en soit, le rôle et le statut de la femme dans les sociétés arabes post-révolutionnaires donnent un indice sur la nature complexe du « réveil arabe ». Le développement (économique et social) des sociétés arabes dépend en partie de l’amélioration de la condition féminine. C’est notamment à cette aune que l’Histoire jugera les Tunisiens, les Egyptiens, les Libyens, et les autres…

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