ANALYSES

Que vient faire Jean-Yves Le Drian à Alger ?

Kader A. Abderrahim est chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Il est spécialiste du Maghreb et de l’islamisme et Maître de conférences à Sciences-po Paris.


Quels sont les objectifs de la visite du ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian à Alger ?



La visite de Jean-Yves Le Drian était prévue depuis plusieurs mois. La France veut informer ses partenaires algériens de son intention d’installer un centre d’écoute au nord du Mali, non loin de la frontière algérienne. Par courtoisie, le ministre français de la Défense souhaite informer son homologue algérien, le Premier ministre et probablement le président de la République.  Le voyage était prévu depuis longtemps, mais la campagne électorale et les élections ont retardé la visite. Elle s’inscrit dans un dispositif général de lutte contre le terrorisme et comme la France avait lancé l’opération militaire au Mali, elle se trouve être au premier plan. Elle ne souhaite pas se fâcher avec ses partenaires algériens qui jouent un rôle très important dans la région et avec lesquels l’échange d’informations et de renseignements dans la lutte contre le terrorisme est très important. Il ne faut pas ménager l’Algérie, car sans la coopération, la lutte contre le terrorisme devient très difficile dans cette région du monde.


L’Algérie peut-elle craindre cette base d’écoute ?



La France veut placer une base d’écoute dans le nord du Mali pour intercepter des conversations entre les différents groupes islamistes ou les séparatistes Touareg afin d’anticiper leurs actions. Compte tenu de la position géographique de la base, non loin de la frontière algérienne,  la France a à cœur d’en informer ses partenaires algériens.  La visite du ministre français va également avoir pour objectif de rassurer les Algériens et leur faire comprendre que cela ne les vise pas. Il ne s’agit pas d’écouter les conversations algériennes. Mais je ne vois pas comment l’Algérie pourrait s’opposer à l’installation de cette base d’écoute et, en même temps, je ne vois pas non plus comment les Français peuvent se passer de la coopération de l‘Algérie dans le domaine de lutte contre le terrorisme. Je crois donc que c’est dans  l’intérêt de tout le monde.


L’Algérie pourrait-elle demander le droit d’écouter aussi les conversations qui pourraient être interceptées par les Français ?



Je ne sais pas du tout. La France va sans doute faire des propositions à l’Algérie, pour que tout cela soit acceptable mais dans la mesure où ils sont partenaires, ils ont tous deux intérêt à trouver un compromis.


Quelles sont ses arrière-pensées politiques ?



Pour la France, il s’agir de préserver et de défendre ses intérêts. Pour l’Algérie, il s’agit autant que faire se peut de continuer à peser sur ce qui se passe au Sahel, notamment sur le dossier qu’elle connait bien, et qui est celui des Touaregs. Une partie des Touaregs a basculé dans le terrorisme et une autre partie a plutôt des revendications séparatistes et culturelles. Mais pour bien défendre ses intérêts, il faut avoir les bonnes armes et la bonne compréhension de ce qui se passe sur le terrain. C’est là qu’intervient la politique et que les deux pays savent qu’ils ont besoin l’un de l’autre.

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