ANALYSES

La Tunisie vers un mieux ?

Interview
8 janvier 2014
Le point de vue de Béligh Nabli
Peut-on dire que la situation politique en Tunisie s’est améliorée ces derniers mois ?

Trois ans après la chute du « régime Ben Ali » et le déclenchement du « réveil des peuples arabes », la Tunisie confirme sa mue politique, certes difficile et heurtée, mais réelle. Le pays vit aujourd’hui une accélération de son processus de transition constitutionnelle, qui intervient après une grave crise politique (paralysie de l’Assemblée constituante suite à l’assassinat, le 25 juillet 2013, de Mohamed Brahmi, un député de l’opposition tué par balles comme l’avait été avant lui une autre figure de l’opposition de gauche, Chokri Belaïd) sur fond de dégradation de la situation sécuritaire, économique et sociale. L’actuel « déblocage politico-institutionnel » est le produit d’une combinaison d’éléments externes (renversement du président Morsi issu des Frères musulmans en Egypte, pression croissante des chancelleries occidentales en faveur d’une sortie de crise) et internes (double assassinats politiques, actes terroristes de forces « salafo-djihadistes » et affirmation des contre-pouvoirs de l’opposition et de la société civile) qui ont forcé les islamistes d’Ennahda à faire preuve de plus de pragmatisme et d’ouverture (non sans arrière pensée stratégique et électorale). Une posture qui a permis au « dialogue national » (mené en particulier par les syndicats des salariés et du patronat : l’UGTT et l’UTICA) de s’ouvrir et d’aboutir concrètement à l’avènement d’un nouveau gouvernement restreint – d’« indépendants » ou du moins de personnalités non encartées – dirigé par Mehdi Jomaa, chargé de préparer les prochaines élections (libres et transparentes) législatives et présidentielle. En attendant, l’Assemblée nationale constituante a commencé à adopter les premiers articles de la future Constitution.

Que penser des dispositions de la constitution déjà adoptées ? Peut-on les considérer comme une avancée majeure pour le pays ?

Les premières dispositions adoptées témoignent de l’esprit de compromis qui tend (enfin) à s’imposer au sein de la classe politique. Le Contrat social de la Tunisie moderne se dessine. Un Contrat social à la fois progressiste et conservateur, à l’image de la société tunisienne. L’équilibre qui prend forme n’en demeure pas remarquable au regard du rapport de force politique au sein de l’Assemblée constituante, largement favorable aux islamistes…
Outre la consécration de libertés et droits fondamentaux (individuels et collectifs), dont l’égalité entre les citoyens et les citoyennes (« égaux devant la loi sans discrimination »), un article topique mérite ici d’être souligné : « L’Etat est le gardien de la religion. Il garantit la liberté de conscience et de croyance et le libre exercice du culte ». D’un côté, le principe de la liberté de conscience est consacré (ce qui en soi est exceptionnel dans le monde arabe) et la charia (ou Loi islamique) n’est pas « constitutionnalisée » ou reconnue comme source formelle du droit civil tunisien, l’Etat tunisien est « civil » ; de l’autre, l’Etat tunisien, pourtant défini comme civil, est amené à exercer une fonction ambigüe de « protecteur du sacré ».

Quels sont les prochains enjeux pour la Tunisie ?

Outre la menace terroriste qui continue de planer, les enjeux sont aussi d’ordre économique et social. Le sentiment de « désenchantement démocratique » et un discours populiste (ou « anti-classe politique ») gagnent le peuple tunisien. Y répondre suppose des résultats concrets en faveur de l’amélioration de la condition économique et sociale des plus défavorisés (en particulier dans les régions de l’intérieur et dans les banlieues populaires de Tunis), mais aussi des classes moyennes. Le niveau de l’inflation atteint de telles proportions que les avancées politiques et démocratiques risquent d’être annihilées par les défaillances économiques et les régressions sociales.
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