ANALYSES

Du populisme au libéralisme économique ou les habits neufs d’Ahmadinejad

Tribune
23 décembre 2010
De plus, les sanctions, notamment financières, perturbent le commerce extérieur iranien. L’économie iranienne n’est toutefois pas aux abois. Le commerce extérieur de l’Iran s’est réorienté sur le Moyen-Orient et l’Asie, l’Irak, l’Afghanistan, l’Inde et l’Indonésie sont maintenant devenus les 4 principaux clients des exportations non pétrolières de l’Iran. Egalement, du fait de la hausse du prix du pétrole de 2002 à 2008, l’Iran disposerait de près de 100 milliards de dollars de réserves en devises tout en restant faiblement endetté (la dette extérieure étant proche de 10 % du PIB). En outre, la hausse du prix du pétrole depuis août 2010 pourrait relancer l’activité.

Il n’en demeure pas moins vrai que les tensions sociales restent fortes. L’inflation a officiellement ralenti passant de 21 % en 2008 à 10 % en mars 2010 mais la population reste persuadée que la hausse des prix est bien plus forte en réalité, ce sentiment pouvant s’expliquer par les fortes hausses de prix touchant des biens de consommation courante comme les cigarettes (+17 % en mars 2010 sur un an). Par ailleurs, selon le ministre du Travail lui-même, le taux de chômage est passé de 11 % en 2009 à 14,6 % en 2010. La suppression des subventions dans un tel contexte pourrait donc se révéler un pari bien audacieux. Le gouvernement a d’ailleurs prévu que 50 % des économies réalisées seraient reversées directement aux ménages les plus défavorisées. Toutefois, outre leur dimension inflationniste (puisque ces ménages bénéficieront d’une soudaine hausse de leurs revenus), il n’est pas sûr que ces mesures soient suffisantes à éviter une baisse du pouvoir d’achat en cas d’emballement inflationniste. Enfin, on peut également s’inquiéter d’une éventuelle dérive clientéliste dans la gestion de ces versements compensatoires.

Ces tensions sociales alimentent un débat politique intense entre les différentes factions à tel point que l’on a l’impression que le débat politique violent né de l’élection contestée d’Ahmadinejad en 2009, porte maintenant de plus en plus sur la situation économique. C’est une méthode qui permet aux conservateurs « modérés » de s’opposer aux conservateurs plus radicaux proches d’Ahmadinejad tout en ne donnant pas l’impression de s’opposer politiquement à ce dernier. Un député conservateur du Parlement, a ainsi proposé qu’Ahmadinejad soit écarté de la direction de la banque centrale d’Iran. Ce projet de suppression des subventions pourrait même conduire à une intensification de la lutte politique interne. Le mouvement vert d’opposition, dirigé par Hossein Moussavi, a ainsi développé tout un argumentaire économique, en prévision notamment des tensions sociales que pourrait entraîner la réduction des subventions. Ce mouvement estime notamment qu’une dégradation de la situation sociale suite à l’application de ce programme pourrait permettre de nouer une véritable alliance avec la classe ouvrière, dont le soutien avait fait cruellement défaut dans les mois qui ont suivi les évènements de juin 2009. Le président iranien, de son côté, continue de se poser en champion de la lutte anti-corruption et dénonce les mafias qui s’opposent à la réduction des subventions tout en menaçant ceux qui voudraient retirer un avantage politique des conséquences éventuelles de ce plan …

On peut donc se demander pourquoi le gouvernement iranien a pris un tel risque. Cela fait des années que l’on évoque en Iran la nécessité de réduire les subventions qui concernent de nombreux biens et services mais aucun gouvernement n’avait osé s’attaquer à cette question compte tenu des risques politiques induits. Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes de voir Mahmoud Ahmadinejad, qui s’est souvent distingué par ses prises de position anti-capitalistes, décider d’appliquer une mesure aussi libérale qui a d’ailleurs reçu la bénédiction du FMI.
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