ANALYSES

Les Houthis, une « habileté dans une logique de guerre asymétrique du faible au fort »

Presse
19 janvier 2024
Interview de David Rigoulet-Roze - RFI
Cela fait désormais un certain nombre de fois que les États-Unis frappent les positions des Houthis au Yémen. Quelles sont les cibles ?

Ce sont essentiellement des zones de tir, notamment des potentiels départs de missiles depuis différents endroits du Yémen. L’idée est d’essayer d’instaurer une forme de dissuasion, même si les Américains reconnaissent que, pour l’instant, le bilan est mitigé. Il y a probablement une forme d’érosion capacitaire en termes militaires, mais sur le fond, le problème demeure puisque les Houthis n’ont pas renoncé à effectuer des tirs.

Justement, il semble étonnant que les Houthis continuent de faire face à la grande puissance américaine. Comment l’expliquer ?

Il y a une dégradation capacitaire militaire, mais qui est relative parce qu’il ne s’agit pas de frappes massives. Les opérations américaines ont été extrêmement ciblées. La dernière visait une quinzaine de missiles, la précédente seulement quatre. On voit bien qu’il ne s’agit pas d’une campagne aérienne, c’est ça qui permettrait effectivement une dégradation importante des capacités de lancement des Houthis. Mais les Américains ne veulent pas se lancer dans un potentiel engrenage.

De la part des Houthis, il y a une habileté dans une logique de guerre asymétrique du faible au fort. Ils ne sont pas dans une logique d’affrontement militaire direct. Et d’ailleurs, les États-Unis ne le souhaitent pas non plus. Donc, les Houthis jouent sur cette ambiguïté qui leur permet de poursuivre leurs frappes et d’entretenir une insécurité avec un certain succès. Aujourd’hui, une grande partie du trafic est en train d’être détournée via le cap de Bonne-Espérance. Cela rallonge le voyage d’une dizaine de jours et double quasiment les coûts du fret. Ça a un potentiel impact sur une relance de l’inflation au niveau mondial.

Donc, un « petit groupe » dont on ne parlait pas tellement au niveau international, a réussi le tour de force d’avoir un impact global. Effectivement, les grandes puissances sont paradoxalement désemparées face à ce type de situation qui ne rentre pas dans un cadre conventionnel.

Y a-t-il un risque d’embrasement 

Selon l’argumentaire américain, leurs répliques militaires avaient pour but de favoriser la désescalade. Le problème, c’est qu’il y a une forme de piège parce que les répliques en question sont de facto une forme d’escalade. En même temps, il y a un impératif de restauration d’une certaine forme de sécurité pour le commerce international. Il y a un allongement de la chaîne de logistique, certaines entreprises en Europe, que ce soit Ikea, Tesla ou d’autres, ont déjà annoncé des retards. Les Chinois commencent maintenant à manifester leur inquiétude. Jusqu’à présent, ils s’étaient bien gardés de s’associer à la coalition qui a été montée par les Américains le 18 décembre dernier.

En effet, la Chine a appelé aujourd’hui à la fin du « harcèlement » des navires civils sur cette « importante voie de commerce international ». On sait que les Iraniens soutiennent les Houthis. Est-ce que Pékin serait en mesure de faire pression sur l’Iran pour mettre fin à cette situation 

On peut penser qu’il y aura sûrement une demande chinoise auprès de l’Iran, puisqu’on considère que les Houthis sont un mandataire de Téhéran sur le bord de la mer Rouge. Mais il n’est pas sûr que ça soit suivi d’effet. Parce que les Houthis ne sont pas totalement alignés sur l’Iran. Ils ne reçoivent pas des ordres directs de l’Iran. Ils s’ajustent effectivement aux intérêts géopolitiques iraniens en l’occurrence, puisqu’ils font partie de l’axe de ladite « résistance » à Israël, mais ils ont aussi leur propre agenda au Yémen. Dans le journal russe Izvestia, ils ont déclaré être prêts à protéger les bateaux russes et chinois. Mais le problème demeure, Pékin ne veut évidemment pas hypothéquer les flux logistiques à destination de l’Europe où sont les principaux clients de la Chine.

 

Propos recueillis par Oriane Verdier et Vahid Shamsodinnezhad pour RFI
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