ANALYSES

Mahsa Amini, un an après : « Le régime iranien est condamné à tomber »

Presse
15 septembre 2023
Interview de David Rigoulet-Roze - Watson

Comment le régime des mollahs aborde-t-il la commémoration de la mort de Mahsa Amini ?


Il y a une inquiétude perceptible chez les autorités. La répression qui s’est abattue durant plusieurs mois a été jugée efficace, même si sur le fond, rien n’est résolu. Dans la perspective de la commémoration de la mort de Mahsa Amini, il y a un renforcement de la logique répressive. Notamment à l’endroit des familles dont un ou plusieurs membres ont fait l’objet de poursuites dans les derniers mois de 2022, au plus fort de la contestation et de la répression. Les services de sécurité se rendent chez ces familles pour leur dire que l’intérêt de leurs enfants est de ne pas de recommencer à manifester. Cette intimidation concerne aussi des Iraniens de la diaspora, afin d’empêcher les manifestations organisées depuis l’étranger.


Les services secrets contactent par téléphone les activistes iraniens de la diaspora. Ils les appellent souvent en visioconférence en présence de leur famille vivant en Iran, convoquée au poste pour l’occasion. C’est une logique dissuasive basée sur la mobilisation d’une forme de terreur, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.


La police des mœurs a fait son retour en Iran courant juillet. Était-ce en prévision du premier anniversaire de la mort de Mahsa Amini ?


En fait, la police des mœurs, Gasht-e Ershad (littéralement en persan la «patrouille d’orientation») de son nom iranien, créée en 2005, n’a jamais été vraiment abolie. C’était une vraie fausse annonce, faite début décembre 2022. Cela faisait partie de la stratégie de communication du régime. L’idée, c’était à l’époque de lâcher momentanément du lest, tout du moins en apparence. Cela n’a pas duré. Mi-juillet on a vu réapparaitre les patrouilles de la police des mœurs. Elle a fait preuve d’un zèle renouvelé à l’endroit de celles qui étaient en infraction par rapport à la prescription sur le hijab établie en 1983. Des lieux privés tels des restaurants ou d’autres commerces ont même été fermés parce qu’ils n’imposaient pas la prescription du hijab à leur clientèle féminine.


Il est question aussi de durcir la loi sur le port du voile. Comment interpréter ce qui pour l’heure n’est encore qu’une menace ?


Ce projet de durcissement de loi sur le voile, lancé en début d’année 2023 est téléguidé par les ultraconservateurs et/ou ultra-radicaux. Il a fait l’objet de critiques, et pas seulement de la part de réformateurs et/ou modérés, mais aussi de la part de certains conservateurs bon tain, voire de certains membres du corps des gardiens de la révolution (CGRI), les pasdarans chargés de protéger le régime depuis sa fondation.


Ce projet de durcissement de la loi de 1983 intitulée «Loi de soutien à la famille et sur la promotion de la culture de la chasteté et du hijab» a été présenté au Majlis («parlement») le début août dernier, après avoir été débattu et reformaté presque à huis clos. Il comprend désormais 70 articles très circonstanciés et «criminalise» ce qui relevait auparavant d’un délit. Jusqu’à présent, les infractions donnaient lieu à un rappel à la loi ou à une simple amende, voire à une peine minimale. Là, l’objectif – maximaliste – du texte est de punir jusqu’à 10 ans de prison, quasiment au niveau d’un crime de sang ou d’un crime pour trafic de drogue.


Jusqu’au retour en force de la police des mœurs en juillet, le régime fermait-il les yeux sur les filles et femmes non voilées?


Non, il ne fermait pas les yeux. Mais, concrètement, le régime constatait que beaucoup des femmes qui avaient ôté le voile après la mort de Mahsa Amini ne l’avaient pas remis. Elles ont fait l’objet d’envois de SMS pour leur rappeler l’obligation de le porter, voire de poursuites judiciaires. En juin, il y aurait ainsi eu un million de SMS comme autant de mises en garde. Après, il y a également eu des sanctions financières, puis des interdictions d’accès aux services publics en l’absence de respect de cette prescription. Jusqu’à cette menace de durcissement inédit de la loi. Avec l’idée que le fait de ne pas porter le hijab est désormais assimilé à une posture de «nudité» publique. C’est une dérive quasi délirante, mais il faut bien comprendre encore une fois qu’il y a une frange «ultra» du régime qui entend faire prévaloir cette logique maximaliste.


Le régime est-il plus dur aujourd’hui qu’il ne l’était avant la mort de Mahsa Amini ?


Ce qui est sûr, c’est que le régime n’a jamais été autant arcbouté sur les fondements «fétichistes» de ce qui constitue son ADN, en premier lieu desquels le port du voile. Ces dernières décennies, il y avait épisodiquement eu un assouplissement dans le port du voile à la faveur de gouvernements plus ou moins «modérés» et/ou «réformateurs» même si la qualification est parfois sujette à caution. La gente féminine mettait des voiles plus colorés qu’on laissait souvent tomber négligemment derrière la nuque. C’était moins vrai quand les réformateurs étaient mis de côté au profit des « conservateurs ».


L’Iran actuel est-il plus proche de la Hongrie 1956 et de la Tchécoslovaquie 1968, des pays du bloc soviétique qui avait replongé dans le totalitarisme après des printemps passagers ? Ou est-il plus proche de ces mêmes pays de l’Est à la veille de la chute du mur de Berlin en 1989 ?


Je me méfie beaucoup de cette vision occidentalocentrée pour interpréter ce qu’il se passe dans des régions du monde très différentes. On dit toujours que comparaison n’est pas raison, même s’il n’est jamais inutile d’avoir des repères historico-politiques. Il faut bien voir que la situation en Iran est intrinsèquement inédite. Un processus révolutionnaire est toujours singulier. Je ne pense pas qu’on puisse l’assimiler à ce qui s’est déjà passé.


Mais dans la tête des Iraniens, ce régime est fini. Il a toujours les moyens de se maintenir, on le voit. C’est une course de fond à laquelle on assiste. Ce n’est pas une révolution stricto sensu, car les gens ne sont pas – encore – descendus massivement dans les rues comme en 1979 lors de la chute du Shah. C’est donc selon moi un processus révolutionnaire, qui pour l’instant n’est pas finalisé. La vraie question c’est de se demander quelle sera l’issue de ce processus.


Alors?


Il n’est pas assuré que cela aille forcément – en tout cas à moyen terme, si cela devait prendre un peu la forme de la dictature instaurée par Pinochet au Chili en 1973 – dans le sens qui correspondant à des attentes démocratiques, lesquelles passeraient nécessairement par la chute du régime théocratique au profit d’une démocratie respectueuse des droits de l’Homme.


Il n’en demeure pas moins qu’il y a une autre option, sans aucun doute moins satisfaisante au regard de ces attentes, à savoir celle d’une dictature militaro-islamique, avec à sa tête les pasdarans, les gardiens de la révolution. On se rend compte que ce sont en quelque sorte «les gardiens du temple» du système mis en place en 1979, ce sont eux qui détiennent toutes les clés de ce système (nezam en persan) et notamment qui pèseront sur les modalités de la succession du «Guide suprême», Ali Khamenei qui est âgé de 83 ans et est malade.


Une dictature militaire-islamique accompagnée d’un assouplissement sur les mœurs?


Eventuellement. Le paradoxe, c’est qu’une grande partie des pasdarans, qui sont tout sauf animés d’une culture démocratique, mais sans aucun doute par la poursuite de la lutte contre l’Occident en général et des Américains en particulier du fait du passif avec la période du Shah, et l’affirmation préexistante du nationalisme iranien, considère plutôt à raison que le clergé – détesté par une grande majorité de la population – est devenu un handicap pour la pérennité du régime de la République islamique et la préservation leurs intérêts notamment économiques. D’où l’option potentielle qui consisterait à établir une dictature militaro-islamique certes, mais tout en renvoyant le clergé dans ses séminaires dont ils étaient sortis pour exercer à partir de 1979 un rôle théologico-politique ce qui constitue d’ailleurs une anomalie dans la tradition chiite orthodoxe.


Doit-on s’attendre le 16 septembre et les jours suivants à des confrontations ?


C’est difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a dans la tête des Iraniens cette date qui est absolument centrale. Mais cela ne veut pas dire qu’il y aura des manifestations comme à l’automne l’an dernier. Pour autant, la défiance envers le régime est totale. Il gouverne «hors-sol» contre sa propre population, qui l’ignore, en réalité. Il y a par ailleurs la question sensible des périphéries ethno-confessionnelles, kurde et baloutche. Le «Guide suprême», Ali Khamanei, a d’ailleurs réuni récemment des représentants – triés sur le volet – des deux régions. Justement parce qu’il est très inquiet de la résurgence de manifestations dans ces périphéries ethno-confessionnelles à l’approche de l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini, qui précisément était kurde, originaire de Saghez qui avait connu des manifestations importantes.


Quelle est la situation économique en Iran ?


Elle n’a jamais été aussi catastrophique. L’inflation est à deux chiffres. Il y a une paupérisation accélérée de l’ensemble de la population, certes accélérée depuis le rétablissement des sanctions américaines depuis le retrait unilatéral décidé par l’ancien président Donald Trump il y a cinq ans de l’accord de sur le nucléaire de juillet 2015, mais aussi et peut-être surtout du fait d’une gouvernance désastreuse à tous les niveaux. Sans parler d’une corruption généralisée.


Le gouvernement est dans une forme de déni quasi pathologique face à cette réalité. Une situation qui alimente des comportements de désespoir et/ou d’addiction pour y échapper. Ce qui est explique la hausse du taux de suicide et l’explosion de la toxicomanie, un tabou en Iran.


 

Propos recueillis par Watson.
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